— Par Jean Samblé —
Le procès de Serge Letchimy, Didier Laguerre, Yvon Pacquit et Max Bunod, jugés devant la 32ᵉ chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris pour détournement de fonds publics et recel, a mis en lumière un montage administratif complexe autour du départ à la retraite de l’ancien député et président de la Collectivité Territoriale de Martinique.
L’affaire trouve son origine en 2016, lorsque Serge Letchimy, battu aux élections régionales mais toujours député, sollicite sa réintégration dans son ancien poste d’ingénieur territorial à la mairie de Fort-de-France — un statut pourtant incompatible avec la fonction de parlementaire selon le code électoral. Réintégré pour trois mois, il perçoit alors 23 465 € de salaires ainsi qu’une prime exceptionnelle de départ à la retraite de 67 552 €. Ces versements interviennent malgré deux alertes formelles du comptable public, qui refuse d’abord de valider le paiement et signale la situation à l’État.
Durant les audiences, les débats ont largement porté sur la légalité de cette réintégration ainsi que sur l’avancement professionnel exceptionnel dont avait bénéficié Serge Letchimy, devenu « ingénieur de classe exceptionnelle » malgré son absence prolongée de fonctions techniques depuis 2001. Les enquêteurs s’interrogent également sur sa situation de détachement, dont les effets rétroactifs lui auraient permis de cumuler des droits à la retraite.
Les interrogatoires des quatre accusés révèlent des stratégies de défense contrastées. Letchimy, Laguerre et Bunod présentent un front cohérent : le plan de départ à la retraite aurait été appliqué uniformément, sans traitement particulier, et aucune irrégularité n’aurait été signalée à l’époque par les services. Tous affirment avoir agi dans le cadre réglementaire et font valoir la confiance placée dans l’administration pour la gestion technique de la procédure. Cette argumentation rappelle d’autres affaires locales dans lesquelles la responsabilité technique est mise en avant pour écarter la faute politique.
Cependant, le discours s’effrite à l’audition d’Yvon Pacquit. Le premier adjoint affirme avoir signé, dans l’urgence et sous demande de confidentialité de Max Bunod, des documents relatifs à la retraite de Letchimy sans en connaître la portée exacte. Selon lui, le nom de Letchimy et les montants engagés justifiaient cette discrétion, en contradiction avec l’idée d’un traitement « comme un agent ordinaire ». Il évoque aussi l’influence politique qu’exercerait Letchimy sur le maire Didier Laguerre, un témoignage interprété par la défense comme potentiellement motivé par des dissensions internes au PPM.
L’audience révèle également des zones d’ombre financières : une partie des salaires perçus par Serge Letchimy aurait été reversée à des associations, mais surtout, les cotisations sociales dues à la CNRACL n’avaient pas été versées pendant sa période de détachement. Serge Letchimy affirme avoir voulu utiliser sa prime exceptionnelle pour rembourser ces dettes, ce qui était impossible administrativement. Son remboursement n’intervient qu’en 2021, alors que l’enquête judiciaire est déjà engagée, un délai susceptible de fragiliser sa défense.
Au cours de la deuxième journée d’audience, les procureurs pointent des contradictions dans les déclarations de Letchimy, notamment lorsqu’il affirme avoir refusé des sommes qu’il a pourtant encaissées. Ils soulignent surtout la question restée centrale et sans réponse : pourquoi avoir déclenché un départ anticipé alors qu’une retraite normale aurait été possible trois ans plus tard, sans manœuvre administrative ?
À l’issue de trois jours d’audience, le parquet requiert des peines significatives : deux ans de prison avec sursis, 150 000 € d’amende et cinq ans d’inéligibilité pour Serge Letchimy ; dix-huit mois de sursis et cinq ans d’inéligibilité pour Didier Laguerre ; douze mois de sursis pour Max Bunod ; et six mois pour Yvon Pacquit. Selon le ministère public, les prévenus auraient sciemment contourné l’interdiction faite à un député d’occuper un poste de fonctionnaire, même fictivement, afin de permettre le versement d’indemnités indues.
Le jugement sera rendu le 19 février 2026. D’ici là, les quatre prévenus demeurent présumés innocents.
