L’Akademi kreyòl ayisyen ou la saga des rituels verbeux et illusionnistes

— Par Robert Berrouët-Oriol, linguiste-terminologue —

Le linguiste-didacticien Lemète Zéphyr a accordé une entrevue fort instructive à Frantz Bernier, le 9 février 2024, lors de l’émission « Conversation » mise en ondes à Boston. Cette entrevue avait pour thème principal « Ki itilite Akademi kreyòl ayisyen an ? » et toute personne qui s’intéresse de près ou de loin à l’aménagement du créole en Haïti devrait l’écouter avec la meilleure attention. Dans un courriel de félicitation adressé hier à Lemète Zéphyr, j’ai relevé les points forts de sa réflexion analytique et souligné la rigueur avec laquelle il a présenté la problématique de l’Akademi kreyòl ayisyen (l’AKA) et rappelé qu’elle est, sur le mode d’une illusion d’optique, parfaitement inutile au pays. En donnant accès à une documentation pertinente et en procédant à une adéquate lecture des faits historiques, le présent article circonscrit et approfondit les idées contenues dans mon courriel. Il permettra de mieux comprendre pourquoi l’action de l’Akademi kreyòl ayisyen n’a donné aucun résultat identifiable et mesurable en Haïti et pourquoi cette microstructure, depuis sa création en 2014 jusqu’en février 2024, n’a publié aucun article scientifique, aucun ouvrage de référence traitant de manière spécifique de l’un de ces sujets : syntaxe, sémantique, phonologie, sociolinguistique, didactique créole, didactisation du créole, jurilinguistique créole, droits linguistiques, lexicologie et lexicographie créole.

L’Akademi kreyòl ayisyen a vu le jour par l’adoption de la « Loi portant création de l’Académie du créole haïtien » publiée dans Le Moniteur du 7 avril 2014. Cette loi a été votée uniquement en créole, en contravention avec les articles 5 et 40 de la Constitution de 1987. La création de l’Akademi kreyòl ayisyen est basée sur l’article 213 de la Constitution haïtienne de 1987 selon lequel « Une Académie haïtienne est instituée en vue de fixer la langue créole et de permettre son développement scientifique et harmonieux ». Sa mission centrale est énoncée comme suit à l’article 6 :

« Atik 6 »

« Akademi kreyòl ayisyen an gen pou l :

a) Pran tout dispozisyon pou tout enstitisyon leta kou prive fonksyone nan lang kreyòl la selon prensip, regleman ak devlopman lang nan.

b) Pran tout dispozisyon pou ankouraje enstitisyon ak moun k ap pwodui nan lang kreyòl la suiv prensip ak regleman lang nan.

c) Pran tout dispozisyon pou ede popilasyon ayisyen an jwenn tout sèvis li bezwen nan lang kreyòl la. 

d) Pran tout dispozisyon pou ede epi ankouraje tout biwo leta – kit se pouvwa egzekitif, kit se pouvwa legislatif kit se pouvwa jidisyè – respekte Konstitisyon an nan zafè lang. 

e) Sèvi kòm referans pou lang kreyòl la pou tout sa ki konsène estandadizasyon lang nan kit se nan peyi dAyiti kit se nan lòt peyi kote Ayisyen yo tabli.

f) Fè tout sa ki nesesè pou Ayiti jwe wòl li kòm lidè nan monn kreyolofòn nan. »

Le projet de constitution de l’Akademi kreyòl ayisyen a été contesté dès 2004 par des linguistes de premier plan. L’opposition de plusieurs linguistes haïtiens de premier plan à la création d’une « Académie haïtienne » chargée de « fixer la langue créole » s’est donc exprimée au fil des ans et à plusieurs reprises. Ainsi, en marge de la Journée internationale du créole, Le Nouvelliste daté du 27 octobre 2004 consignait la position du linguiste Yves Dejean en ces termes : « Le linguiste Yves Dejean a abondé dans le même sens que le Doyen de la Faculté de linguistique appliquée [Pierre Vernet]. Nous n’avons pas besoin d’Académie de langue créole. Il faut financer les institutions sérieuses qui s’occupent de la langue créole ».

