Le sauvage et le barbare

— Par Rudy Rabathaly —

La lisse blancheur de la couverture de Retour à la parole sauvage, le dernier ouvrage de Monchoachi, ainsi que la faible police de caractère du titre, pourrait avec effarement donner à présumer que depuis son anba bwa, le poète rebelle hisse le drapeau de la reddition ou pire, de la neutralité dans son marronnage à vivre dans la beauté.

Heureusement du bonheur, ce saisissement de désertion de la sentinelle de l’extase qu’il est, s’étiole à la vitesse de la descente d’un gonbo dans la gorge d’un malheureux : le sauvage garde toujours langue.

Une parole qui cette fois, sous le bouclier des mots en prose traverse les champs de bataille des lieux du monde à la rescousse des écrasés de la prétendue grandeur civilisatrice. Dans cette guerre de re-conquête en subjugation del’ombre du présent, Monchoachi, lutteur aux langues nues, sans crainte mais aussi sans arrogance, défie les illusions du modernisme du nouveau Monde. Le ladja prend forme dès les premières pages du recueil. La parole sauvage bande tous les muscles des magies de sa poésie chantée face à la barbarie d’un monde cul-de-jatte de la beauté vré. Et cette offensive aussi brutale qu’elle puisse s’épanouir, Monchoachi considère qu’il y a urgence à la mener :

« Réfléchir à ce rapport est-ce probablement la façon la plus appropriée aujourd’hui de redécouvrir et de réinventer cela qui a déjà eu lieu et dont le lieu, dès lors qu’il émerge, resplendit de mille éclats du déploiement de la parole qui danse avec le monde, avant que cette parole ne soit définitivement recouverte et ruinée ».

En lançant ses coqs dans le pitt de l’Essai plutôt que de la Poésie ( mais faut-il vraiment chercher une distinction tellement le son de la langue est même-pareil), les ergots de la plume de Monchoachi ne perdent pas une once de leur affilage, lacérant sans manman dans une rythmique effrénée de traverses de volupté, les corruptions de la pensée découlant par exemple chez nous, de la barbarie de l’assimilation et ses gangrènes.

Vivre dans et pour ce massacre, c’est ce complaire dans l’unicité, l’identique du monde ne laissant place à rien. Ni à soi, ni à l’autre. Recommandons ici, de s’attarder sur l’analyse que nous propose l’auteur face à la glace du temps présent. Par exemple, notre miroir du racisme, le regard sur l’humanisme voire sur la qualité des combats culturels ou politiques à mener sur notre île. Des actualités où nous sommes toujours prompts à nous faire monter en l’air dans des lallations sans fin, les artifices du rafistolage permanent des effets de la grande colonisation occidentale. Des coups de vent de mains en chasse de yenyen sur le gros bobo originel.

Certainement que Monchoachi, même s’il considère que la Pensée ne se révèle que sous les bois, son habitat privilégié, réfuterait à ce qu’on le qualifie de penseur. Il a raison. Le terme est sans doute trop porteur de cette globalité philosophique du Sens. Peut-être aussi craint-t-il un enfermement de sa parole ? La perte de la sauvagerie, qu’à tous les coups lui octroie la poésie libératrice, lance de feu contre les inhumanités viciées et desséchées. N’est-ce pas Trotski qui disait que : « le besoin de poésie est aussi important que le besoin de pain. »

Que l’on soit définitivement rassuré : l’essai de Monchoachi ne ponctue et surtout ne capitule devant aucun totalitarisme des temps modernes. Ce recueil n’est pas non plus une simple parenthèse dans sa cosmogonie poétique de Lémistè (cette lumière dit-il, qui tourbillonne des mystères). Mieux, il l’habille d’autant d’humanité de parole en l’offrant à « cette terre qui n’a pas encore de forme.»

Rudy Rabathaly

Monchoachi : « Retour à la parole sauvage » Edition lundimatin. 265 pages. 16 €