« L’expulsion de Chine de notre consœur Ursula Gauthier est injustifiable »

liberte_de_la_presseNous nous élevons contre le traitement injurieux réservé par la République populaire de Chine à la correspondante à Pékin du magazine « L’Obs », Ursula Gauthier. Après avoir subi une campagne d’insultes dans les médias officiels et essuyé des menaces de mort postées sur sa page Facebook, celle-ci vient de se voir signifier par les autorités chinoises son expulsion du pays le 31 décembre à minuit. Nous déplorons par ailleurs l’apparente volonté des autorités françaises de ne pas faire de vagues autour de cette expulsion injustifiable.

Ursula Gauthier est singulièrement accusée par Pékin d’avoir « encouragé le terrorisme » dans un article publié le 18 novembre sur le site de l’hebdomadaire « L’Obs », et en conséquence de ne pas être « apte » à travailler comme journaliste en Chine. La situation est digne d’un roman de Franz Kafka. Les autorités communistes exigent d’elle « une autocritique » en bonne et due forme, pour des propos qui lui sont faussement attribués.

L’article qui lui est reproché traite de la situation au Xinjiang, une vaste région de l’ouest du pays où s’affrontent, depuis de nombreuses années, la police et l’armée chinoise, d’un côté, et une frange militante de la « minorité ethnique » ouïgoure, turcophone et majoritairement musulmane, de l’autre. Il est fait grief à Mme Gauthier d’écrire que la politique d’assimilation forcée de Pékin à l’encontre des 10 millions d’Ouïgours, surtout dans les domaines culturels, religieux et linguistique, est en partie responsable des attaques sanglantes, à caractère terroriste pour certaines, dont les Han (ethnie majoritaire en Chine) et des officiels chinois ont été la cible ces dernières années. Pour Pékin, en revanche, la quasi-totalité de ces « incidents » est à mettre sur le dos du « terrorisme international » au même titre que les attentats de novembre dernier à Paris.

Mme Gauthier était accréditée depuis 2009. Elle connaît parfaitement la Chine, où elle avait déjà séjourné auparavant pendant une dizaine d’années. C’est l’une des rares journalistes en poste à Pékin à se rendre régulièrement dans les régions tibétaines et au Xinjiang, où les autorités chinoises sont confrontées à des mouvements de protestation récurrents qui sont invariablement réprimés. La presse officielle chinoise en souffle rarement mot, tandis que tout est fait pour dissuader les médias étrangers de se rendre sur place pour rendre compte de la situation. Il est pratiquement impossible pour un journaliste de travailler au Xinjiang sans être pris en filature par des agents en civil. D’audacieux reporters sont régulièrement interpellés ou expulsés de la région. Personne ne sait vraiment ce qui se passe non plus dans la « Région autonome du Tibet », car les reporters ne peuvent y exercer librement leur métier, en particulier depuis de sanglantes émeutes survenues en 2008.
Diplomatie de paillasson

Tout indique qu’en raison, entre autres, de son intérêt soutenu pour les régions du Tibet et du Xinjiang, Ursula Gauthier figurait sur une sorte de liste noire de journalistes devenus indésirables, et dont il fallait se débarrasser. L’agence officielle Chine nouvelle semble le confirmer en jugeant à cet égard que, « depuis longtemps, Ursula Gauthier a toujours fait preuve de partialité politique sur la Chine, et publie souvent des articles sans fondements ». Circonstance « aggravante », le fait qu’elle parle couramment chinois l’immunisait contre les pressions qu’exercent les autorités sur les interprètes et assistants chinois des journalistes étrangers. Ces derniers sont souvent contraints de faire des rapports à la police sur les activités de leur employeur.

La priorité absolue accordée par le gouvernement français à la « diplomatie économique » a probablement facilité les choses pour le pouvoir chinois. Le corollaire de cette « diplomatie du paillasson » – silence sur les condamnations de prisonniers politiques et silence sur les violations de la liberté de parole – garantissait d’une certaine manière que Paris laisserait expulser Mme Gauthier sans trop gesticuler. Le ministère des Affaires étrangères français s’est en effet contenté de deux lignes de réaction :
Nous regrettons que le visa de Mme Ursula Gauthier n’ait pas été renouvelé. La France rappelle l’importance que les journalistes puissent exercer leur métier partout dans le monde. »

Point final.

Il est bon de rappeler que, lorsque la Chine menaça de ne pas renouveler les visas de plusieurs journalistes du « New York Times » en 2013, en raison d’articles qui avaient déplu, le vice-président américain, Joe Biden, s’empressa d’intervenir. Il informa en personne le président chinois, Xi Jinping, qu’il y aurait des conséquences si les reporters étaient expulsés. Le message a porté. En 2009, la Chine menaça de ne pas renouveler le visa d’un responsable de la maison de production française Hikari, en raison d’un documentaire qu’il avait produit pour France 5, intitulé « Tian Anmen, mémoire interdite ». Le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Bernard Kouchner, fit savoir que deux journalistes de l’agence Chine nouvelle en poste en France se verraient privés de visa si cette menace était exécutée. Une fois encore, l’affaire fut réglée sans dommages.

Quelle qu’en soit la motivation, le manque de fermeté des autorités françaises est irresponsable. Le travail des correspondants étrangers en Chine est essentiel à la compréhension de ce pays. Or, les correspondants français à Pékin et leurs collègues étrangers se trouvent désormais davantage qu’auparavant à la merci d’un caprice autoritaire du département de la propagande du Parti communiste – qui est le véritable donneur d’ordre en la matière. La Chine, qui figure à la 176e place sur 180 sur l’échelle de la liberté de la presse établie par Reporters sans frontières, peut pour sa part donner d’elle-même une image plus édulcorée.

La Chine populaire, deuxième puissance économique mondiale, dont le pouvoir autoritaire et opaque ne cesse de s’affirmer, mérite qu’on s’y intéresse de plus en plus près. Force est néanmoins de constater que l’expulsion d’Ursula Gauthier ne va pas dans ce sens.

Stéphane Albouy, directeur des rédactions du « Parisien/Aujourd’hui en France », Christophe Ayad, chef du service International, « Le Monde », David Carzon, directeur adjoint de la rédaction de « Libération », Matthieu Croissandeau, directeur de « L’Obs », Sara Daniel, reporter, chef du service étranger, « L’Obs », Arnaud de La Grange, chef du service International, « Le Figaro », Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières, Marc Epstein, rédacteur en chef du service Monde, « L’Express », Jérôme Fenoglio, directeur du « Monde », Johan Hufnagel, directeur délégué des rédactions de « Libération », Laurent Joffrin, directeur de « Libération », Michèle Léridon, directrice de l’information de l’AFP, Marc Semo, rédacteur en chef de la rubrique internationale, « Libération », Sylvie Lasserre, journaliste et auteur, Marion Zipfel, journaliste, Marianne Barriaux, Séverine Bardon, Frédéric Bobin, François Bougon, Charlie Buffet, Boris Cambreleng, Anthony Dufour, Hélène Duvigneau, Benjamin Goducheau, Philippe Grangereau, Myrto Grecos, Gabriel Grésillon, Jean-Yves Huchet, Stéphane Lagarde, Philippe Massonnet, Pascale Nivelle, Carrie Nooten, Bruno Philip, Jordan Pouille, Abel Segretin, Michaël Sztanke, Pascale Trouillaud, Elisabeth Zingg, Joris Zylberman, anciens correspondants en Chine de l’Agence France-Presse, « Les Echos », « Le Figaro », « Libération », « Le Monde », Radio France Internationale et autres médias.