Au cours de l’entrevue accordée à Frantz Bernier, Lemète Zéphyr a, de manière tout à fait pertinente et à plusieurs reprises, rappelé les solides arguments de Yves Dejean exposant son opposition à la création de l’Académie créole. Ainsi, dans un article très peu connu publié par Le Nouvelliste du 26 janvier 2005, « Créole, Constitution, Académie », Yves Dejean a précisé comme suit sa pensée au sujet de l’Académie créole : « L’exemple à ne pas suivre / Haïti n’a que faire de l’acquisition d’une « formidable machine à faire rêver » et d’un « symbole décoratif ». Dans le même article, il ajoute, au paragraphe « Mission impossible et absurde », que « L’article 213 de la Constitution de 1987 doit être aboli, parce qu’il assigne à une Académie créole, à créer de toute pièce, une tâche impossible et absurde, en s’inspirant d’un modèle archaïque, préscientifique, conçu près de 300 ans avant l’établissement d’une discipline scientifique nouvelle, la linguistique (…) On sait, à présent, qu’il est impossible de fixer une langue ; que les cinq à six mille langues connues constituent des systèmes d’une extrême complexité en dépendance de l’organisation même du cerveau humain et relèvent de principes universels communs propres à l’espèce ; que les changements dans la phonologie, la syntaxe, la morphologie, le vocabulaire ne sont pas à la merci des fantaisies et des diktats de quelques individus et d’organismes externes à la langue. » [Le souligné en gras et italiques est de RBO] La position de principe de Yves Dejean à propos de l’AKA est rigoureuse et constante alors même qu’un certain Ayatollah du créole, membre fondateur de l’Akademi kreyòl et auteur de l’article « Ochan pou prof Yves Dejean », a lourdement trafiqué en 2013 la pensée de Yves Dejean dans la revue DO KRE IS pour faire croire que l’auteur de « Yon lekòl tèt anba nan yon peyi tèt anba » (Éditions de l’Université d’État d’Haïti, 2013), Yves Dejean, aurait aventureusement appuyé le projet de la création de l’AKA. Dans ce livre paru en 2013, Yves Dejean réitère son opposition à l’aventureuse saga de la création de l’Académie créole : « Malè pandye ki nan nimewo 213 Konstitisyon an, se dezagraman moun ak gwoup moun ki konprann se yo ki dwe di lòt moun ki jan pou yo pale lang yo. (…) Ayiti bezwen tout kalite bon liv an kreyòl, bon pwofesè pou gaye konesans lasyans an kreyòl, bon pwogram radyo ak televizyon an kreyòl. Li pa bezwen okenn Akademi kreyòl pou sèvi l dekorasyon » (pages 315 et 316).

Natif de Port-Salut, Éric Sauray, politologue, docteur en droit public et avocat au barreau du Val d’Oise en France, est l’auteur de l’article « Observations critiques sur la proposition de loi relative à la création d’une Académie du créole haïtien » paru sur son blog le 12 octobre 2012. Dans ce texte à large spectre et d’une grande portée analytique, ce juriste identifie les malentendus et les lacunes juridiques de la « Pwopozisyon lwa pou kreyasyon akademi ayisyen an », « Proposition » rédigée uniquement en créole. Cette « Proposition de loi » avait auparavant été élaborée par le « Comité d’initiative » pour la création d’une Académie baptisée « Académie du créole haïtien ». L’argumentaire d’Éric Sauray met en lumière les lacunes et les malentendus suivants : (1) « Une carence de l’État ne saurait justifier une initiative privée très peu modeste » ; (2) « Une proposition de loi ne peut être faite que par des parlementaires » ; (3) « La proposition est teintée de discrimination » ; (4) « Le comité d’initiative ne peut pas choisir les académiciens » ; (5) « L’Académie n’a pas d’ultimatum à fixer à l’État » ; (6) « La proposition de loi devrait être revue par des juristes de qualité ».

 

De son côté, le linguiste Hugues Saint-Fort –corédacteur du livre collectif de référence coordonné et coécrit par Robert Berrouët-Oriol et alii, « L’aménagement linguistique en Haïti : enjeux, défis et propositions » (Éditions de l’Université d’État d’Haïti et Éditions du Cidihca, 2011)–, s’est également opposé à la création d’une Académie créole. Il formule cette opposition en ces termes : « L’objectif principal de cet article est de montrer la nécessité d’une politique linguistique en Haïti. Au passage, je défends la thèse que la création d’une Académie de la langue kreyòl, telle qu’elle est instituée dans les textes de la Constitution de 1987, n’est pas d’une utilité sociale, linguistique, et éducative majeure en Haïti. Ce dont la société haïtienne a réellement besoin, c’est d’une politique linguistique officielle qui affecte aussi bien le corpus, la structure (orthographe, prononciation, grammaire, vocabulaire) que le statut (variété qui devrait être utilisée, où elle peut être utilisée) de la langue kreyòl. Mais, la langue kreyòl n’est pas la seule langue parlée dans la société haïtienne. Si l’article 5 de la constitution de 1987 nous rappelle que «tous les Haïtiens sont unis par une langue commune: le créole», ce même article 5 signale tout aussi clairement que «le créole et le français sont les langues officielles de la République.» Ce statut de langue officielle attribué au kreyòl et au français en Haïti force à considérer que le destin des deux langues dans la société haïtienne est inséparablement lié, même si leur usage et leur statut  sont inégalement répartis » (Hugues Saint-Fort, « Une Académie de langue kreyòl ou une politique linguistique en Haïti ? » (Potomitan, mars 2013).

