Grand concert de musique classique pour lutter contre le racisme

— Par Renel Exentus, doctorant en études urbaines à l’INRS —

Dans le cadre de la semaine d’action contre le racisme et pour l’égalité des chances, la musique a été une fois de plus au rendez-vous pour marquer l’importance de construire une société plus juste et plus égalitaire. En partenariat avec le CIDIHCA, la Société de recherche et de diffusion de la musique haïtienne (SRDMH) a organisé le samedi 25 mars 2023 un grand concert avec le Quatuor Crossing Borders Music de Chicago. En dépit des contraintes météorologiques, le public était au rendez-vous de 7h30 à 22h00 dans la Salle de concert du Conservatoire de musique de Montréal où les instruments à cordes du Quatuor dirigé par Tom Clowes ont créé une ambiance sublime.

Comme dans ses concerts précédents, la SRDMH présentait un programme recherché réparti entre compositeurs haïtiens et cubains. Composé de deux parties, le concert s’articulait autour de plusieurs thématiques dont l’anticolonialisme, l’égalité hommes-femmes, l’antiracisme, etc. La cité, œuvre de la compositrice haïtienne Sabrina Jean-Louis, ouvrait le concert. Sous l’impulsion des archets des talentueux musiciens du Quatuor Crossing Borders Music, cette pièce révélait une heureuse harmonie de rythmes et de mélodies inspirés du patrimoine culturel haïtien, où la beauté et l’élégance se côtoient. En deux mouvements distincts, l’œuvre offrait une symbiose harmonique qui transforma la salle du Conservatoire musique de Montréal en un espace initiatique dans lequel un public attentif et silencieux s’est laissé bercer par la vibration des cordes des violons. Conçu pour commémorer l’héritage de Jean Baptiste Pointe du Sable, fondateur de la ville Chicago, le fond mélodique de la pièce évoquait l’héroïsme du peuple haïtien.

Puis, l’interprétation des Danzas Cubanas d’Ignacio Cervantes transporta l’auditoire sur les rives de Cuba. Cette pièce illustrait la thématique anticoloniale dans la Caraïbe. Loin de se limiter à l’écriture musicale, la contredanse traditionnelle exhalait un parfum subversif évocateur des luttes pour l’indépendance de Cuba à la fin du XIXe siècle. Sans renier leur charme et leur légèreté, l’ensemble de Tom Clowes a su adapter les Danzas Cubanas de Cervantes à la thématique qui leur était attribuée. Conçues à l’origine pour piano, les Danzas Cubanas ont été densifiées par la vibration des cordes du Quatuor Crossing Borders Music.

La pièce Exodus du compositeur haïtien Rudy Perrault clôturait la première partie du concert. Constituée de trois mouvements, l’œuvre s’associait aux problématiques de la traite atlantique, de la migration et de l’exil. À travers des rythmes complexes et syncopés, la trame musicale, modulait une diversité de marques expressives où pizzicati et staccati contrastaient avec d’amples sostenuti. Les sonorités spécifiques des violons ont amplifié la portée de la mélodie. De surcroit, la l’alternance des tonalités mineures et majeures générait des impressions de peur, de frénésie et d’incertitude qui semblaient témoigner de la prégnance de l’expérience de l’exil.

La deuxième partie du concert débutait avec « Erzulie malade » du compositeur haïtien Werner Jaegerhuber. Sous le signe de la dignité, la pièce se caractérise par une mélodie à saveur vodouesque invoquant la prière, la lamentation, le recueillement et l’incantation. Servant de transition à deux compositions de Gifrants, la virtuosité des musiciens de Quatuor Crossing Borders Music assignait à la triste tonalité de « Erzulie malade » une teinte d’espoir. La première pièce de Gifrants intitulée String of change convertissait cette note d’espoir en désir de changement. Face à la faiblesse des mots, la composition de Gifrants mettait en symbiose une variété de sons issus du folklore haïtien. Elle traduisait en langage musical le souhait d’une nécessaire transformation en Haïti. Envouté par la dissonance de la mélodie, l’auditoire s’est laissé emporter dans le rêve des lendemains qui chantent. Par ailleurs, « Mizik demafwa », seconde pièce de Gifrants, étirait cet optimisme au-delà des frontières d’Haïti. Sur des airs de « chantrèl », ce morceau invite à imaginer un monde dépourvu de préjugés, d’inégalités, de discriminations et d’exclusions. Tiré de son livre Pa Amou/Because of love, « Mizik demafwa » se veut porteur de nouvelles propositions haïtiennes pour la musique de chambre.

Le concert prit fin avec la pièce musicale « Madan Sara » du jeune compositeur John Karly Fils Ménard. Combinant des tonalités majeure et mineure, la composition a mis en lumière l’âme de la paysannerie haïtienne à travers une perspective nouvelle. Par le truchement d’une enquête ethno-musicale, le compositeur a construit une mélodie restituant le quotidien des « Madan Sara » dans les centres urbains du pays. Comme dans le cas des morceaux précédents, le Quatuor Crossing Borders Music a su donner une densité nouvelle aux émotions que génèrent chez l’auditoire les rythmes complexes et imprévisibles de la mélodie de J.K.F. Ménard. Aussi, l’évocation de nombreuses mélodies de contes folkloriques haïtiens a créé une atmosphère fusionnelle entre l’auditoire et les talentueux musiciens du « Quatuor Crossing Borders Music. 

Par ailleurs, la composition du public a été un autre aspect du succès de ce concert. En effet, la présence de plusieurs dizaines de jeunes de 5 à 17 ans faisait office de contribution de la SRDMH aux aspirations pédagogiques de l’éveil musical et à la formation du public de l’avenir. Après la prestation du quatuor, les jeunes ont été invités à monter sur scène pour offrir des fleurs aux musiciens. Avec enthousiasme, ils ont posé des questions sur les propriétés du jeu de l’archet.

Renel Exentus, doctorant en études urbaines à l’INRS