Présence cubaine et liberté de plume

— Par Yves-Léopold Monthieux —

Alors que je m’apprête à retrouver une tribune que j’ai publiée en 2007 dans Contrechroniques de la vie politique martiniquaise, je relis la première page de ce livre qui commence par une citation de Georges Orwell. Votre serviteur observe que 13 ans plus tard, il ne s’est pas départi d’un propos différent de tout ce qui se dit et s’écrit en Martinique, mais qui rejoint souvent ce qui se pense. Aussi, selon Georges Orwell, « Parler de liberté n’a de sens qu’à condition que ce soit la liberté de dire ce que les gens n’ont pas envie d’entendre ». J’ai écrit depuis des centaines de tribunes et j’en écris encore qui, ouvertes à la critique, n’aspirent pas à l’unanimité.

Votre serviteur écrivait donc :

« Ce mot de Georges Orwell répond à une exigence universelle de diffusion tous azimuts de la vérité : entre les pouvoirs et les oppositions, entre les populations et les Etats, entre les pays pauvres et les pays riches. Peut-on concevoir des cas de rétention de cette liberté ?

La controverse existe en France même où la question se pose de savoir si la liberté de l’information des journalistes est à ce point précieuse qu’elle puisse faire obstacle à la divulgation du secret d’Etat. En Europe, on s’achemine plutôt vers l’absence totale d’obstruction à la manifestation publique de la vérité. Qu’en est-il des départements d’Outre-Mer, de la Martinique en particulier ? La tentation de liberté propre à la démocratie inviterait à s’aligner sur le modèle de la presse occidentale : l’information tous azimuts.

Cependant un courant d’opinion conduit à considérer, dans l’assymétrie des rapports entre la France et la Martinique, une légitimité à s’émanciper de la stricte règle d’objectivité et à s’installer dans un registre de dénonciation d’un colonialisme attardé. Ainsi serait interdite toute écriture ou prise de parole qui ne serait pas, peu ou prou, orientée dans le sens de l’idéologie anticolonialiste. Tout regard critique sur nous-mêmes constituerait une entorse au devoir de louange, une atteinte à l’éthique de l’éloge, en tout cas, une tentative de ralentissement de l’histoire. Ce pourrait être la règle dans un pays en butte à une domination coloniale à ce point cruelle qu’il n’y aurait plus rien à perdre à s’en dégager. En sommes-nous à ce point ?

Je pense, comme de nombreux Martiniquais de toutes tendances et de toutes catégories sociales, que dans le cas particulier de la Martinique l’accession à l’autonomie ou à l’indépendance peut faire l’économie de la violence. Et nos idées se répandre, dans un contexte d’autonomie critique, sans craindre la contradiction et sans qu’il soit besoin de taire la vérité. Cela nous conduit, tout en étant critiques à l’égard des autres, d’être exigeants envers nous-mêmes. Cette autonomie critique ne peut que nous préparer au futur auquel nous destinons la Martinique. Nous préparer à la responsabilité. »

Cette exigence envers nous-mêmes est parfois considérée comme une entorse au devoir de louange, voire de l’autoflagellation. Mais votre serviteur n’a pas le goût d’attribuer à d’autres l’entière responsabilité des malheurs de ses concitoyens. De nombreux d’entre nous le font très bien, qui évitent soigneusement de mettre en cause nos propres turpitudes et de les corriger. Cependant que nous laissons volontiers la presse nationale dénoncer l’esbroufe de la venue en Martinique de la célèbre « brigade Henry-Reeves » de Cuba. Des médecins d’urgence prévus pour venir en aide aux pays sous-médicalisés, au lieu de professionnels familiers des hôpitaux cubains. Rappelons que la décision d’inviter les Cuban’s doctors avait été prise dans l’allégresse d’une unanimité qui pourrait bien, à entendre les réserves inattendues de certain.es élu.es, s’achever dans la grimace générale. Il est vrai que les élus attendaient moins de l’expertise médicale, laquelle n’aurait pas été démontrée à ce jour, que la présence « historique » en Martinique d’une représentation officielle de l’Etat cubain et de son drapeau.

Fort-de-France, le 04 septembre 2020

Yves-Léopold Monthieux