Pour Patrick Chamoiseau, la montagne Pelée est « un sanctuaire de la dignité humaine » qui mérite d’entrer au Patrimoine mondial de l’Unesco

Début 2021, les autorités françaises ont soumis au Patrimoine mondial de l’Unesco la candidature des biens naturels martiniquais que sont la montagne Pelée et les pitons du Carbet. Le comité de classement rendra sa décision courant septembre 2023. L’écrivain martiniquais nous envoie ce texte intitulé « le Volcan liberté ».

La montagne Pelée est l’ultime volcan vivant de la Martinique. Sa morphogenèse (avec ses strates, ses pentes douces ou abruptes, ses bosses veloutées, ses cassures reliées à ces élévations inouïes que sont les grands pitons) constitue à ce jour une singularité géognostique impériale.

Mais c’est aussi un ensemble d’écosystèmes forestiers, végétaux, faunistiques, bien conservés et, dès lors, bondés de trésors endémiques. Il témoigne, d’une sorte exemplaire, de ce chaos-opéra tellurique qui a donné naissance à l’archipel caribéen, tant dans son alphabet géologique, que dans ses œuvres magmatiques où d’innombrables présences vivantes ont trouvé un berceau.

De plus, il est en soi un emblème majeur du volcanisme. Lors de l’éruption de 1902, en révélant au monde l’existence des volcans explosifs, il a offert à la science un ban de connaissances et une classification opérationnelle qui allaient sauver bien des vies. Mais, il faut ajouter à ce palmarès une dimension inattendue.

Elle nous est donnée par des poètes : Aimé Césaire, Edouard Glissant

Le frère de ce volcan. Aimé Césaire proclamait que sa poésie était péléenne. On a souvent réduit cela aux analogies possibles entre ses foudres contre colonialisme et les éruptions terrifiantes de la Pelée. Ce n‘est pas faux. Mais, au fil de ses poèmes (cratères rétifs aux clarifications), l’immense poète allait beaucoup plus loin. Il se définissait volontiers comme « le frère de ce volcan qui certain sans mot dire rumine un je-ne-sais-quoi de sûr ». La Pelée et ses pitons nourrissaient chez lui une infinité de dispositifs poétiques et de signes insolites. Sa vision, constamment renouvelée au fil de ses âges, a fini par les ériger en une indéchiffrable proclamation du fait martiniquais, et, à travers elle, de toute sa poésie. C’est lui qui écrira la plus belle description-projection que je connaisse du volcan péléen :

« Je veux bâtir
moi, de dacite coiffée de vent,
le monument sans oiseaux du refus
»

La trame poétique de Césaire est habitée, en dorsale, par ce « monument du refus » que l’Unesco va examiner dans les semaines qui viennent. « Vint pour la montagne, le temps de s’installer à l’horizon, lion décapité, harnaché de toutes nos blessures. » 2 Quand on découvre la Pelée, entre le brasillement de la mer caraïbe et la lèche mousseuse du versant atlantique, le désordre est soulevé, l’élévation est une constante profonde, elle fréquente les nuages et s’impose aux oiseaux de passage qui ne parviennent jamais à la domestiquer. Malgré ses veloutés, la Beauté stupéfiante de ce « vieux lion et de son courroux de pierres » 3, émarge (en un paradoxal délice) aux explosions passées et à celles que l’on craint.

Il y a là déjà de quoi fasciner un poète.

La montagne Pelée est l’ultime volcan vivant de la Martinique. Sa morphogenèse (avec ses strates, ses pentes douces ou abruptes, ses bosses veloutées, ses cassures reliées à ces élévations inouïes que sont les grands pitons) constitue à ce jour une singularité géognostique impériale.

Mais c’est aussi un ensemble d’écosystèmes forestiers, végétaux, faunistiques, bien conservés et, dès lors, bondés de trésors endémiques. Il témoigne, d’une sorte exemplaire, de ce chaos-opéra tellurique qui a donné naissance à l’archipel caribéen, tant dans son alphabet géologique, que dans ses œuvres magmatiques où d’innombrables présences vivantes ont trouvé un berceau.

De plus, il est en soi un emblème majeur du volcanisme. Lors de l’éruption de 1902, en révélant au monde l’existence des volcans explosifs, il a offert à la science un ban de connaissances et une classification opérationnelle qui allaient sauver bien des vies. Mais, il faut ajouter à ce palmarès une dimension inattendue.

Elle nous est donnée par des poètes : Aimé Césaire, Edouard Glissant

Le frère de ce volcan. Aimé Césaire proclamait que sa poésie était péléenne. On a souvent réduit cela aux analogies possibles entre ses foudres contre colonialisme et les éruptions terrifiantes de la Pelée. Ce n‘est pas faux. Mais, au fil de ses poèmes (cratères rétifs aux clarifications), l’immense poète allait beaucoup plus loin. Il se définissait volontiers comme « le frère de ce volcan qui certain sans mot dire rumine un je-ne-sais-quoi de sûr ». La Pelée et ses pitons nourrissaient chez lui une infinité de dispositifs poétiques et de signes insolites. Sa vision, constamment renouvelée au fil de ses âges, a fini par les ériger en une indéchiffrable proclamation du fait martiniquais, et, à travers elle, de toute sa poésie. C’est lui qui écrira la plus belle description-projection que je connaisse du volcan péléen :

« Je veux bâtir
moi, de dacite coiffée de vent,
le monument sans oiseaux du refus
»  

La trame poétique de Césaire est habitée, en dorsale, par ce « monument du refus » que l’Unesco va examiner dans les semaines qui viennent. « Vint pour la montagne, le temps de s’installer à l’horizon, lion décapité, harnaché de toutes nos blessures. » 2 Quand on découvre la Pelée, entre le brasillement de la mer caraïbe et la lèche mousseuse du versant atlantique, le désordre est soulevé, l’élévation est une constante profonde, elle fréquente les nuages et s’impose aux oiseaux de passage qui ne parviennent jamais à la domestiquer. Malgré ses veloutés, la Beauté stupéfiante de ce « vieux lion et de son courroux de pierres » 3, émarge (en un paradoxal délice) aux explosions passées et à celles que l’on craint.

Il y a là déjà de quoi fasciner un poète.

Mais, on le sait, la vision de Césaire ne s’attarde pas aux évidences.

Botaniste obsessionnel, curieux fondamental, il s’intéressait aux arbres, aux fleurs, aux herbes, aux plantes, à la nature hygrophile du lieu et au vivant en général. Il était roche, il était arbre, il était fleur… C’est vrai que sous le règne du colonialisme on apprend à aimer ce qu’il déteste et qu’il détruit…

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1 « Et les chiens se taisaient »
2 «  Ferrements »
3 « Moi, laminaire »