Les mots comme résistance à l’oppression et comme rempart contre la mort.

A Madiana : "La voleuse de livres"

 la_voleuse_de_livresPeu de films relatent la seconde guerre mondiale guerre du point de vue de la population allemande, voûtée sous les bombardements, toute à la fois soumise au régime nazi et soutien du pouvoir hitlérien. « La voleuse de livres », le film du Britannique Brian Percival adapté du roman best-seller de l’Australien Markus Zusak est donc une exception. Et ce à plus d’un titre.

 Allemagne donc, 1939. Un train, une femme, deux enfants, une fille d’une douzaine d’année, un garçon de quatre cinq ans, tout trois hantés par la faim. Le garçon ne survit pas, il meurt dans les bras de sa mère. Celle-ci, communiste, est contrainte de laisser sa fille Liesel chez les Hubermann, une famille d’adoption composée de Hans le mari, un père au cœur d’accordéon et Rosa, une mère au cœur colérique. Si le premier intérêt de la famille adoptive est la pension versée par l’État, très vite l’attachement va prendre le dessus. A douze ans Liesel ne sait ni lire ni écrire. Elle subit une humiliation suprême le jour où elle intègre la classe de la petite ville quand ses camarades découvrent son ignorance. Seul Rudy un garçon aux cheveux couleur citron, va s’émouvoir et tomber gentiment amoureux de la belle Liesel dont la personnalité tressée d’orgueil et de fierté va vite l’accaparer. Le jour de l’enterrement de son petit frère un livre est tombé de la poche d’un des officiants : « Le manuel du fossoyeur ». Le soir, alors qu’elle est dans son lit, Hans la découvre tentant de déchiffrer le manuel. Il ne lit pas bien mieux qu’elle. Il va l’aider. Ainsi se noue une solide amitié, et se développe une complicité entre Hans et Liesel. Si Hans, réformé de 14-18 apparaît comme un papa gâteau, Rosa, aux manières un peu brusques, dissimule mal un cœur d’or. Les Huberman sous des allures plutôt rustres cachent dans leur cave, Max, un juif pourchassé et promis à l’extermination. Les liens d’amitiés qui réunissent les principaux protagonistes se construise autour de la littérature, de l’amour des mots et de leur capacité à tenter de nommer, à approcher l’impossible du réel. L’œuvre littéraire, ou plus modestement l’écrit à cette fonction de retarder la mort. Le texte survit à son auteur. C’est dans la lecture que Liesel va apprendre à penser et par là-même à résister à l’endoctrinement nazi. L’accès au livre est un moyen d’émancipation. La camarde, dont la voix, navigant entre humour noir et cynisme cerne, ponctue les différents épisodes, se fait la narratrice et se veut le fil conducteur du film.

 Les comédiens sont d’une grande justesse. Geoffrey Rush (« Le Discours d’un roi », « Pirate des Caraïbes ») dans le rôle de Hans Huberman est touchant d’humanité. Emily Watson (« Breaking the Waves », « Gosford Park ») son épouse irritable, est bouleversante de vérité. Ben Schnetzer dans le rôle Max Vanderburg le jeune juif traqué par la soldatesque hitlérienne, est une sorte de grand frère qui encourage Liesel à développer son imaginaire, à dépasser son enveloppe mortelle par la littérature. Enfin la dernière mais pas la moindre, Sophie Nélisse, qui incarne Liesel, est tout simplement époustouflante, pour ne pas dire prodigieuse. A coup sûr une étoile est née.

 Voilà tout le bien que l’on peut dire de ce film. Est-ce tout pour autant ?

 Il faut se résigner à parler des faiblesses de cette œuvre qui n’arrive pas à nous toucher plus profondément. La magie cinématopgraphique n’opère pas. Est-ce dû à cette mauvaise idée de dialogues en anglais pour décrire une situation qui ne cesse de se dérouler dans une petite ville typiquement allemande ? Est-ce cet accent germanique incongru dont sont affublés certains personnages ? Est-ce ce méli-mélo de textes en anglais et en allemand ? Le spectateur s’il est pris par le film reste à l’écart de toute émotion réelle. La reconstitution des lieux est belle, juste, les scènes de violences nazies sont plus souvent évoquées qu’exhibées. La dureté de la guerre est plus suggérée qu’illustrée, sauf à la fin quand il s’agit de montrer la ruine de l’Allemagne où l’a conduite la folie d’un peuple. Alors quoi ? Une cinéphile, spectatrice assidue des séances en V.O. dira à la sortie de la salle : « On se dit que le décor est beau, bien reconstitué, le seul ennui c’est qu’on se le dit pendant tout le film. »

Fort-de-France, le 25/02/2014

R.S.