Le gouvernement français veut inciter les maires à donner aux rues des noms de soldats africains

Un livret rassemblant les parcours de cent combattants de la seconde guerre mondiale issus des colonies doit être remis mercredi à un groupe de parlementaires.

« La France a une part d’Afrique en elle. Notre gratitude doit être impérissable. Je lance un appel aux maires de France pour qu’ils fassent vivre par le nom de nos rues et de nos places la mémoire des combattants africains », avait annoncé Emmanuel Macron, le 15 août 2019 à Saint-Raphaël (Var), lors des commémorations du 75e anniversaire du débarquement de Provence.

Trois jours après le second tour des élections municipales, Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’Etat auprès de la ministre des armées, doit remettre à un groupe de parlementaires, mercredi 1er juillet, un livret intitulé Aux combattants d’Afrique, la patrie reconnaissante. Cet ouvrage de 210 pages publié par le ministère des armées, que Le Monde Afrique s’est procuré, a pour but d’inciter les maires à rebaptiser des rues, des places ou des jardins publics du nom de combattants africains morts pour la France au cours de la seconde guerre mondiale.

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« En mélangeant leur sang à notre terre, ils ont payé un lourd tribut au combat contre le nazisme », écrit dans la préface Mme Darrieussecq, qui remettra elle-même l’ouvrage, lors d’une cérémonie prévue à midi à l’hôtel de Brienne, aux députés de la commission défense nationale et aux sénateurs du groupe d’études anciens combattants : « Morts pour la France, morts pour notre idéal, ces combattants méritent la reconnaissance pleine et entière de la Nation. »

Publié dans le cadre d’une convention avec l’Association des maires de France, le livret rappelle que, dès août 1940, l’Afrique a envoyé des premiers contingents de soldats à la France libre du Général de Gaulle. En Afrique subsaharienne, plus de 70 000 hommes se sont engagés. Près de 400 000 autres venaient d’Algérie, de Tunisie et du Maroc. Qu’ils soient tirailleurs, goumiers, zouaves ou spahis, les Africains ont représenté plus de 80 % des effectifs qui ont débarqué en Europe. « Et pourtant, qui d’entre nous se souvient aujourd’hui de leurs noms, de leurs visages ? », s’interrogeait Emmanuel Macron à Saint-Raphaël.

Un destin souvent tragique

Les parcours militaires de 100 combattants africains morts pour la France sont retracés dans le livret. Ils ont été rédigés conjointement par l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG) et le Service historique de la défense (SHD). Julien Fargettas, historien et auteur de plusieurs ouvrages sur les tirailleurs, a également contribué à la rédaction de ces fiches biographiques qui permettent de montrer que derrière chaque nom, il y a un homme avec une histoire et un destin souvent tragique.

Tous se sont battus loin de chez eux et ont défendu une terre qui n’était pas la leur. Certains y ont laissé leur vie. Né en 1909 à Takaura (Tchad), le dénommé Kida a incorporé le bataillon de mitrailleurs d’infanterie coloniale le 1er février 1929. Il a combattu en Syrie, en Egypte et en Italie, où il est mort sur le front le 12 juin 1944. « Chef de groupe indigène de valeur, réfléchi et calme au danger, perspicace dans les moments difficiles, dévoué et discipliné, il s’est dépensé sans compter », rappelle sa citation à la Croix de guerre, reçue à titre posthume.

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Le courageux Sei Koné (1912-1948) a quant à lui participé à la libération au sein de la 1re armée lorsqu’il était affecté au régiment d’artillerie coloniale du Levant. Après la guerre, il a retrouvé sa terre natale de Guinée. Mais à quel prix ? « Le 9 et le 10 novembre 1944, au cours d’une mise en batterie particulièrement difficile en dépit du froid rigoureux, cet excellent sous-officier n’a pas voulu prendre de repos tant que la mission qui lui avait été confiée n’était pas terminée », atteste la citation que Sei Koné a reçue lorsqu’il a été décoré de la médaille militaire : « Il a eu de ce fait les deux pieds gelés et a dû être amputé de ces deux membres. » Le soldat est décédé à l’hôpital militaire de Conakry le 26 juillet 1948.

Quant à Blou Bango, incorporé au 24e régiment de tirailleurs sénégalais, il a été fait prisonnier par les Allemands lors de la campagne de France en 1940. Un an plus tard, l’Ivoirien est décédé à l’hôpital Sainte-Marguerite de Marseille « des séquelles d’une tuberculose pulmonaire » contractée en captivité.

Une place inaugurée à…

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Les combattants des ex colonies dans la Seconde Guerre mondiale

« Passant, ils sont tombés fraternellement unis, pour que tu restes français. » Dédicace du Monument aux morts de Fréjus en hommage aux tirailleurs sénégalais par Léopold Sedar Senghor – 1994.

Cette phrase de Léopold Sedar Senghor illustre bien l’apport et le rôle essentiel des troupes coloniales lors du débarquement de Provence d’août 1945 et de la libération du territoire. Mais celles-ci avaient déjà combattu vaillamment en 1940, en Afrique du Nord, en Italie et en Corse.

