» Les Souvenirs de la dame en noir  » : Super-Nana à l’Atrium !

— par Selim Lander —

Maïmouna Gueye, Photo Eric Legrand

 On attend du comédien, surtout lorsqu’il se présente seul en scène, les qualités qui lui permettront d’imposer sa personnalité au spectateur. Le comédien n’est pas là pour enseigner, il n’a pas besoin de nous captiver par la profondeur de son discours. Nous voulons qu’il nous subjugue par sa présence, par son jeu, bref par son talent d’acteur. Les spectateurs qui auront eu la chance d’assister au spectacle de Maïmouna Gueye jeudi 13 mars 2008 à l’Atrium de Fort-de-France auront été, à cet égard, plus que comblés.

 Maïmouna Gueye a commencé le théâtre très jeune dans son Sénégal natal avec Gérard Chenet, auteur et metteur en scène d’origine haïtienne, qui lui a offert en particulier le rôle d’Antigone, puis elle est allée faire ses classes au conservatoire d’Avignon. On l’a vue dans quelques films puis, en 2003, elle a écrit et créé Les Souvenirs de la dame en noir, spectacle avec lequel elle continue de tourner, en alternance avec un autre « one woman show » plus récent, Bambi, elle est noire mais elle est belle, créé en 2006.

 L’ambiance des Souvenirs de la dame en noir est donnée dès qu’on pénètre dans le théâtre. La scène est jonchée de détritus. On voit au centre un matelas posé sur des palettes en bois, à droite une grande poubelle et, à gauche, un fil sur lequel pendent quelques vieux linges. On sait donc d’avance à quoi il faut s’attendre : une peinture de la misère humaine sur fond de décor trash. Par contre on ne sait pas encore si la comédienne saura nous émouvoir.

souvenirs de la Dame en noir Lorsque le spectacle commence, elle est juchée sur la poubelle, enveloppée dans une étoffe rouge qui la dissimule en grande partie. Cette étoffe sera un accessoire tout au long du spectacle, elle l’enlèvera, la remettra, s’en servira comme d’un rideau, ou d’une couverture, elle la manipulera pour lui donner une apparence presqu’humaine, et elle deviendra alors une partenaire, la cousine chérie vouée à un destin tragique.

 Le costume noir fait encore dans le style trash, un trash chic néanmoins. La comédienne en laissera tomber des bouts au cours du spectacle : un cache-cœur, une manche. De même qu’elle enlèvera le turban qui contenait avec peine une masse de cheveux dont la photo ci-dessus ne donne qu’une faible idée. Dire que cette fille est belle serait au-dessous de la vérité. Toute en finesse, la poitrine menue, les muscles discrètement dessinés, les doigts très longs et recourbés, elle possède la grâce. La scène où elle fait sa toilette, trempant un chiffon dans une bassine avant d’en humecter tout ce qui, de son corps, est dénudé – le haut de la gorge, le cou, les bras – est l’un des moments les plus érotiques qui nous aient été donnés de voir au théâtre.

 Mais on ne juge pas d’abord une comédienne à sa plastique. Certes, Maïmouna Gueye est consciente de sa beauté et de son sex appeal. Et elle n’hésite pas à provoquer les spectateurs masculins, en les renvoyant sans complexe à leur animalité de mâles. La provocation, néanmoins, n’est pas son seul registre. En un peu plus d’une heure, elle passe en revue la plupart des émotions humaines : l’indignation contre les injustices faites aux femmes, la colère parfois, la tendresse envers ses sœurs blessées, mais aussi la joie, la joie toute simple d’exister, envers et contre tout, et de sentir belle.

 Maïmouna Gueye se déchaîne et elle nous enchaîne. Elle passe du rire aux larmes, elle parcourt gaillardement le plateau de l’Atrium, elle se pose sur un siège improvisé, une vieille bobine de câble par exemple, elle sort un peigne d’une vieille valise et tente de mettre un peu d’ordre dans sa tignasse, puis elle y renonce et elle se cache derrière cette masse de cheveux qu’elle a fait tomber sur son visage, elle se couche par terre et câline le cadavre de son amie morte représenté par la pièce d’étoffe rouge, sa cousine morte de la méchanceté de la vie. A la fin du spectacle, couchée sur le matelas, dissimulée sous toujours la même pièce d’étoffe, elle marmonne quelque chose à propos de Bambi, le spectacle qu’elle donnera le lendemain dans la même salle. Quant au spectateur il est fasciné, du début à la fin.