Pour ma part, dans mon article daté du 15 novembre 2014 et publié sur Tout Haïti, « L’Académie créole : « lobby », « ONG » ou institution d’État sous mandat d’aménagement linguistique ? », j’ai mis en lumière, sur le plan juridique, la nature essentiellement déclarative de l’Akademi kreyòl ayisyen : « Confusion des genres, confusion dans la nature du mandat » – Il faut bien prendre la mesure que l’Assemblée constituante qui a rédigé la Constitution de 1987 n’avait en tête que les modèles normatifs connus du passé, notamment celui de la prestigieuse Académie française. Malgré cela, dans l’esprit et la lettre de l’article 213 de la Constitution de 1987, l’Assemblée constituante n’a accordé aucun pouvoir normatif et contraignant à l’Académie créole : elle est une instance déclarative (elle émettra des avis, des souhaits, des vœux), elle n’est nullement normative et contraignante. En clair, le Parlement haïtien n’a accordé aucun pouvoir juridique d’aménagement linguistique à l’Académie créole qui, de ce fait, ne peut qu’émettre des avis « …en vue de fixer la langue créole et de permettre son développement scientifique et harmonieux ». Dans le même article j’ai précisé qu’« il

est trompeur d’affirmer, en préambule de la « Loi portant création de l’Académie du créole haïtien », que « Lè nou konsidere Akademi ayisyen an dwe garanti dwa lengwistik tout Ayisyen sou sa ki konsène lang kreyòl la » puisque ces « droits linguistiques » ne sont pas juridiquement (constitutionnellement) reconnus et définis dans la loi votée par le Parlement et ne relèvent pas du mandat de l’Académie créole qui est, je le répète, « de fixer la langue créole et de permettre son développement scientifique et harmonieux ». Dans tous les cas de figure, aucune vision conséquente de la situation linguistique d’Haïti ne saurait être développée ni mise en œuvre en dehors de la définition juridique et constitutionnelle des « droits linguistiques », du « droit à la langue » et de « l’équité des droits linguistiques » en Haïti (voir mon livre « Plaidoyer pour les droits linguistiques en Haïti / Pledwaye pou dwa lengwistik ann Ayiti », Éditions Zémès, Port-au-Prince, et Éditions du Cidihca, Montréal, 2018 ; voir aussi mes articles « Droits linguistiques et droits humains fondamentaux en Haïti : une même perspective historique », Le National, Port-au-Prince, 11 octobre 2017, et « Droits linguistiques » et « droit à la langue » en Haïti, la longue route d’une conquête citoyenne au cœur de l’État de droit », Fondas kreyòl, 14 mars 2023).

Depuis la promulgation de la « Loi portant création de l’Académie du créole haïtien »  (Le Moniteur, 7 avril 2014), l’Akademi kreyòl ayisyen expose chaque année le rituel d’un bilan remarquablement rachitique de ses « réalisations » qui seraient, veut-elle faire croire, la mise en oeuvre de sa mission définie à l’article 6 (voir plus haut). Le récitatif annuel des slogans (« bay kreyòl la jarèt ») et le signalement de telle ou telle rencontre avec tel « public » oblitèrent et cachent une réalité mesurable : les rachitiques capacités intellectuelles de l’Akademi kreyòl ayisyen s’apparient à une tout aussi rachitique pensée linguistique, elles induisent une systémique et déficiente vision stratégique et un sous-dimensionnement de ses maigres programmes (voir mes articles « Maigre bilan de l’Académie du créole haïtien (2014-2019) : les leçons d’une dérive prévisible », Le National, 5 avril 2019 et « L’Académie du créole haïtien : autopsie d’un échec banalisé (2014 – 2022) », Le National, 18 janvier 2022).

