L’opéraïsme : entre théorie marxiste et praxis révolutionnaire

L’opéraïsme, parfois qualifié d’« ouvriérisme », émerge comme un courant marxiste italien dissident au début des années 1960. Son origine remonte à la revue Quaderni Rossi fondée en 1961 par le socialiste dissident Raniero Panzieri, avec des figures majeures telles que Mario Tronti, Alberto Asor Rosa, Romano Alquati et Toni Negri. Ensemble, ils créent la revue Classe Operaia en 1964, symbolisant leur engagement envers la classe ouvrière.

Ce mouvement trouve ses racines dans le contexte particulier de l’Italie des années 1960, marquée par des tensions croissantes entre les revendications ouvrières et la pratique des syndicats. L’opéraïsme émerge de l’« enquête ouvrière », une méthode de « sociologie militante » menée aux portes des usines au début des années 1960. Cette approche vise à critiquer le socialisme traditionnel et à identifier une nouvelle figure, l’« ouvrier-masse », éloignée du mouvement syndical conventionnel.

L’année 1964 marque un tournant théorique majeur avec la publication du texte de Mario Tronti, « Lénine en Angleterre », qui renverse la relation entre le développement des moyens de production et les luttes ouvrières. Selon Tronti, ce sont ces luttes qui impulsent le développement capitaliste. La même année, Tronti et Toni Negri quittent Quaderni Rossi pour créer Classe Operaia, insistant sur l’intervention directe dans les luttes ouvrières.

L’évolution de l’opéraïsme se dessine à travers le prisme de son passage du réseau informel à des organisations structurées. L’entrisme au sein du Parti Communiste Italien (PCI) est envisagé, avec l’idée de former une direction opéraïste influençant le PCI. Cependant, les divergences internes conduisent à des choix stratégiques variés, de l’entrisme au PCI à la création d’organisations indépendantes comme Potere Operaio et Lotta Continua.

En 1973, l’Autonomia Operaia émerge en réaction à la crise interne de Potere Operaio. L’autonomie représente une évolution de l’opéraïsme, rejetant les formes traditionnelles de mobilisation au profit de l’action directe. Toni Negri insiste sur le refus du travail et l’attention aux ouvriers marginaux, appelés l’« ouvrier social ».

Sur le plan théorique, l’opéraïsme revisite les écrits de Marx, en particulier le « fragment sur les machines », remettant en question le marxisme classique. Il propose une vision où la classe ouvrière est le moteur du développement capitaliste, rejetant la transition au communisme par une étape socialiste. La distinction entre « force de travail » et « classe ouvrière » est réinterprétée, et le refus du travail est prôné comme une autodestruction nécessaire pour lutter contre le capitalisme.

En France, l’influence de l’opéraïsme est perceptible à travers des revues telles que « Matériaux pour l’intervention », animée par Yann Moulier-Boutang, qui donnera naissance au groupe « Camarades » en 1974.

L’héritage de l’opéraïsme réside dans son engagement profond envers la classe ouvrière, sa critique radicale du capitalisme, et sa proposition d’une praxis révolutionnaire basée sur l’autonomie ouvrière et le refus du travail. Bien que ses organisations aient disparu, l’influence de l’opéraïsme perdure dans la réflexion sur le politique, la société et l’économie. Son parcours sinueux reflète les dynamiques complexes et les tensions inhérentes aux mouvements révolutionnaires du XXe siècle.

L’opéraïsme incarne un moment clé de réflexion sur le rôle de la classe ouvrière dans le processus révolutionnaire, et son impact demeure une source d’inspiration pour ceux qui explorent les voies alternatives vers une transformation sociale radicale. En fin de compte, l’opéraïsme transcende son contexte historique, révélant des questions fondamentales sur le pouvoir, la lutte des classes et la quête d’une société émancipée.

— Madinin’Art —