Pour ou contre la vaccination des 5-11 ans ? Le point sur les arguments scientifiques

— Par Alexandre Fache —

Le gouvernement veut lancer, le 20 décembre, les injections du vaccin Pfizer pour les 6 millions d’enfants de cette classe d’âge. Mais la Haute Autorité de santé et le Comité d’éthique doivent encore livrer leur avis. Et le débat est vif…

Pour le gouvernement, c’est comme si c’était fait. Les doses arrivent, les centres rouvrent, les dates des premières injections sont même connues. Pourtant, le débat reste intense entre les experts sur la pertinence de la vaccination contre le Covid des 5-11 ans. « Prématurée », voire « inutile » selon les uns, elle serait au contraire « urgente » et « bénéfique » pour la société comme pour les mineurs eux-mêmes, selon les autres.

Voir aussi : Covid-19. Et maintenant, doit-on recourir à l’obligation vaccinale ? #1

L’exécutif, lui, a décidé d’avancer, mettant ainsi la pression sur les organismes chargés de valider ou pas cette extension vaccinale, en l’occurrence le Comité consultatif national d’éthique et la Haute Autorité de santé (HAS). « Sous réserve de la validation finale par les autorités sanitaires, nous organisons toute la logistique, pour pouvoir commencer sans délai à vacciner, sur la base du volontariat, tous les jeunes de cette tranche d’âge, soit 6 millions d’enfants, dès le 20 décembre, dans les centres de vaccination, et le 27 décembre, via la médecine de ville et les pharmacies. Il s’agit de ne pas perdre une minute , dès qu’on aura le feu vert », a expliqué Olivier Véran, lundi soir.

Une vaccination « pas urgente à ce jour »

Le 30 novembre, la HAS avait déjà validé la vaccination des enfants de 5 à 11 ans « présentant un risque de faire une forme grave de la maladie et de décéder (soit environ 360 000 enfants – NDLR), et pour ceux vivant dans l’entourage de personnes immunodéprimées ou vulnérables non protégées par la vaccination ». Pour ces jeunes, les premières injections sont déjà programmées le 15 décembre, deux jours après l’arrivée des doses (spécialement diluées pour ce public) du vaccin Comirnaty de Pfizer, seul autorisé à ce jour par l’Agence européenne des médicaments pour cette classe d’âge. Là-dessus, pas de débat, tout le monde est d’accord.

 Si l’on doit choisir entre vacciner les enfants ou améliorer la couverture vaccinale chez les personnes âgées, il n’y a pas photo : il vaut mieux vacciner une seule personne de 75 ans que 500 enfants !

FRANÇOIS BALLOUX, épidémiologiste

Mais l’élargissement à tous les 5-11 ans, lui, divise. Très réservées, les sociétés savantes de pédiatrie ont publié, le 15 novembre, un communiqué commun assurant que cette vaccination des moins de 12 ans n’était « pas urgente à ce jour ». Leurs arguments ? Le « bénéfice individuel direct » pour les enfants serait « très modeste », compte tenu du faible nombre de cas graves dans cette population (3 décès, 226 séjours en soins intensifs, 351  syndromes inflammatoires pédiatriques et 1 284 hospitalisations, selon Santé publique France) ; le bénéfice « social » serait moins important qu’aux États-Unis, par exemple, où les classes avaient été fermées pendant quarante-sept semaines, contre dix seulement en France ; enfin, le « bénéfice collectif » serait « incertain », compte tenu de l’efficacité relative du vaccin contre la transmission du virus.

« La balance coût-bénéfice (de la vaccination chez les 5-11 ans) est probablement légèrement positive », avance l’épidémiologiste suisse François Balloux, directeur de l’Institut de génétique de l’University College de Londres. « Mais si l’on doit choisir entre vacciner les enfants ou améliorer la couverture vaccinale chez les personnes âgées, il n’y a pas photo : il vaut mieux vacciner une seule personne de 75 ans que 500 enfants ! » avait-il ajouté.

« Le mythe de l’enfant non concerné par le Covid-19 »

L’Espagne, elle, a tranché, mardi. La commission de santé publique y « a approuvé la vaccination » des enfants de 5 à 11 ans « afin de réduire le nombre de contaminations » chez les jeunes et « la transmission (du virus) dans le milieu familial ». De ce côté des Pyrénées, plusieurs voies plaident pour que la France suive ce chemin, compte tenu de l’ampleur de la circulation du virus dans cette classe d’âge (fin novembre, le taux d’incidence chez les 6-10 ans était de 663, en progression de 92 % en une semaine, et deux fois supérieur au chiffre national), des conséquences – rares, mais graves – du Covid chez certains enfants, et de l’absence d’effets secondaires lourds, dans les pays qui vaccinent déjà les moins de 12 ans, comme les États-Unis, le Canada ou Israël.

  Pourquoi devrait-on accepter que les enfants soient hospitalisés ou aient des séquelles du Covid long ?

DOMINIQUE COSTAGLIOLA, épidémiologiste

L’épidémiologiste Dominique Costagliola fait partie de ceux qui plaident pour cette vaccination précoce. « Pourquoi devrait-on accepter que les enfants soient hospitalisés ou aient des séquelles du Covid long ? Aux États-Unis, plus de 3 millions d’enfants ont reçu le vaccin, et il n’y a aucun cas de myocardite déclaré », avance la chercheuse.

Qui s’inquiète aussi d’une donnée mise au jour par une étude récente, menée dans dix pays européens. « Cette enquête confirme que les taux d’hospitalisations sont très faibles, mais que, parmi celles-ci, 83 % des enfants n’avaient pas de facteurs de risque. Est-ce qu’on considère que c’est grave ou pas ? »

Les signataires d’une tribune parue le 1er décembre sur le site de l’Express ont livré leur réponse : « Il faut en finir, en France, avec le mythe de l’enfant non concerné par le Covid-19 », plaide ce collectif hétéroclite de médecins, de parents et d’universitaires. La Haute Autorité de santé, elle, doit se prononcer « d’ici la fin de semaine », selon un de ses membres.

Source : L’Humanté