L’exemple le plus flagrant de la rachitique pensée linguistique de l’Akademi kreyòl ayisyen se donne à voir dans l’Accord du 8 juillet 2015, le « Pwotokòl akò ant ministè Edikasyon nasyonal ak fòmasyon pwofesyonèl (Menfp) ak Akademi kreyòl ayisyen (Aka) ». Ainsi, la confusion entre le statut déclaratif et le statut exécutif présumé de l’Académie créole est formulée dans les « Considérations générales » de l’accord du 8 juillet 2015 : « Misyon MENFP ak misyon AKA kwaze sou kesyon politik lang nan peyi a, espesyalman nan sistèm edikatif ayisyen an kote tout aktè yo dwe respekte dwa lengwistik elèv ayisyen yo. » Il s’agit donc comme on le constate d’un vœu –illustrant par là le caractère déclaratif de l’Académie–, celui par lequel les signataires de l’Accord souhaitent que tous les acteurs du système éducatif respectent les droits linguistiques des élèves. Il y a lieu ici de souligner fortement que nulle part dans l’accord –ou dans un texte annexe–, les pseudos « droits linguistiques des élèves » ne sont définis : les élèves auraient-ils des « droits linguistiques » particuliers, distincts de ceux de tous les citoyens haïtiens ? On ne sait pas non plus ce que les signataires entendent par l’emploi d’une si importante notion jurilinguistique, les « droits linguistiques ». Ils ont rapatrié cette notion de « droits linguistiques » sans donner à en mesurer la profondeur ni la portée dans le texte de l’Accord –ou dans un texte annexe. La confusion théorique est donc évidente, entre les « droits linguistiques » dans leur universalité et les pseudo « droits linguistiques des élèves », et cette confusion pourrait aussi ouvrir la voie à la revendication de prétendus droits linguistiques particuliers pour chaque segment de la population haïtienne, sorte de tour de Babel de l’irrationnel et de l’informel. Une telle confusion exprime un lourd défaut originel de vision à l’Akademi kreyòl ayisyen : les « droits linguistiques » demeurent englués dans des généralités répétées à tour de bras, ils sont réduits à un souhait et ils ne sont ni protégés ni garantis par une législation nationale contraignante englobant l’espace public et le système éducatif (voir mon article « Accord du 8 juillet 2015 –  Du defaut originel de vision à l’Academie du créole haïtien et au ministère de l’Éducation nationale », Montray kreyòl, 25 juillet 2015).

Tout cela renvoie à une problématique macro-structurelle plus ample, plus systémique, à savoir la démission de l’État haïtien quant à l’aménagement de nos deux langues officielles, notamment depuis la promulgation de la Constitution de 1987 qui a co-officialisé le créole et le français pour la première fois dans notre histoire nationale. Au plus haut niveau de l’État les détenteurs du pouvoir politique actuel –« commis d’office », « bandits légaux » et « hommes de main » du cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste–, ne sont pas concernés par l’aménagement de nos deux langues officielles et c’était déjà le cas durant les régimes politiques antérieurs. L’expérience de nombreux pays a clairement montré que sans une explicite volonté politique au sommet de l’État, il est illusoire de conduire à terme un véritable aménagement des langues en présence sur un territoire donné. Ainsi s’explique en grande partie pourquoi, depuis la promulgation de la Constitution de 1987, l’État haïtien n’a toujours pas élaboré et adopté son premier énoncé de politique linguistique nationale qui doit être au fondement de la première Loi d’aménagement du créole et du français. Ainsi s’explique en grande partie pourquoi, depuis la promulgation de la Constitution de 1987, l’État haïtien n’a toujours pas élaboré et adopté sa première Loi de politique linguistique éducative, lui préférant (1) des campagnes d’alphabétisation aussi folkloriques que fumeuses et (2) privilégiant la clameur bavarde du populisme linguistique et l’agitation scénique dans l’étroite lucarne des réseaux sociaux en lieu et place de la refondation de l’École haïtienne. L’on a également bien noté que faute de vision citoyenne et de courage politique, l’Akademi kreyòl ayisyen se garde bien depuis sa création d’interpeller l’État mafieux du PHTK néo-duvaliériste sur ces questions de fond… Il faut dès lors prendre toute la mesure que l’aménagement linguistique en Haïti n’est pas qu’une affaire de langues en présence, de textes de loi ou de gesticulation scénique/médiatique au ministère de l’Éducation nationale : l’aménagement linguistique relève du champ politique, du registre des rapports et des luttes politiques, son enjeu est de l’ordre du projet de société que l’on entend bâtir au creux de l’État de droit (voir mes articles « L’aménagement du créole et du français dans l’École haïtienne à l’épreuve de l’« État de dealers » guerroyant contre l’« État de droit, Rezonòdwès, 19 janvier 2024, et « Le partenariat créole-français, l’unique voie constitutionnelle et rassembleuse en Haïti », Fondas kreyòl, 15 mars 2023).

