« Le bout du monde est une fenêtre  » d’Emmelie Prophète

—Par Alexis Viardot —

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Prix Carbet des Lycéens 2016. Critique primée.

Le bout du monde est une fenêtre est un roman écrit par l’haïtienne Emmelie Prophète. Je dois avouer qu’après avoir lu la quatrième de couverture, je n’étais pas très enthousiaste à l’idée de lire une histoire avec des « dialogues sans mots ». Mais Le bout du monde est une fenêtre est un roman bien plus profond que cela : il regorge de symboles. L’implicite et le non-dit dominent largement. L’auteur semble vouloir nous laisser naviguer entre nos propres interrogations et interprétations : c’est réussi. Chaque élément du livre a un sens, une signification à déchiffrer et rien ne nous laisse nous cantonner à la première impression. Le livre montre plus qu’il n’en dit et apprécier ce livre à sa juste valeur, c’est savoir lire entre ses lignes et déchiffrer les messages que l’auteur a placés avec subtilité. La plume et l’écriture d’une justesse inouïe nous inondent de détails sur la vie des personnages, sur les lieux, les habitudes des habitants et tant d’autres informations, véritable oasis pour notre imaginaire. Le tout sans que cela ne paraisse rébarbatif. Les mots s’enchaînent et défilent sans que l’on ait le temps de compter le nombre de pages restantes avant la fin d’un chapitre. Un véritable exercice de funambule que nous offre la romancière caribéenne. Elle nous fait ainsi découvrir un Haïti pauvre. Elle dépeint avec audace le quotidien des Haïtiens. A travers ce roman, j’ai découvert une population ancrée dans les superstitions où les divinités occupent une grande place. On y trouve l’Haïti rêveuse qui se laisse emporter par ses habitants dans l’espérance de jours meilleurs. On y voit un peuple déchu qui souhaite fuir, abandonner l’île pour une terre étrangère synonyme de prospérité. Ce livre malicieux et quelque peu mystique aborde sans gêne le surnaturel comme une chose évidente, on parle alors de « maître dlo », de mythes, de légendes, autant d’éléments qui renvoient à la culture créole et à ses secrets. Cette culture justement bien présente tout au long du roman ponctue le texte de chants et d’autres expressions haïtiennes comme si l’auteur nous faisait une piqûre de rappel sur ses origines et les nôtres.

Il y a ce silence et cette solitude présents tout au long de l’œuvre. Samuel et Rose, si près et si éloignés en même temps, sont deux êtres que tout semble opposer. Rose est née d’une mulâtresse, au contraire de Samuel dont la mère était Noire. Bien que les deux soient pauvres, Rose reste plus aisée que lui. Tant d’éléments contraires qui reflètent les différences sociales et les empêchent de s’exprimer, prisonniers de ces différences dans un pays où les préjugés sont monnaies courantes. Alors cette fenêtre est leur seule issue, une vue sur l’extérieur, sur eux- mêmes, sur leurs rêves, leurs souhaits. Une vue sur leurs espérances, sur un monde meilleur, sur le bout du monde.

La fin du roman peut paraître surprenante mais traduit la dure réalité de ce monde et semble être un avertissement à ceux qui refusent de se comprendre pour mieux vivre ensemble. L’auteur transporte avec virtuosité le lecteur dans son monde et le laisse découvrir sans le forcer à suivre une logique propre. Nous sommes amenés à penser et voyager au fil des pays comme bon nous semble.

Alexis VIARDOT

Maîtrise de Massabielle 2016

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Ce que la presse en a dit :

«De la douceur que le lecteur pourrait presque toucher du doigt, tant l’écriture d’Emmelie Prophète est d’un étrange réconfort. L’auteure, haïtienne, puise dans ses racines, dans son Haïti de tous les jours. Son dernier ouvrage parle à tout le monde. Un regard posé sur chacun d’entre-nous grâce à une écriture qui se fait parfois complice des émotions. Une fenêtre, la fameuse fenêtre nécessaire pour avancer. Emmelie Prophète nous invite à ouvrir ce roman et à s’interroger.» Amélie Baron, Magazine Bantuenia

«La noirceur du réel haïtien n’a d’égale que le souci de l’auteur à le peindre calmement, parfois cruellement, en mettant son lecteur à l’épreuve de destins où le mot bonheur ne semble pas avoir été prévu. Si ce n’est dans ces miracles de tendresse qui bouleversent parfois une journée, parfois toute une vie.» Valérie Marin La Meslée, Le Point

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Alexis Viardot le jeune critique primé