Les départements d’outre-mer : d’abord une opération de géopolitique

Par Yves-Léopold Monthieux 

Dans le cadre de son cycle « Dé colonisations », la Fabrique décoloniale a organisé le samedi 13 janvier 2023 à la Médiathèque du Lamentin une conférence donnée par Fred RENO, professeur de sciences politiques en GUADELOUPE. Le thème annoncé « La Martinique est-elle ingouvernable ? » avait attiré une assistance nombreuse et variée, quelque peu déçue que le sujet traité fut trop peu martiniquais à leur goût.

L’entre-soi médiatico-politique est la règle dans l’espace intellectuel

On pouvait relever de leur part un intérêt modéré pour la politique guadeloupéenne. Néanmoins, l’orateur avait su capter l’attention, ne réussissant pas toujours à tenir son propos hors de ses propres convictions politiques. Comme c’est souvent le cas dans ce genre de rencontre, l’assistance était presque exclusivement composée de militants « anticolonialistes » comme venue recevoir la becquée, avec une note particulière pour des activistes qui, bien répartis dans la salle, surent se faire entendre au moment de poser les questions.

Votre serviteur avait souhaité réagir à une affirmation récurrente reprise par le professeur RENO. Mais l’expérience a été faite, une fois de plus, que l’entre-soi médiatico-politique est la règle dans cet exercice, bien qu’il soit régulièrement chahuté par des spécialistes à la technique bien rodée. Celle-ci consiste pour leurs adeptes à profiter de tout auditoire acquis pour se mettre en valeur ou faire passer des messages qui n’ont souvent rien à voir avec le sujet. De sorte qu’au cours du débat, il ne fut rien dit qui n’ait été mille fois répété depuis un demi-siècle de discours convenus. D’où la rédaction de ces lignes qui ne sont pas susceptibles de bénéficier d’une large diffusion. Elles restent néanmoins la seule possibilité de faire connaître un tant soit peu une parole différente de celle de la doxa.

La fable du « père des départements d’Outre-Mer ».

Ainsi donc, le professeur a repris l’antienne selon laquelle, en 1946, les deux députés martiniquais Aimé CESAIRE et Léopold BISSOL auraient arraché à l’Etat la loi dite d’assimilation. Cette assertion pour le moins complaisante qui conduit par ailleurs à tout ramener à la Martinique, constitue un prérequis fondamental de l’histoire des institutions politiques de l’outre-mer français, telle que rapportée par les médias, professeurs et historiens martiniquais. Cette présentation d’un évènement historique majeur a pu conduire la population martiniquaise à succomber à un double phénomène émotionnel. Aimé Césaire a pu ainsi être considéré comme le père de la départementalisation, distinction qui a puissamment aidé à sa fortune politique exceptionnelle. Tandis qu’une reconnaissance éternelle était vouée au général de GAULLE qui n’avait pourtant jamais pensé qu’à l’intérêt de la FRANCE. C’est le triomphe d’une double illusion et de la propension proprement martiniquaise à toujours préférer l’utopie au pragmatisme et ramener le fait politique à l’émotionnel.

Guy CABORT-MASSON avait raison

Dans sa lettre ouverte du 2 juin 1981 à Aimé CESAIRE, au lendemain du moratoire et évoquant le rapporteur de la loi de 1946, Guy CABORT-MASSON avait ouvert une fenêtre qui ne fut jamais fermée. « Vous ou un autre peu importe, disait-il à Césaire, la bourgeoisie et les communistes français auraient toujours trouvé un esclave domestique de service pour ce faire ». Laissons à l’auteur la responsabilité des 7 derniers mots : sa missive n’était pas tendre pour Césaire ! Cependant si l’on peut considérer que la départementalisation fut en réalité une nouvelle manière de « posséder » les 4 vieilles colonies, il est exagéré d’affirmer que la méthode fut l’œuvre, y compris, de la bourgeoisie française. Les socialistes s’y étaient fermement opposés, notamment en la personne d’André PHILIP, l’économiste de la SFIO et futur premier ministre de l’Economie du premier gouvernement de la 4ème République, présidé par le socialiste Paul RAMADIER. Par ailleurs, il n’est pas sûr que la droite française ait vu d’un bon œil cette intégration. En réalité, le général de GAULLE et les communistes soupçonnaient les ETATS-UNIS de vouloir annexer les territoires français caribéens. Le premier était animé par le souci du rayonnement de la FRANCE tandis que, y voyant l’expression de l’impérialisme américain, les seconds voulaient y faire obstacle.

Les 2 parties étant sur la même ligne, le chef du gouvernement avait donc confié au secrétaire d’Etat des colonies Jacques SOUSTELLE et à Gaston MONNERVILLE, sénateur et ancien sous-secrétaire d’Etat aux colonies, le soin de trouver une formule juridique qui dissuadât les Américains de lorgner vers les territoires français des Caraïbes. C’est alors que l’intérêt de l’Etat et celui des populations se sont rencontrés. Le choix se porta tout naturellement sur la départementalisation depuis longtemps souhaitée par les colonies concernées. Le sénateur guyanais qui avait proposé de désigner CESAIRE comme rapporteur de la loi et celui-ci allait remplir cette mission par une véritable ode à l’assimilation. Selon l’historien Oruno de Lara, l’intéressé dira plus tard qu’il se serait laissé prendre au piège.

La départementalisation en Outre-Mer fut un acte de Géopolitique

Après sa démission du gouvernement en janvier 1946, Charles de GAULLE avait craint que la nouvelle équipe présidée par Félix GOUIN remît en cause le projet. D’où ses interventions personnelles jusqu’au jour du vote de l’Assemblée nationale, le 19 mars 1946, auprès des rédacteurs de la loi. Peut-on sérieusement croire que cette insistance de l’homme du 18 juin ait pu résulter de son intérêt particulier pour le sort des populations de nos territoires. On a vu la capacité de cet homme de fermer les yeux en d’autres circonstances. En réalité, la loi de départementalisation avait été une décision de géopolitique qui, par effet d’aubaine, avait répondu aux attentes des populations de Guadeloupe, Guyane, Martinique et Réunion. Guy CABORT-MASSON avait tort d’inscrire la décision dans une démarche coloniale ordinaire, mais il avait vu juste, s’agissant de l’origine de la décision. Celle-ci avait été indépendante de la volonté des populations concernées et de leurs élus qui voyaient simplement leur désir se réaliser en une sorte d’alignement des planètes.

Deux conclusions peuvent découler des circonstances. Il convient d’abord de relativiser les promesses faites aux DOM dont le contenu n’a jamais été connu. Lesquelles, au lendemain de la guerre, ne devaient guère aller au-delà d’un certain plafond. Par ailleurs, la nouvelle République se trouva dès le début aux mains des socialistes dont les réticences ont été rappelées. On peut comprendre qu’ils ne furent pas très concernés par les promesses supposées du gouvernement provisoire, de sorte que le retour au pouvoir du général de Gaulle, en 1958, peut être regardé comme le vrai départ de la départementalisation en Outre-Mer.

Fort-de-France, le 14 janvier 2024

Yves-Léopold Monthieux