Le couple mère-fils dans un « Aparté » incestueux

— Par Roland Sabra —
« A travers l’écriture et le récit théâtral, je cherche à explorer les tabous et les non-dits au sein des familles et de la société. » Le public de Françoise Dô était d’autant plus prévenu qu’il avait pu voir, dans cette même salle Frantz Fanon, il deux ans de cela « Aliénation noire« . Pour autant l’effet de sidération a joué à des degrés divers mais bien réels lors de la première d’ «  A Parté » à entendre comme aparté, que le Larousse définit de la sorte : « Ce qu’un acteur dit à part soi sur la scène, et qui est censé n’être entendu que des spectateurs. Conversation discrète tenue à l’écart, dans une réunion, dans un petit groupe. » Il est donc question d’un dire à part, diffusé à voix basse, pas tout à fait caché, mais que tout un chacun connaît. Un non-dit entendu par tous. Le synopsis de la pièce de Françoise Dô, tel qu’il est annoncé dans la présentation participe au semi-secret en dissimulant l’objet dont il va être question. Nicole après s’être séparée de Stéphane son mari, est partie à l’étranger plusieurs mois. Elle est de retour au pays et se découvre une passion pour Chat un nouvel amant iranien, séducteur en diable. Stéphane, dont elle n’est pas encore divorcée tente de la reconquérir. A s’en tenir là le pitch laisse envisager soit un énième remake du théâtre bourgeois autour de la trilogie, le mari, la femme et l’amant ou bien une redite écourtée du triangle amoureux racinien, cher à Roland Barthes (Sur Racine) dans lequel A aime B qui aime C qui aime D qui est mort.

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La scène d’ouverture remet les pendules à l’heure. Nicole décrit ce qui lui passe par la tête lors d’une relation sexuelle avec Chat, un pied dans la relation, un pied dehors. Elle décrit les gestes de l’amant consciencieux, les évalue, les compare à d’autres, gestes ou amants, évoque son risque de panne à lui bien plus âgé qu’elle, et finit par lâcher prise. Elle sera amoureuse de Chat. Les mots sont directs et droits, lucides et sans fioritures. La scène, portée par Astrid Bayiha, déjà surprenante dans Suzanne Roussi, est belle par ce qu’elle dégage de paroles au plus près d’une vérité émergeant dans la mer de silence. En fond scène côté jardin se tient Stéphane (Abdon Fortuné Koumbha) qui va mettre la puce à l’oreille du spectateur en disant que son amour de Nicole égale celui qu’il voue à sa propre mère. Confusion des registres annonciatrice de malaises à venir. Il dira plus tard le couple qu’il formait avec la mère, le lit qu’il partageait enfant, les caresses mutuelles dans l’eau du bain, la succion du pénis de l’enfant d’abord pour le calmer ensuite pour le plaisir. Puis viendront les travaux pratiques d’éducation sexuelle. Janine Bailly dans son très bel article « A Parté, de Françoise Dô : être femme » évoque « [une] version plus cruelle cependant que celle déroulée dans Le souffle au cœur ». Vrai, bien sûr l’inceste dans le film de Louis Malle est le fruit d’un marivaudage aux allures innocentes et dans La Luna de Bernardo Bertolucci  il a une vertu thérapeutique supposée. La relation incestueuse est dans ce cas unique, singulière, elle n’entre pas dans le cadre d’une relation répétée durable, contrairement à ce que laisse entendre le texte de Françoise Dô.

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Le couple mère-fils est une figure bien connue. Il se construit autour de la « bonne mère », celle qui veut le bien de son fils. Toujours se méfier de ceux et celles qui veulent votre bien. Françoise Dô construit cette figure de la mère totalitaire qui laisse son fils courir à la condition qu’il rentre à la maison, qui toujours garde le contrôle, pour laquelle la belle-fille putative est une rivale, une voleuse. Nicole dira le pourquoi de la perte à trois mois et un jour de l’enfant de Stéphane qu’elle portait.

S’il y a donc un triangle amoureux, c’est celui de la mère, son fils et la femme de celui-ci. Triangle rectangle dans lequel la mère et fils sont au plus proche pour tenir éloigné la femme. A la fin de la représentation, plusieurs spectatrices interrogées confirmaient la pratique, pour la première fois évoquée au théâtre, de la succion du pénis de l’enfant par certaines mères, jusqu’à la fin du siècle dernier! Aujourd’hui qu’en est-il? Enfant objet vs enfant sujet ?

Françoise Dô évoque ce qui peut-être le tabou absolu à savoir l’inceste mère-fils dans lequel le désir premier est celui de la mère bien avant la phase œdipienne par laquelle passe tout un chacun. On trouve des cas semblables dans les campagnes reculées, mais pas seulement là, mais le plus souvent ce sont des incestes père-fille dans le cadre d’un machisme bien établi. L’accaparement du fils par la mère semble plus rare, excepté apparemment sous nos latitudes semble-t-il !

L’image masculine ne sort pas renforcée de ce texte. Deux faces sont présentées et qui renvoient chacune à une même aliénation. Le premier visage, celui de Chat, est celui du séducteur collectionneur, le chien de chasse qui ramène au terme de son parcours la proie qu’il dépose aux pieds de son idole dont il n’est que le délégué phallique sur la scène sociale. Le second visage, Stéphane, est celui de l’enfant-phallus d’une femme en mal de père pour sa progéniture. Symptôme d‘une matrifocalité afro-descendante?

La mise en scène d’une grande sobriété, un plateau nu, un rectangle surmonté d’un carré sur le sol, un jeu intériorisé dans lequel excelle Astrid Bayiha, participent à faire entendre ce qui est le plus souvent tu. Les lumières si elle flirtent avec un cliché du théâtre actuel, dans un jeu de clair-obscur, sont cependant un reflet du mi-dire de la vérité qui transparaît peu à peu.

Françoise Dô confirme un talent, reconnu ici et de l’autre côté de l’océan.

Fort-de-France, le 23/01/2019

R.S.

A Parté

Texte publié à Théâtre Ouvert éditions / Collection Tapuscrit
Cie Bleus et Ardoise
Création
Production : Bleus et Ardoise
Coproduction : Tropiques Atrium Scène nationale
Avec le soutien de : Direction des Affaires Culturelles de Martinique, Cité Internationale des Arts de Paris, Théâtre de Vanves & le Théâtre Ouvert

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