Depuis la promulgation de la « Loi portant création de l’Académie du créole haïtien »  (Le Moniteur, 7 avril 2014), l’Akademi kreyòl ayisyen n’a atteint aucun des six objectifs prévus à l’article 6 de sa charte constitutive (voir plus haut) et à aucun moment, de 2014 à 2024, elle n’a su « permettre [le] développement scientifique et harmonieux » du créole tel qu’illusoirement stipulé à l’article 213 de la Constitution de 1987. D’ailleurs, dans la « Loi portant création de l’Académie du créole haïtien », au chapitre de la « mission de l’Académie », l’emploi déictique des termes « encourager », « soumettre des propositions », « favoriser », « encourager et proposer », « émettre des recommandations » confirme la nature essentiellement déclarative de l’AKA en lien avec la réalité qu’elle ne dispose, sur le plan juridique, d’aucun pouvoir exécutif d’intervention, elle n’a à sa disposition aucun instrument contraignant destiné à faire appliquer la loi. Cela explique et éclaire le fait attesté que, de 2014 à 2024, l’Akademi kreyòl ayisyen n’a produit aucun document de référence dans l’un des domaines suivants : syntaxe, sémantique, phonologie, sociolinguistique, didactique créole, didactisation du créole, jurilinguistique créole, droits linguistiques, lexicologie et lexicographie créole. J’invite le lecteur de cet article à consulter le site officiel de l’Akademi kreyòl ayisyen : aucun document de référence n’y figure en lien avec la syntaxe, la sémantique, la phonologie, la sociolinguistique, la didactique créole, la didactisation du créole, la jurilinguistique créole, les droits linguistiques, la lexicologie et la lexicographie créole. Pareil constat est incontournable à tous les étages de l’édifice : de 2014 à 2024, toutes les études scientifiques de référence ciblant le créole ont été menées en dehors de l’Akademi kreyòl ayisyen (voir à la fin de cet article le listage de 39 études scientifiques et d’ouvrages élaborés en dehors de l’AKA). Sur le registre de la production scientifique, l’échec de l’Akademi kreyòl ayisyen se mesure également à son inaudibilité sinon à sa mutité : l’article 6-e de sa charte constitutive est et demeure une chimère têtue et à aucun moment l’AKA n’a su être une référence visionnaire ou un pôle scientifique de référence pour le créole. (Pour mémoire : l’article 6-e se lit comme suit : « [« Akademi kreyòl ayisyen an gen pou l ] Sèvi kòm referans pou lang kreyòl la pou tout sa ki konsène estandadizasyon lang nan kit se nan peyi dAyiti kit se nan lòt peyi kote Ayisyen yo tabli ».)

Tel que mentionné précédemment, l’Akademi kreyòl ayisyen n’a atteint aucun des six objectifs prévus à l’article 6 de sa charte constitutive. En voici des illustrations.

–Un premier exemple / Les articles 6-a et 6-d de la « Loi portant création de l’Académie du créole haïtien » ne sont pas respectés : les institutions de l’État ne souscrivent toujours pas à l’obligation de produire et de diffuser tous leurs documents dans les deux langues officielles du pays conformément à l’article 40 de la Constitution de 1987. Pour mémoire, l’article 40 stipule ceci : « Obligation est faite à l’État de donner publicité par voie de presse parlée, écrite et ­ télévisée, en langues créole et française aux lois, arrêtés, décrets, accords ­ internationaux, traités, conventions, à tout ce qui touche la vie nationale, exception faite pour les informations relevant de la sécurité nationale ».

–Un deuxième exemple / L’article 6-c lui non plus n’est pas respecté : les institutions de l’État ne fournissent toujours pas les services administratifs en créole et les documents officiels qu’ils émettent à la population ne sont pas rédigés en créole.

–Un troisième exemple / Il est attesté que l’Akademi kreyòl ayisyen n’a apporté aucune contribution significative à la créolistique. De sa création en 2014 à février 2024, ELLE N’A PUBLIÉ AUCUNE ÉTUDE SCIENTIFIQUE, AUCUN OUVRAGE OU DOCUMENT DE RÉFÉRENCE dans les domaines suivants : syntaxe, sémantique, phonologie, sociolinguistique, didactique créole, didactisation du créole, jurilinguistique créole, droits linguistiques, lexicologie et lexicographie créole (voir la rubrique « Piblikasyon » du site officiel de l’Akademi kreyòl ayisyen).

En plus de n’avoir atteint aucun des six objectifs prévus à l’article 6 de sa charte constitutive, l’Akademi kreyòl ayisyen s’est installée dans la « Complainte du manchot » en ouvrant publiquement les hostilités contre le ministère de l’Éducation nationale –son « partenaire » pourtant selon l’Accord cosmétique du 8 juillet 2015 qui, il faut le rappeler, n’a fait l’objet d’aucun bilan public élaboré conjointement par l’AKA et le ministère de l’Éducation nationale… Voici en quels termes l’Akademi kreyòl ayisyen a entonné dans la presse haïtienne la « Complainte du manchot » : « Leurs flèches se sont aussi dirigées contre le ministère de l’Éducation nationale. Le problème linguistique en milieu scolaire, en abordant ce point avec un peu d’énervement, les académiciens estiment que le ministère de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle (MENFP) méprise et néglige l’apprentissage dans la langue créole. Pour eux, le MENFP devrait prendre des mesures adéquates pour que l’apprentissage soit effectif dans la langue maternelle. » (« L’Académie du créole haïtien réclame le support de l’État », Le Nouvelliste, 1er mars 2018.) 

