Les propres de l’homme : autour de « Masculinités », de Raewyn Connell

— Par Jean-Louis Jeannelle —
masculinites-400Les opposants au mariage pour tous s’étaient fixé pour mission la défense d’un ordre « naturel » entre les sexes : inviter hommes et femmes à reconnaître leur complémentarité avait pour effet de les renvoyer à leurs différences, supposées immuables. Fallait-il comprendre qu’il existe une « nature » masculine ? Ouvrons le Dictionnaire des sexualités, dirigé par Janine Mossuz-Lavau, à l’entrée « masculinité » : « Historiquement était dévolu à l’homme ce qui relève de l’extériorité : l’initiative, l’action, la réalisation. Sur le plan de la personnalité, la fermeté, la maîtrise de soi, le contrôle des émotions. Revenait à la femme ce qui relève de l’intériorité et appartient à la sensibilité ». Dans les faits, les individus de sexe masculin sont pourtant loin de naître armés de telles dispositions et n’ont pas trop des normes inculquées dès l’enfance, des contraintes éducatives ou des rituels d’intégration (pensionnat, séminaire, salle de garde, service militaire, équipe de foot…) pour devenir ces mâles que l’on attend d’eux qu’ils soient.

Or ce lent travail d’adéquation (plus ou moins « réussi », selon les cas, ou selon les avis de ­chacun) s’opère avant tout par différenciation⋅ La masculinité n’existe pas en soi, mais par contraste, sous une forme que la sociologue australienne Raewyn Connell a décrite comme « hégémonique » dans un essai, Masculinités, qui fit date en 1995, mais dont la traduction ne paraît qu’aujourd’hui⋅A première vue, l’idée de « masculinité hégémonique » semble peu différente du bon vieux patriarcat auquel les féministes s’étaient attaquées durant les années 1970. Mais à première vue seulement⋅⋅⋅

L’éclairage : Le sexe comme culture

Prenons l’image d’un match de foot, un jour de championnat, et considérons les quatre grandes masses suivantes : fort réduit est le nombre de ceux qui courent réellement après un ballon dans la boue et se taclent ; bien plus important celui des supporteurs qui poussent des cris dans le stade ou devant leur télévision ; une bonne moitié des compatriotes se contentent, quant à eux, de s’informer des résultats, tout en devisant sur les salaires astronomiques des joueurs ; reste enfin une minorité franchement hostile à ces jeux du cirque contemporains et qu’irrite même la vue du journal L’Equipe. Si la masculinité hégémonique désigne une configuration entre les genres visant à assurer la domination des hommes sur les femmes, assez rares sont les prétendants capables de mettre en œuvre tous les attributs supposés de la masculinité : beaucoup se contentent de ce que Raewyn Connell nomme « masculinité complice », autrement dit bénéficient des dividendes du patriarcat sans descendre sur le terrain (aussi font-ils leur part – réduite – de tâches ménagères tout en jugeant que les féministes sont des « extrémistes qui passent leur temps à brûler des soutiens-gorge »). Quant au reste des troupes, ils se partagent entre la « masculinité marginalisée » de certaines classes sociales ou raciales (tels les Noirs dont la virilité fantasmée est associée dans les imaginaires à une violence collective incontrôlée), et la « masculinité subordonnée » des homosexuels (toujours susceptibles d’être attaqués pour non-respect du strict partage entre le masculin et le féminin).

LABILITÉ DES DÉSIRS

Car Masculinités ne se contente pas de dénoncer les privilèges d’ordinaire reconnus aux hommes. Née Robert William, Raewyn Connell n’ignore pas que la virilité s’ancre dans les corps et passe par toutes sortes de blessures auto-infligées, minorées par la société, ainsi qu’en témoignent l’éducation des jeunes garçons, dont la violence est excusée comme un trait de caractère naturel, les performances des sportifs – un match de boxe pourrait être décrit comme un passage à tabac, mais réciproque et librement consenti… –, ou encore l’usure des corps ouvriers.

Lire Plus => http://www.lemonde.fr/livres/article/2014/06/25/l-identite-et-la-sexualites-masculines-decortiquees-en-trois-livres_4445132_3260.html

Lire aussi le compte-rendu de Delphine Moraldo

Masculinités. Enjeux sociaux de l’hégémonie (Masculinities), de Raewyn Connell, multiples traducteurs de l’anglais (Australie), édité par Meoïn Hagège et Arthur Vuattoux, Amsterdam, 286 p., 25 €.

Dictionnaire des sexualités, sous la direction de Janine Mossuz-Lavau, Robert Laffont, « Bouquins », 1 024 p., 32 €.

Propos sur le sexe, de Daniel Welzer-Lang, Payot, 250 p., 22 €.