Le président Serge Letchimy reprend la main et prend date.

— Par Yves-Léopold Monthieux —

Lorsqu’à la fin des années 1990 l’incertitude planait sur l’avenir du PPM, le parti de Césaire détenait outre la ville de Fort-de-France qui comprend le quart de l’électorat martiniquais, le conseil régional, un sénateur, un député et trois autres municipalités, Le Robert, Le Carbet et Le Marin. Seule la personnalité hors normes d’Alfred Marie-Jeanne disputait au PPM la présidence du conseil régional, mais Chaben n’avait rien derrière, comme on dit chez nous. Les difficultés du parti étaient d’ordre interne, l’animosité entre deux hommes : le secrétaire général Camille Darsières et celui qui était alors au firmament des sondages, le président du conseil général Claude Lise. Dès lors, l’annonce de la déroute du PPM au départ de Césaire m’avait paru d’une grande légèreté. Et de fait, la suite allait faire bon marché des supputations et tout indique qu’en l’absence de Serge Letchimy, Claude Lise aurait été élu maire de Fort-de-France.

A nouveau, le faible score réalisé aux dernières élections législatives par les candidats soutenus par le PPM a été vu comme le présage de jours difficiles pour ce parti. Cependant, Serge Letchimy tient beaucoup de son mentor et stratège Camille Darsières qui, bien qu’étant mal aimé par le microcosme, avait su conduire la gauche à la victoire grâce à son improbable Pacte d’unité de la gauche, en 1983. Cet accord avait eu raison de la droite qui ne s’en est jamais relevée, tout occupée à ses divisions internes. Il avait remporté la totalité des cantons de Fort-de-France alors qu’il en avait manqué trois à Césaire lui-même. S’il ne suscite pas un vrai élan affectif dans l’opinion et de la part de ses collègues, Serge Letchimy n’en est pas moins un leader incontestable. Dévoilée par un excès d’ego, sa bourde tendant à se faire désigner officiellement président de la CTM n’est qu’une maladroite tentative de régularisation. Je n’ose croire au retour de ce que j’écrivais dans l’article CTM : la défaite d’un système politique (décembre 2015). La défaite du PPM à la CTM me paraissait celle « d’une manière de totalitarisme [qui] a ainsi envahi l’establishment et mis en coupe réglée tout ce que ce pays possède d’élus dénués de conviction ; d’associations sportives, culturelles, humanitaires ; de défense des droits de la femme, des Droits de l’Homme ; de clubs service, de chambres consulaires, d’ordres ou de syndicats professionnels ; de directeurs d’établissements scolaire ; d’universitaires et intellectuels empressés ; de relais médiatiques de toutes sortes ».

En définitive, pour Serge Letchimy, les résultats des récentes élections législatives pourraient receler des motifs d’espérance insoupçonnés. Après la défaite aux législatives de son poulain, le maire de Ste Marie voit ses prétentions d’alliés du PCE ramenées à de plus humbles proportions. Par ailleurs, le Président n’est pas pressé de demander au nouveau député de Fort-de-France de faire équipe avec ses trois autres collègues. Une équipe qui pourrait se donner un chef dont il n’a pas la maîtrise ne serait pas la bienvenue. De la force montante, Catherine Conconne, cette enfant qui a sauté sur les genoux de Césaire, Serge Letchimy n’ignore ni les mérites ni les faiblesses. Elle est entourée d’une task force intellectuelle bon chic bon genre qui rappelle les jeunes de la droite des années 1980 : Miguel, Yan, Michel, Marie-Alice, Joe…, lesquels avaient été promis au plus bel avenir politique. Leader d’une liste qui avait créé la surprise aux élections régionales en 1986, le premier nommé ne s’était pas, par égard pour son ainé Jean Maran, présenté aux élections législatives à la proportionnelle qui avaient eu lieu dans la foulée. Cet interruptus l’avait empêché d’être élu député et de donner une orientation décisive à sa carrière. Toutes proportions gardées, ne pourrait-on pas y voir quelques ressemblances avec l’actualité ?