Il est par ailleurs attesté que l’Akademi kreyòl ayisyen ne comprend que quatre linguistes… Tel que mentionné plus haut, ELLE N’A PUBLIÉ AUCUNE ÉTUDE SCIENTIFIQUE, AUCUN OUVRAGE OU DOCUMENT DE RÉFÉRENCE dans les domaines-clé de la linguistique et de l’aménagement linguistique, notamment la syntaxe, la sémantique, la phonologie, la sociolinguistique, la didactique créole, la didactisation du créole, la jurilinguistique créole, les droits linguistiques, la lexicologie et la lexicographie créole. Par deux fois l’Akademi kreyòl ayisyen s’est aventureusement cru compétente pour… émettre deux « Résolutions » relatives à l’orthographe du créole : par deux fois l’Akademi kreyòl ayisyen a erré et s’est fourvoyée sur le plan scientifique –Lemète Zéphyr l’a d’ailleurs rigoureusement rappelé durant son entrevue avec Frantz Bernier. Les deux « Résolutions » relatives à l’orthographe du créole –en plus de se contredire et de se calfeutrer dans une lourde confusion sur des notions de base de la phonologie et de l’orthographie–, elles affichent une évidente régression par rapport aux acquis de la graphie officielle jusqu’ici en usage. Deux rigoureuses évaluations analytiques de la première « Résolution » de l’AKA ont été produites par (1) le linguiste-didacticien Lemète Zéphyr dans son texte intitulé « Lemète Zéphyr dénonce les lacunes de la résolution de l’Aka sur l’orthographe du créole » (Montray kreyòl, 19 juin 2017) et par (2) le linguiste Renauld Govain dans son article « Konprann ‘’Premye rezolisyon sou òtograf lang kreyòl ayisyen’’ an » (AlterPresse, 28 juin 2017). À l’instar de Lemète Zéphyr, Renauld Govain analyse et éclaire cette « Première résolution », précisant, entre autres, que l’Académie créole confond orthographe, alphabet et graphie : « Rezolisyon an manke jistès nan chwa tèminolojik li yo. Sanble li konfonn òtograf, alfabè, grafi yon pa, epi yon lòt pa, li konpòte tèt li tankou yon trete òtograf, jan nou kapab verifye sa nan dispozisyon 2, 4, 5, 8, 9 ». (Sur certains aspects de cette problématique, voir entre autres « Les représentations grapho-phonologiques et le développement de l’orthographe inventée chez les enfants dont le français est la langue de scolarisation », mémoire de maîtrise de Marie Delorme, Université d’Orléans, juillet 2012).

À l’opposé de l’échec multifacette de l’Akademi kreyòl ayisyen qui, entre le rêve d’exister et l’allégorie d’un greffon avorté, s’emmure et s’enferre dans l’étroite lucarne des slogans lunaires et des rituels annuels sans lendemain, des travaux de grande qualité scientifique ont été élaborés en amont puis à la Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti, y compris dans ses deux laboratoires de recherche, le LangSÉ (laboratoire « Langue, société, éducation »), dirigé par le linguiste Renauld Govain, et le GRESKA (Gwoup rechèch sou sans kreyòl ayisyen), dirigé par le linguiste Molès Paul. Le GRESKA publiera sous peu, en Haïti et au Canada, un livre collectif de référence, « La construction du sens dans les textes musicaux en créole haitien ». La liste qui suit consigne les titres des articles et des livres publiés par des enseignants-chercheurs de la Faculté de linguistique appliquée ou ayant collaboré avec elle. Cette liste n’est pas exhaustive, elle est fournie pour illustrer la qualité et la variété de la démarche scientifique entreprise dans l’environnement de la Faculté de linguistique appliquée, la seule institution nationale haïtienne entièrement dédiée aux deux langues de notre patrimoine linguistique historique, le créole et le français.