 Il faut dire un mot des éclairages, très efficaces ; du son aussi : lorsque Maïmouna Gueye se met à chanter, on entend, tombant des cintres, un écho qui ajoute une dimension un peu onirique à ces moments du spectacle. Quant au texte, on aura le droit de le trouver un peu convenu. On n’apprendra rien qu’on ne sache déjà sur les malheurs de la femme africaine : excision, mariage arrangé, polygamie, vieux mari libidineux et jouvencelle frustrée, avortement sordide, jusqu’au suicide parfois. Fallait-il en faire un fonds de commerce à l’usage du public occidental ? La question restera posée. Encore que… Le théâtre a le droit de se saisir de tous les sujets. Il suffit qu’il en fasse un spectacle séduisant. Nul ne contestera que ce soit bien le cas avec Les Souvenirs de la dame en noir.

 Bambi noireOn sera moins enthousiaste, de ce point de vue, à l’égard de Bambi. L’argument est tout aussi convenu : les mésaventures de la jeune (et belle) africaine qui débarque en France dans les bagages du jeune Français qu’elle a réussi à marier et qui découvre la belle famille, la nourriture, la verte campagne et le métro parisien, etc. Le ton est plus léger que dans Les Souvenirs, ce qui n’est, a priori, ni meilleur ni pire. Le problème avec Bambi, c’est plutôt qu’on y cherche vainement la dimension théâtrale qui faisait la force des Souvenirs. De décor, il n’y a point. Juste une table et une chaise qui apparaissent à un moment. Pour le reste, il faut se contenter du rideau du fond de scène, écran sur lequel sont projetées des images tantôt fixes, tantôt animées. Quant au costume, il semble plutôt fait pour le podium d’un défilé de haute-couture que pour une scène de théâtre Et la comédienne, si vivante dans les Souvenirs, paraît, en comparaison, presque figée. On se trouve devant l’un de ces spectacles – certes populaires – où un « comique » vient faire rire la salle avec ses mots plutôt qu’avec son jeu. On ne saurait trop recommander à Madame Gueye de continuer plutôt à faire du bon théâtre. Il ne lui manque ni le talent, ni la générosité qu’il faut pour cela.

 Selim Lander, Shoelcher, 15/03/08

 

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 Une autre critique : celle de Laurence Aurry

 

 

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Maïmouna Gueye :

 » J’ai fait un rejet total des non-dits, des désirs enfouis « 

  

 Cette Sénégalaise a écrit  » Bambi, elle est noire mais elle est belle « , qu’elle interprète au Tarmac : une femme quitte l’Afrique pour vivre sa vie en France

Maïmouna Gueye joue au Tarmac de La Villette Bambi, elle est noire mais elle est belle, une pièce à une voix qu’elle a écrite. On y voit une femme quitter l’Afrique et vivre sa vie en France. Il y a de l’humour, de la profondeur et une vitalité aussi éclatante que la beauté de Maïmouna Gueye, qui n’a pas peur de terminer son spectacle par :  » Alléluia, il bande ! « .


Cette histoire, c’est la vôtre ?
Tout est parti d’une phrase que j’ai entendue dans ma belle-famille quand je suis arrivée en France :  » Elle est noire mais elle est belle. «  Je viens du Sénégal. Quand vous débarquez d’Afrique, cet humour – qui n’en était d’ailleurs pas -, c’est quelque chose qui choque. Aujourd’hui, j’ai pris assez de distance pour en parler légèrement.

La France, c’était un rêve, pour vous ?

Oui. Dans la première pièce que j’ai écrite et jouée en 2003, Les Souvenirs de la dame en noir, j’ai parlé de cet el dorado que représente la France, pour une fille qui veut fuir l’excision et le mariage arrangé. Ce rêve est ancré en moi depuis que je suis toute petite. Peut-être que les dictées que nous donnaient les instituteurs y sont pour quelque chose. Dans ces dictées, la couleur noire était toujours associée à ce qui n’est pas beau, et le blanc à ce qui est limpide, pur.

