Octroi de mer : alerte aux élus

— Par Guy Lordinot —

Au moment où le gouvernement, suite aux conclusions du Comité Interministériel des Outre-Mer s’apprête à réformer l’octroi de mer, le rappel d’un article du journal Le Monde publié le 17 juin 1992 sur ce sujet me paraît opportun. Il fait suite au débat sur la réforme de l’octroi de mer publié au Journal Officiel des débats parlementaires du 16 Juin 1992, pages 2315, 2316, 2317.

Voici les principaux extraits de cet article signé par Alain ROLLAT.

L’assemblée nationale a adopté, dans la nuit du lundi 15 au mardi 16 juin, en première lecture, par quatre cents sept voix contre une, le projet de loi relatif à l’octroi de mer destiné à harmoniser cette taxe propre au quatre départements d’outre-mer (…) avec les règles de la Communauté européenne avant l’ouverture du marché unique de 1993.

L’attachement que les élus des DOM portent à l’octroi de mer prouve que certains héritages de la colonisation ont encore du bon. Surtout quand ils continuent de rapporter gros à ceux qui en bénéficient…

Le gouvernement a donc conçu un projet de loi qui sauve les apparences en supprimant toute discrimination : les productions locales consommées sur place supporteront désormais l’octroi de mer comme les marchandises importées, le nombre de taux étant au passage limité à huit. Ce texte ménage aussi les entreprises locales : ne seront soumis au nouveau régime de l’octroi de mer que les producteurs locaux dont le chiffre d’affaires est supérieur à 3,5 millions de francs. Quatre cent cinquante entreprises seulement sur soixante- dix mille seront concernées.

Tous les députés d’outre-mer en charge de l a gestion de communes (…) ont donc fait bloc, lundi soir 15 juin, au Palais Bourbon, derrière le ministre des DOM-TOM, M. Louis Le PENSEC, qui a épousé leur cause.

Tous sauf trois.

Le Président du conseil général de la Guyane, maire de Sinnamary, député apparenté socialiste, a préféré s’abstenir de paraître dans l’hémicycle et s’est fait porter non votant (…)

L’autre député guyanais, M. Léon BERTRAND, non inscrit, maire de Saint-Laurent-du-Maroni, s’est fâché et a voté contre le texte du gouvernement (…)

Enfin, si le rapporteur de la commission des lois, M. Guy LORDINOT (app.PS Martinique), maire de Sainte Marie, ne s’est pas désolidarisé de son groupe, il n’a pas caché son mécontentement en constatant que M. Le PENSEC avait cédé le matin même aux pressions des autres députés-maires. Dans un premier temps le gouvernement avait décidé d’innover en réservant une partie du produit de la taxe à un « fonds spécial pour les entreprises et pour l’emploi » afin de favoriser le développement économique des DOM. Or, par amendement déposé au cours de la séance par MM. Le PENSEC et Michel CHARASSE, avec l’approbation de tous les groupes, il a été décidé que le fonds en question concernerait « le développement et l’emploi » et que ses ressources seraient attribuées par les conseils régionaux « sous forme de subventions aux communes et affectées aux investissements de ces dernières ». Il n’y aura donc pas de changement : les communes continueront de bénéficier automatiquement du produit de l’octroi de mer.

Ce constat a amené le rapporteur général du budget, M. Alain RICHARD (PS Val d’Oise) à faire observer que tout cela reviendra à

reconduire un « mécanisme pervers » allant à l’encontre de l’objectif de développement affiché puisque les communes des DOM, demain comme aujourd’hui, auront financièrement intérêt à maintenir des flux d’importations élevés qui ne font que perpétuer leur dépendance économique. M. LORDINOT, isolé, a dit la même chose mais plus crûment : nous ne sommes plus à l’assemblée nationale, mais à l’association des maires d’outre-mer luttant pour conserver leurs privilèges de l’époque coloniale.

Alain ROLLAT

Puisse cet article inciter nos élus à la plus extrême lucidité, à la plus grande méfiance, afin d’éviter les erreurs commises par leurs collègues de l’époque. Ils doivent avoir constamment présents à l’esprit que les collectivités d’Outre–mer sont victimes depuis toujours d’une discrimination flagrante. Plusieurs économistes nous démontrent que c’est notamment le cas pour la répartition de la dotation globale de fonctionnement (DGF) où l’on constate que l’Etat utilise divers artifices afin de nous mener en bateau.

Alors qu’en France hexagonale la DGF constitue la principale recette de fonctionnement des communes, bien avant les recettes fiscales, chez nous c’est exactement l’inverse. Autrement dit, dans l’hexagone l’État est le premier financeur des communes, chez nous, c’est le consommateur de la collectivité qui, par l’intermédiaire de l’octroi de mer, est le premier contributeur.

Lire aussi : L’octroi de mer en questions

Où est l’égalité ? Où est l’équité ? Où est la justice ?

L’égalité constitutionnelle des citoyens devant la loi est donc bafouée par ceux-là même qui sont en charge de la faire respecter.

Cette nouvelle réforme de l’octroi de mer n’est-elle pas l’occasion de rappeler au gouvernement ses obligations en la matière ?

N’est-elle pas une manière adroite pour le gouvernement de gruger et de piller les collectivités d’Outre-mer comme elle continue à le faire dans les pays d’Afrique ?

A nos élus, répétons-le, la plus grande vigilance s’impose.

Récemment, un ami me rappelait que nous vivons dans la survivance de l’esprit colonial qui voulait que les terres lointaines de la France se suffisent économiquement à elles-mêmes.

Et aucune étude sérieuse n’a été menée coût/rapport, intégrant singulièrement l’apport géostratégique, en biodiversité, en espace maritime, en ouverture sur l’espace, en relations humaines des Outre-mer considérées comme les danseuses de la République et cantonnant leurs populations dans le registre des assistés. Comment comprendre l’intérêt de la Chine, ou des Etats Unis d’Amérique pour les autres îles de la Caraïbe ? Ces pays seraient-ils fous ? Enfin, y a-t’il des limites, notamment financières – par exemple pour la continuité territoriale – au concept républicain d’unité d’un territoire ? A l’évidence, pour le gouvernement, la réponse est oui.

Nous pouvons donc en déduire qu’asservis mentalement, nous ne pouvons que l’être économiquement.

Élus, vous êtes prévenus. Veillez attentivement au grain ! Vous êtes notre dernière chance.

Guy LORDINOT

14 août 2023