–1– PRADEL POMPILUS

« Lexique créole-français », Université de Paris, 1958 ; « Lexique du patois créole d’Haïti, Paris : SNE, 1961 ; « La langue française en Haïti » (thèse de doctorat en linguistique, Université de Paris, Institut des hautes études de l’Amérique latine, 1961 ; Port-au-Prince, Éditions Fardin, 1981) ; « Contribution à l’étude comparée du créole et du français à partir du créole haïtien », vol 1 : « Phonologie et lexique », Port-au-Prince, Éditions Caraïbes, 1973 ; vol 2 : « Morphologie et syntaxe », Port-au-Prince, Éditions Caraïbes, 1976 ; « Manuel d’initiation à l’étude du créole », Port-au-Prince, Impressions magiques, 1983 ; « Approche du français fondamental d’Haïti, le vocabulaire de la presse haïtienne contemporaine », Port-au-Prince, Faculté de linguistique appliquée, Université d’État d’Haïti, 1983 ; « Le problème linguistique haïtien », Port-au-Prince, Éditions Fardin, 1985.

–2– PIERRE VERNET ET HENRY TOURNEUX

« Ti diksyonè kreyòl-franse », Éditions caraïbes, 1976.

–3–ERNST MIRVILLE

« Éléments de lexicographie bilingue : lexique créole-français », Biltin Institi lingistik apliké, 1979.

–4— HENRY TOURNEUX

« Petit lexique créole haïtien utilisé dans le domaine de l’électricité », CNRS/

Cahiers du Lacito, 1986.

–5— PIERRE VERNET, BRYAN C. FREEMAN

« Diksyonè òtograf kreyòl ayisyen », Sant lengwistik aplike, Inivèsite Leta Ayiti, 1988.

–6— PIERRE VERNET, BRYAN C. FREEMAN

« Dictionnaire préliminaire des fréquences de la langue créole haïtienne », Sant lengwistik aplike, Inivèsite Leta Ayiti, 1989.

–7– BRYAN C. FREEMAN

« Dictionnaire inverse de la langue créole haïtienne / Diksyonè lanvè lang kreyòl ayisyen », Sant lengwistik aplike, Inivèsite Leta Ayiti, 1989.

–8– PIERRE VERNET ET HENRY TOURNEUX

« Leksik elektwomekanik kreyòl, franse, angle, espayòl », Fakilte lengwistik aplike, Inivèsite Leta Ayiti, 2001.

–9—LEMÈTE ZÉPHYR

« Kondisyon ki nesesè pou edikasyon fèt an kreyòl ann Ayiti », dans « La didactisation du créole au cœur de l’aménagement linguistique en Haïti », par Robert Berrouët-Oriol (coord.), Éditions Zémès et Éditions du Cidihca, 2021.

–10– LEMÈTE ZÉPHYR

« Aménagement linguistique et réussite scolaire en contexte plurilingue : regard sur le cas d’Haïti », dans « La francophonie haïtienne et la francophonie internationale » : apport d’Haïti et du français haïtien », par Renauld Govain (dir.), Jebca Éditions, 2021.

–11– LEMÈTE ZÉPHYR

« Kritè fòmèl pou n kole mo, dekole mo », dans « Le créole haïtien : description et analyse », par Renauld Govain, L’Harmattan, 2017.

–12– LEMÈTE ZÉPHYR

« Èske yon akademi se yon kondisyon pou gen pwodiksyon syantifik nan tèl lang », dans « Akademi kreyòl ayisyen : ki pwoblèm ? Ki avantaj ? Ki defi ? Ki avni », par par Renauld Govain (dir.), les Éditions de l’Université d’État d’Haïti, 2013.

–13– LEMÈTE ZÉPHYR

« Les facteurs de blocage à la communication dans les cours de français et 9e année fondamentale / Diagnostic et stratégies de remédiation », Jebca Éditions, 2022.

 –14—RENAULD GOVAIN

« La question linguistique haïtienne : histoire, usages et description », thèse en vue de l’« Habilitation à diriger des recherches » (HDR) en sciences du langage, Université Paris VIII, 2022.

 –15—RENAULD GOVAIN

« Plurilinguisme, pratique du français et appropriation de connaissances en contexte universitaire en Haïti ». Thèse de doctorat, Université Paris VIII, 2009.

 –16—RENAULD GOVAIN

« Enseignement du créole à l’école en Haïti : entre pratiques didactiques, contextes linguistiques et réalités de terrain », in Frédéric Anciaux, Thomas Forissier et Lambert-Félix : voir Prudent (dir.), Contextualisations didactiques. Approches théoriques, Paris, L’Harmattan, 2013.

 –17—RENAULD GOVAIN

« L’état des lieux du créole dans les établissements scolaires en Haïti », revue Contextes et didactiques, 4, 2014.

 –18—RENAULD GOVAIN

« Les emprunts du créole haïtien à l’anglais et à l’espagnol ». Paris, Éditions L’Harmattan, 2014.

 –19—RENAULD GOVAIN

« Le parler bolith : histoire et description ». Jebca Éditions, 2017.

 –19—RENAULD GOVAIN

(Sous la direction de). « Le créole haïtien : description et analyse ». Paris, Éditions L’Harmattan, 2018.