Mai et juin 1940

En mai 1940, on compte environ 300 mille soldats nord-africains et autant des « colonies » sur plus de 5 millions mobilisés dont, en métropole, 95 mille soldats nord-africains et 50 mille coloniaux.

Les combattants de l’Empire se battent avec acharnement dans tous les secteurs du front en y subissant des pertes sévères : les soldats nord-africains à Gembloux, en Belgique, et lors de la défense de Lille, dans la Meuse, l’Oise, l’Aisne, le long de la Loire, les Malgaches dans les Ardennes, les Sénégalais dans la Somme, la Meuse, l’Aisne, en Champagne, dans le Rhône, les Indochinois dans les Ardennes, dans l’Eure, en Côte d’Or.

Ils subissent aussi les crimes ennemis sous la forme d’exécutions sommaires de prisonniers sur le théâtre même des combats : Sénégalais du 53e régiment d’infanterie coloniale mixte sénégalais (RICMS) à Airaines et à Dromesnil (Somme), Sénégalais du 25e RTS à Chasselay (Rhône), Marocains à Febvin-Palfart (Pas-de-Calais) pour n’en citer que quelques exemples. De plus, dès le 19 août 1940, l’occupant édicte un ordre interdisant « de toucher aux tombes des soldats noirs, d’orner leurs sépultures, de déplacer leurs corps… ».

La campagne d’Italie et la Libération de la Corse

Après le débarquement allié de novembre 1942 en Afrique du Nord, les forces françaises participent à la campagne de Tunisie aux cotés des Anglo-Américains. Ces forces comprennent des troupes de l’armée d’Afrique, placées sous les ordres du général Juin, et des forces françaises libres (1ère DFL du général de Larminat et force L commandée par le général Leclerc).

Mais c’est avant tout la libération de la Corse en septembre 1943 (1er régiment de tirailleurs marocains et le 2e groupement de tabors marocains), l’entrée dans Rome et le débarquement de Provence qui constituent les principaux faits d’armes des troupes françaises en 1943-1944.

Pendant la campagne d’Italie, le corps expéditionnaire français (CEF), qui lutte aux cotés des Alliés est composé de deux divisions marocaines, d’une division d’infanterie algérienne et de deux groupes de tabors marocains et de la 1ère DFL.

Après la prise de Rome, le 4 juin 1944, et de Sienne le 3 juillet, les troupes sont relevées et retirées du front courant juillet pour être intégrées au sein de l’armée B (future 1ère armée française) commandée par le général de Lattre de Tassigny, pour débarquer en Provence en août 1944.

Le débarquement de Provence

Au sein de l’armée française dite Armée B forte de 260 mille hommes, on estime qu’environ la moitié était des combattants provenant de toutes les possessions françaises d’Afrique du Nord, d’Afrique subsaharienne, des Antilles, des territoires français du Pacifique et de jeunes français évadés de métropole : tirailleurs algériens et « sénégalais », goumiers et tabors marocains, pieds noirs, bataillons du Pacifique et des Antilles. La majorité d’entre eux foulaient le sol de France pour la première fois de leur vie.

Les combattants d’Afrique du Nord étaient regroupés au sein de la 2e division d’infanterie marocaine, de la 3e division d’infanterie algérienne, de la 4e division d’infanterie coloniale. Les tirailleurs « sénégalais », qui venaient des pays de l’ex Afrique occidentale française (AOF) et de l’ex-Afrique équatoriale française étaient plutôt regroupés au sein de la 1ère division française libre (1ère DFL ou 1ère DMI), qui constitue l’une des deux unités de la France Libre, et de la 9e division d’infanterie coloniale sous la forme de trois régiments. Parmi ces hommes, certains sont très aguerris pour avoir participé aux combats de la campagne d’Italie (1943-1944).

Les troupes coloniales débarquées en Provence ont ensuite participé à la prise de Toulon et de Marseille, avec un mois d’avance, en subissant de lourdes pertes.

Toutes ces troupes livrent ensuite de dures batailles en Franche-Comté, en Alsace, dans les Vosges, puis pénètrent en Allemagne et en Autriche. Des unités nord-africaines et de la 2e DB font aussi partie du détachement d’armée du front de l’Atlantique et participent à la reconquête de la Pointe de Grave et à la réduction de la poche de Royan en 1945.

Parmi les seize dépouilles inhumées dans la crypte du Mont-Valérien (Suresnes) figurent quatre combattants des troupes coloniales : deux au titre de la campagne de France de 1940 et deux au titre de la libération du territoire en 1944.

Toutefois, à l’automne 1944, il fut décidé d’amalgamer les Forces françaises de l’intérieur à l’armée B, devenue 1ère armée, en remplacement des troupes coloniales ; environ 15 mille tirailleurs africains furent retirés de la 1ère armée, l’opération se fit partiellement en janvier 1945 pour les tirailleurs nord-africains. Cette politique, a contribué à l’oubli du rôle important de ces soldats.

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