La présidente d’Ensemble développe une activité qui séduit dans tous les milieux, mais elle pourrait regretter certaines hésitations comme la mise en berne de son audace aux récentes législatives. Son bras a tremblé et il n’est pas sûr que pour le renouvellement de son mandat de sénatrice son ancien parti lui sache gré de sa respectueuse désertion à Fort-de-France. Par ailleurs, Ensemble n’a pas su ou cru devoir chercher à séduire un jeune homme, aujourd’hui député, qui a le profil parfait du parti, Jiovanny William. Même non élu, l’apport de ce dernier aurait été précieux, sachant que derrière l’homme il y a le maire incontournable de la ville du Robert. Ensemble avait déserté Fort-de-France et le Nord, mais désigné un concurrent face au futur député du centre. L’histoire dira s’il ne s’agissait que d’un péché véniel.

Au vu de la présentation des forces politiques, la décision du président du conseil exécutif de la collectivité territoriale de Martinique de réunir tout le monde sous son large manteau ne manque pas d’habileté. La mission de rassembleur confiée à Claude Lise peut valoir ouverture vers les deux députés que celui-ci a soutenus aux dernières législatives, Marcellin Nadeau et Jean-Philippe Nilor. Mieux, la majorité de la CTM pourra se retrouver renforcée par les élus de Péyi-a. Quant au MIM and Co, rejoint par le patron du PPM, Daniel Marie-Sainte « exige » que les propositions des élus soient soumises au vote du peuple, selon le fallacieux précepte le MIM propose le peuple dispose qui rappelle le vieil épouvantail du PPM, Chatt-en-sac. L’expérience de janvier 2010 l’a rappelé, ces vieux de la vieille n’ignorent pas que la consultation populaire n’est qu’une formalité qui laisse les mains libres aux parlementaires et à ceux qui les tiennent. Entre câlinothérapie et défi, le Président invite les maires à procrastiner sur une situation dont la présentation prend des allures d’apocalypse. Tout entier imputé à l’Etat et à l’insuffisance de pouvoirs locaux, ce sombre tableau ne saurait, selon lui, trouver remède sans la dévolution de compétences plus larges à la collectivité martiniquaise. Aucun élu ne devrait, sans risquer de se tirer une balle dans le pied, bouder une aussi noble invitation, réduisant ainsi l’hymne et le drapeau (qui pourrait être RVN) au rang des accessoires.

En résumé, le président du PPM concrétise sa réconciliation avec Claude Lise en présence du maire de Fort-de-France et celui qui disait de lui-même « Je suis l’homme à tout faire du PPM » ; le président des RUP se pique d’un Appel de Fort-de-France bien plus large que la Déclaration de Basse-Terre, tandis que dans un éblouissant happening à travers l’île, le président de la CTM offre aux élus l’occasion de redorer leur blason auprès de l’opinion. Alors que des Cassandre lui font de sombres prédictions, Serge Letchimy peut raisonnablement esquisser un sourire. Cet activisme présidentiel suffira-t-il pour répondre aux enjeux ?

On le voit bien, l’héritier d’Aimé Césaire entend rattraper 40 années d’atermoiements du PPM à propos de l’autonomie et combler l’avance prise à cet égard par Alfred Marie-Jeanne. L’objectif est « l’égalité des droits et le droit à la différence », en bref, les droits actuels et tout le reste. D’un ton martial, le Président prend date : il n’accepte plus que « l’heure de nous-mêmes » soit encore différée. Il insiste : « Le moment est venu, nous ne pouvons pas reculer », « l’Etat doit comprendre cela ». En 1973, l’avertissement d’Aimé Césaire à l’Etat avait tourné court : il avait menacé de démissionner de son mandat de député si, dans les 6 mois suivant sa réélection, le gouvernement ne mettait pas l’autonomie de la Martinique à l’ordre du jour. Un demi-siècle plus tard, son successeur déclare : « j’assumerai la victoire, comme j’assumerai l’échec ». Et d’ajouter, sibyllin : « c’est un acte ultime me concernant ». Pragmatique, le président de la République pourrait lui dire « chiche ».

Fort-de-France, le 16 juillet 2022

Yves-Léopold Monthieux