Un spécialiste de Spinoza frappé de bannissement, 365 ans après le philosophe

— Par Clément Daniez —

Le chercheur Yitzhak Melamed a été déclaré « persona non grata » par le rabbin de la synagogue portugaise d’Amsterdam. Une décision qui suscite stupeur et colère.

« J’ai d’abord cru à une blague », confie Yitzhak Melamed. Dimanche 28 novembre, cet expert de Baruch Spinoza (1632-1677) a appris avec stupeur qu’il n’était plus le bienvenu à la synagogue portugaise d’Amsterdam. Celle-là même à l’origine, en 1656, du bannissement du célèbre philosophe néerlandais. Dans une lettre cinglante, le rabbin Joseph Serfaty l’y « déclare persona non grata ». Sa faute ? « Avoir dédié sa vie à l’étude des travaux de Spinoza et au développement de ses idées », précise la missive, envoyée via Internet. 

Rendue publique par le professeur Melamed, la lettre a mis en émoi le petit cercle des spinozistes. L’auteur de l’Éthique, un monument de la philosophie, suscite donc encore le courroux de rabbins d’Amsterdam. Et voici que l’histoire se répète : l’un des spécialistes de sa pensée se trouve à son tour banni ! « J’ai reçu des centaines de marques de soutien, du monde entier, dont des amis prêts à exiger du rabbin qu’il leur interdise à eux aussi de poser un pied dans la synagogue », s’amuse Yitzhak Melamed, basé à l’université Johns-Hopkins de Baltimore, aux États-Unis. 

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L’affaire fait écho à celle qui valut jadis à Spinoza un « herem », une mise au ban, par la communauté juive d’Amsterdam. Une telle mesure est en général provisoire. Mais dans le cas du philosophe, l’excommunication fut définitive. « Que son nom soit effacé dans ce monde et à tout jamais », précisait alors ce texte d’une grande violence. Le philosophe y était « maudit » à plusieurs reprises. 

La raison ? « Cela reste un mystère, le herem évoque seulement ses mauvaises opinions et sa conduite' », explique Yitzhak Melamed. Ses doutes sur l’origine divine de la Torah et sa négation de l’immortalité de l’âme peuvent être une explication, tout comme ses problèmes commerciaux et ses dettes. Précisons que Spinoza, alors âgé de 23 ans, n’avait encore rien publié. 

« Une attaque inacceptable contre notre identité et notre héritage »

Dans le cas du professeur Melamed, trois siècles et demi plus tard, la cause du bannissement est plus claire : une simple demande de tournage pour un film commandé par la télévision israélienne et consacré à la vie de Spinoza. L’universitaire en est le principal consultant et protagoniste. Les producteurs du documentaire souhaitaient pouvoir le filmer dans le complexe comprenant la synagogue et sa bibliothèque, Ets Haim, où se trouvent des livres et des documents étudiés par Spinoza dans sa jeunesse. Une requête insupportable pour le rabbin Serfaty. Soulignant que Spinoza est un « Epicouros », un hérétique, il présente la demande comme une « attaque inacceptable contre notre identité et notre héritage ».

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