Lire « Tropique de la violence. » de Natacha Appanah

— Par Françoise Dô (*)—

J’ai alors dit la chose la plus stupide de ma vie « Mais c’est la France ici quand même  » et Chebani a tellement ri qu’il en a eu les larmes aux yeux. (p.113)

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Qu’est-ce que c’est? Très clairement accepter d’être emporté à Mayotte. 

J’ai pas envie… a été ma réaction naturelle. Pour quoi faire… a été ma seconde réaction naturelle. C’est une histoire qui se passe à Mayotte et « Mayotte, c’est la France et ça n’intéresse personne. » (Extrait de la page 112). 

C’est plutôt vrai. 

J’ai tout de même ouvert la première page pour lire les premières lignes à reculons. Quelques heures plus tard j’y étais toujours. Propulsée à Mayotte, par une écriture initialement au rythme quasi-frénétique. On croit à l’histoire de Marie mais il ne s’agit pas de cela. D’abord ébouriffée du voyage donc, puis giflée. Putain Mayotte quoi! J’ai brûlé comme peut brûler un pneu un jour de grève.

Brûler de la rage de vivre malgré la misère. Car la misère est ce dont il est question. La misère d’un ventre vide parce qu’il ne donne pas de fruit jusqu’à la misère du ventre vide parce qu’il n’y a rien à manger. Et aussi de ce dont on est capable quand vient la misère. Quand notre cerveau brûle et que les gens ne s’en rendent pas compte. Brûle de ce qu’on veut et que l’on n’a pas. Brûle de savoir qui on est et qu’on ne saura jamais. 

Alors on cherche, partout, chez tous, ce que l’on n’a pas et ce qu’on ne saura jamais. On est prêt à tout pour obtenir ce que l’on n’a pas et savoir ce qu’on ne saura jamais. Et pour cela on est prêt à détruire ceux qui ont et ceux qui savent. On les observe pour entrer dans leurs cœurs, leurs têtes, dans leur vie, puis on détruit ce qu’il est possible de détruire, ce qu’on a réussi à avoir à porter de main. 

Désœuvrement. Violences. 

                           – Là? Demandais-je.

 – Là, me répondit Gatzo. C’est un beau pays.

Henri Bosco, L’enfant et la rivière

Marie, Moïse, Bruce, Stéphane et Olivier.

Des cœurs brûlants, morts, toujours vifs, fendus et ouverts face à nous.   

Marie, la mère, venue de la France hexagonale.

« J’ai un tel désir pour ce pays, un désir de tout prendre, tout avaler, gorgée de mer après gorgée de mer, bouchée de ciel après bouchée de ciel. » (p16)

Moïse, le fils qui porte bien son nom.

Bruce, roi de Gaza, bidon ville à la lisière du chef-lieu Mamoudzou

« Si tu crois que cest facile dêtre le chef de Gaza. […]

Il faut connaître Gaza comme si cétait ta femme. Tu sais où sont les plis, où sont les rondeurs, tu sais quand elle crie, tu sais quand elle a mal, tu sais ce quelle aime, tu sais ce quelle naime pas, tu sais ce quelle aime manger, tu connais les chansons quelle aime écouter, tu sais comment lui plaire, tu sais comment la faire ramper, tu sais là où elle est sèche, tu sais là où elle est toute trempée. Tu ne confonds pas sa tête et son sexe, tu ne confonds pas ses mains et ses pieds. Personne ne connaît Gaza comme moi. » (p94)

Stéphane, volontaire en mission associative à Mayotte

« Moi, je voulais juste partir et j’ai donc signé pour Mayotte » (p112) 

Olivier, le policier qui a l’impression d’appartenir « un tout petit peu à cette terre » (p.159)

A Mayotte.

Ensemble d’îles situé dans l’archipel des Comores.

  1. Française.
  2. Indépendance des îles de l’archipel des Comores, sauf Mayotte.
  3. Mayotte confirme sa volonté de rester au sein de la république française.

De France, c’est un département et une région d’outre-mer. Une île confrontée à une immigration de masse où un habitant sur trois est un étranger en situation irrégulière. Environ 12 000 immigrés clandestins des îles environnantes auraient trouvé la mort, en tentant de rejoindre Mayotte dans des embarcations de fortune.

Des Nations Unies, c’est une île occupée par les français depuis 1976.

De l’Union africaine, c’est une île occupée par une puissance étrangère.

L’Union des Comores revendique encore et encore Mayotte. Intégrité territoriale de l’archipel.

Mayotte. 

Ensemble d’îles situé dans l’archipel des Comores.

Française depuis 1841 où environ 12 000 immigrés clandestins des îles environnantes auraient trouvé la mort, en tentant de rejoindre Mayotte dans des embarcations de fortune.

Bref je suis allée où je ne voulais pas et j’ai aimé. Woulo bravo ba Tropique de la violence.

 

Par Françoise Dô 

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NDLR : Tropique de la violence est un roman de Nathacha Appanah paru le 25 août 2016 aux éditions Gallimard ayant reçu la même année le tout premier prix Femina des lycéens et le prix France télévisions en 2017.

(*)Françoise Dô est auteure, comédienne, metteure en scène. On a pu voir sur la Scène nationale Tropiques-Atrium en janvier dernier sa pièce de théâtre « L’aliénation noire »