Je ne sais pas si c’est cela qui m’a déstabilisée. En tout cas, je tenais absolument à me marier avec Alain Delon – je veux dire avec un Français – et à me barrer. Et j’ai refusé toutes les propositions de mariage faites par ma famille.

Vos parents vous ont écoutée ?

J’avais 16 ans quand ils sont morts, à un an d’intervalle. Après, il restait ma grand-mère, mes tantes et les grands frères. Malgré mon jeune âge, je leur ai fait face.

Je me suis mariée avec un Français, très vite et très jeune. Et je suis partie. Mon combat, aujourd’hui, est de faire que mes sœurs n’aient pas à subir quoi que ce soit. Qu’elles aient le choix.

Mes sœurs, c’est au sens large ?

Oui. C’est comme quand je dis mes mères. Je pense à ma tante qui est restée en Afrique, et qui depuis quinze ans n’a plus revu son mari, parti en Espagne. Quand des émigrés rentrent, ils lui disent que son mari a épousé une Espagnole. Ma tante est aigrie. Ecrasée par le poids de la tradition, elle ne divorce pas. Et elle a enterré sa vie de femme. Enfant, j’avais les yeux grand ouverts sur tout cela. Je me sentais étrangère, déjà, dans mon propre pays. J’étais celle qui dit non, la dévergondée qui veut faire du théâtre. Je rêvais de paroles, je voulais vomir le trop-plein de choses qui bouillonnaient en moi.

Avez-vous fait du théâtre au Sénégal ?

Oui, avec Gérard Chenet, un auteur haïtien exilé au Sénégal depuis trente ans, j’ai joué Antigone pendant deux ans. Quand je suis arrivée en France, il y a sept ans, je me suis retrouvée à Avignon, où mon ex-mari avait été muté. Je me suis dit que cela tombait bien : la ville du théâtre. Je suis entrée au Conservatoire. Je voulais apprendre parce que je ne connaissais presque rien.

Pour moi, c’est ça l’intégration : prendre des décisions pour se sentir bien. Ce n’est pas cette phrase qu’on te dit quand tu arrives :  » Intègre-toi. «  Le mot  » intégration  » me fait sursauter. J’ai l’impression qu’il a une connotation noire, colorée en tout cas.

Qu’on le veuille ou non, ce mot s’adresse aux étrangers, même si on peut l’employer pour un Français de souche.  » Intègre-toi « , cela veut dire :  » Ressemble à tout le monde. «  Et on n’a pas à ressembler à tout le monde.

Dans votre spectacle, vous dites que  » la connerie n’a pas de couleur « .

Oui. En arrivant en France, j’ai très vite compris que tous les hommes n’avaient pas les yeux bleus. Mais il y a d’autres côtés très beaux, comme la liberté. Ça, je ne le dirai jamais assez.

Vous parlez de sexe d’une manière directe, ce qui n’est pas dans la tradition française.

Quand je rentre dans ma famille, en Afrique, on me dit :  » Pourquoi tu ne fais pas d’enfant ? C’est la chose de ton mari qui ne marche pas ? «  Non. Je ferai un enfant quand j’en aurai envie. Je veux décider de ma sexualité et parler du désir, parce que c’est de là que naît tout.

J’ai fait un rejet total de tous les non-dits. Du coup je vais vers l’interdit, même inconsciemment. Je parle de sexe comme je parlerais de l’eau qui coule. Je dis non aux désirs enfouis, oubliés, aux corps morts. Et, effectivement, je dis dans le spectacle :  » Il bande « , parce que c’est comme ça : l’homme bande, et c’est ce que la femme attendait.

propos recueillis par Brigitte Salino

Bambi, elle est noire mais elle est belle,

de Maïmouna Gueye. Mise en scène : Richard Bean. Avec Maïmouna Gueye. Tarmac de La Villette, 211, avenue Jean-Jaurès, Paris-19e. Mo : Porte-de-Pantin. Tél. : 01-40-03-93-95. Jusqu’au 22 avril. Du mardi au samedi, à 20 heures ; dimanche à 16 heures. 10 ¤ et 15 ¤. Durée : 1 h 15.

Souvenirs de la dame en noir (Les)
Maïmouna Guéye (Acteur(trice)), Maïmouna Guéye (Metteur(euse) en scène)