 –20—RENAULD GOVAIN

« Le français haïtien et le ‘’français commun’’ : normes, regards, représentations », revue Altre Modernità / Autres modernités, Università degli Studi di Milano, Italie, 2020.

–21—RENAULD GOVAIN

« Enseignement/apprentissage formel du créole à l’école en Haïti : un parcours à construire », revue Kreolistika, mars 2021.

–22—RENAULD GOVAIN

(Sous la direction de). « La francophonie haïtienne et la francophonie internationale : apports d’Haïti et du français haïtien ». JEBCA Éditions, 2021.

–23—RENAULD GOVAIN

« Pour une didactique du créole langue maternelle », paru dans le livre collectif de référence « La didactisation du créole au cœur de l’aménagement linguistique en Haïti », par Berrouët-Oriol et al., Éditions Zémès et Éditions du Cidihca, 2021.

–24—FORTENEL THÉLUSMA

« Le créole haïtien dans la tourmente / Faits probants, analyse et perspectives », C3 Éditions, 2018.

–25– FORTENEL THÉLUSMA

« La problématique de l’enseignement bilingue créole-français en Haïti : défis et perspectives », Madinin’Art, 19 janvier 2024.

–26– FORTENEL THÉLUSMA

« Analyse d’un échantillon de chansons créoles de la musique haïtienne », Fondas kreyòl, 7 septembre 2023.

–27– FORTENEL THÉLUSMA

« Propositions pour un enseignement-apprentissage efficace du français langue seconde en Haïti », Médiapart, 21 septembre 2021.

–28– FORTENEL THÉLUSMA

« L’enseignement-apprentissage du français en Haïti : constats et propositions », C3 Éditions, 2016.

–29– FORTENEL THÉLUSMA

« Éléments didactiques du créole et du français : le cas de la prédication nominale, des verbes pronominaux et du conditionnel » (2009), Éditions des Antilles, 2009.

–30– FORTENEL THÉLUSMA

« L’enseignement-apprentissage du créole en Haïti : analyse du projet didactique dans les documents et programmes officiels du ministère de l’Éducation nationale », paru dans le livre collectif de référence « La didactisation du créole au cœur de l’aménagement linguistique en Haïti », par Berrouët-Oriol et al., Éditions Zémès et Éditions du Cidihca, 2021.

–31—MOLES PAUL, DORCÉ FRANCKLYN & PETIT-FRÈRE JEAN ODELIN (2022)

« Pou yon lengwistik ayisyen », revue Rechèch etid kreyòl 1, « Òtograf kreyòl : istwa, evolisyon, kesyònman. Fokis sou kreyòl ayisyen an », dirigé Par Renauld Govain.

–32—MOLES PAUL & DORCÉ FRANKLYN (2022)

« Pour une étude sémantique des phrasèmes en créole haïtien ». Revue Kreolistika 2, « Rationnalités et imaginaires créoles : pratique , expression, usage», publiée par le CRILLASH, Université des Antilles.

–33—MOLES PAUL

« Les modalités du futur en créole haïtien ». Dans « Le créole haïtien dans les études créoles », dirigé par Renauld Govain. Montpellier : PULM, 2021.

–34—MOLES PAUL

(En collaboration avec Herby Glaude et Anne Zribi-Hertz), « Countability and number in a language without number inflection : evidence from Haitian Creole ». Dans Oxford Handbook of Grammatical Number », dirigé par Jenny Doetjes & Patricia Cabredo Hofherr. Oxford : Oxford University Press, 2021.

–35—MOLES PAUL

« Valeur future des modaux en créole haïtien ». Dans Temps et langage, Cahiers Linguatek, no 7 et 8, Performantica, 2020.

–36—MOLES PAUL & COPLEY BRIDGET

« Future particles in Haitian Creole ». Chicago Linguistics Society 55, Chicago : United States, 2019.

–37—MOLES PAUL

(En collaboration avec Anne Zribi-Hertz et Loïc Jean-Louis), « Left-Adjoined Bi-valent Predicates in two Caribbean French-based Creoles : Martinican and Haitian ». Revista Letras, Curitiba, no 99, 2019.

–38—MOLES PAUL

« Les valeurs sémantiques et pragmatiques de l’expression « tèt chaje » en créole haïtien ». Dans « Le créole haïtien, description et analyse », dirigé par Renauld Govain. Paris : Éditions l’Harmattan, 2017.

–39—MOLES PAUL

« Pour une étude de la polysémie en créole haïtien ». Dans DOKREIS, revue haïtienne des cultures créoles, Vwayaj, no 1, Port-au-Prince : Éditions des vagues, 2017.

Montréal, le 19 février 2024