Une marche forcée sontre le sens de l’Histoire
— Par Yves Untel Pastel —
Le débat qui s’est cristallisé autour des statues glorifiant la France conquérante aux Antilles Françaises n’est pas une simple controverse historique, mais une question fondamentale de dignité humaine et de justice mémorielle. Ces monuments, érigés à la gloire d’un passé colonial et esclavagiste, constituent une insulte flagrante et intolérable à la population antillaise. L’acte de les déboulonner, loin d’être un vandalisme, s’inscrit dans un mouvement global de dignité, que l’institution judiciaire peine à reconnaître.
I. Le Cynisme de l’Emblème Paternaliste
Comment concevoir l’audace de brandir un emblème prétendument libérateur ou civilisateur à la face d’un peuple que la puissance érigée a elle-même déporté, asservi et exploité ? Ce geste est d’un cynisme insupportable. Les statues représentant des figures de l’administration coloniale, ou des allégories de la « France conquérante », sont des affirmations de la légitimité d’une domination passée, minimisant l’infamie de l’esclavage.
Les Antilles sont littéralement une terre-cimetière, où le sol porte les stigmates des âmes broyées par le système esclavagiste. Positionner de tels monuments sur les carrefours, c’est profaner l’espace civique et imposer une négation quotidienne du traumatisme historique. Laisser ces symboles en place revient à perpétuer une blessure à l’inaltérabilité de la dignité humaine universelle. La grandeur d’une nation ne peut jamais justifier la magnification d’un système reconnu par le droit comme un crime contre l’humanité. Face à cette injure de bronze, l’appel à briser et « déchouquer » ces symboles devient un impératif moral visant à récupérer l’espace public et à affirmer le respect non négociable dû à tout peuple.
II. La Contradiction Juridique : Honorer un Crime Imprescriptible
La légitimité morale du « déchoukaj » est paradoxalement étayée par la loi française elle-même. La Loi Taubira (2001) a formellement reconnu la traite et l’esclavage comme crime contre l’humanité, leur conférant l’imprescriptibilité.
Cette reconnaissance place les statues glorifiant des figures liées à ce système criminel dans une contradiction flagrante. Elles sont des monuments à la gloire d’un crime légalement reconnu. Maintenir ces symboles, c’est perpétuer une insulte légalisée. Le procès intenté ces jours mêmes (5, 6, 7 novembre 2025) à de jeunes Martiniquais pour la destruction de ces symboles est donc indigne et sans légitimité morale. En privilégiant la protection du bien matériel (le bronze), le geste dominateur sur la protection de la dignité et de la mémoire d’un peuple, ce procès tente de criminaliser la quête de la dignité et de la justice mémorielle qui découle logiquement de la loi de 2001.
III. Un Geste Héroïque dans la Marche Mondiale de la Dignité
L’acte de déboulonner, de déchouker, s’inscrit dans une dynamique mondiale et historique de décolonisation de l’espace public. Il n’est ni isolé, ni irréfléchi :
- Il fait écho aux retraits des monuments confédérés aux États-Unis et des statues de conquistadors en Amérique Latine.
- Il rejoint l’élan qui a vu le marchand d’esclaves Edward Colston être jeté à l’eau à Bristol.
Les actions menées en Martinique contre des statues comme celle de Joséphine de Beauharnais (liée au rétablissement de l’esclavage) ou le geste de s’attaquer à la figure coloniale, sont un geste profondément héroïque. Ces jeunes rappellent à l’humanité qu’elle ne peut pas honorer à la fois la dignité et l’instrumentalisation d’un crime imprescriptible. Ils déracinent le mensonge historique pour jeter les bases d’un avenir basé sur le respect inconditionnel.
Conclusion : La Marche Inéluctable de la Dignité
Quel que soit le verdict rendu dans ce procès, il ne pourra freiner la marche de l’histoire. Une décision de justice formelle ne saurait annuler la légitimité morale d’un peuple à rejeter la glorification de son oppression. Le tribunal ne jugera que le délit de destruction, mais l’histoire jugera la pertinence de ces symboles.
Ce procès est une marche forcée contre le sens de l’histoire. Il n’appelle qu’une seule et unique suite logique : la continuation résolue du mouvement visant à démanteler tout symbole d’agression, de domination et de négation qui blesse l’humanité. L’espace public doit être purgé de ces insultes de pierre et de métal. Briser ces idoles de l’oppression n’est pas effacer l’histoire ; c’est en corriger l’injure. C’est un acte de résilience fondamentale qui affirme que la dignité humaine est la seule valeur non négociable, et la seule à mériter d’être magnifiée.
Yves UNTEL PASTEL, Poète.
Exhortation poétique
L’Ombre de Bronze aux Carrefours de Sable
Aux carrefours brûlants, aux places de corail,
Se dresse un bronze froid sous le ciel des Antilles.
Il mime la victoire, il parade et il taille
Dans le vent salin l’orgueil d’une métropole qui brille et aveugle.
C’est la France en statue, conquérante et altière,
Qui brandit l’étendard d’un passé déporteur,
Un emblème de fer sur une terre cimetière,
Où chaque pas réveille un million de douleurs.
Comment osez-vous ? – l’écho gronde et siffle –
Affubler de lumière ce cynisme pesant ?
Vous offrez un paternalisme, un geste qui vacille,
Prétendu libérateur au peuple que vous avez saigné.
À la face d’un peuple dont les ancêtres, broyés,
Ont nourri le cachot, la canne et le fouet,
Vous dressez le trophée des bourreaux déployés,
Et par le marbre muet, l’infamie est niée.
Le sol qu’ils foulent est un mémorial vivant,
Chaque grain de sable porte une âme disparue.
Et la mémoire des morts, supplice incessant,
Est recouverte par l’oraison de la gloire indue.
Ô insupportable cynisme, qui légitime l’opprobre,
Qui sanctifie l’esclavage et sa trace amère !
On ne magnifie pas l’ombre, on ne célèbre pas le fardeau sobre,
D’une grandeur bâtie sur l’agonie et la misère.
Il faut briser ! Il faut que la masse tremble !
Que s’émiettent ces insultes de métal et de pierre !
Que la profanation s’écroule, qu’on les déchouke ensemble,
Ces mensonges figés qui souillent notre atmosphère.
Au nom du respect, ce droit non négociable,
Dû à l’Homme, à chaque peuple, sans aucune entorse,
La dignité n’admet ni trêve ni piétinement justifiable,
Nulle exception, nulle tolérance, nulle force.
Car si tous les hommes sont devant l’honneur égaux,
La grandeur d’une nation ne saurait être l’alibi
Pour le piétinement d’autrui, de ses souffrances, de ses maux.
La dignité de l’Un n’écrase pas celle d’une partie de l’humanité.
Que tombent les statues, que le bronze se fissure,
Pour qu’enfin la lumière brille sur la vérité nue :
La seule icône digne est la mémoire pure,
Et le respect profond de la justice rendue.
YVES UNTEL PASTEL
