La toxicité des pesticides largement sous-évaluée

Depuis fin 2020, la coalition d’associations « Secrets toxiques » alerte sur la sous-évaluation de la toxicité des pesticides. Les autorités européennes et françaises commencent doucement à se saisir de cet enjeu sanitaire.

Par Nicolas Dumont —

Tout débute fin 2020. Gilles-Eric Seralini et Gérald Jungers, deux scientifiques, décident d’acheter quatorze pesticides différents vendus en France, en Allemagne et en Pologne. L’idée est d’observer, via des analyses approfondies, la composition exacte de ces herbicides. Tous sont vendus comme étant des produits « de biocontrôle », c’est-à-dire qu’ils ne contiennent pas de glyphosate comme substance active. Pourtant, les deux chercheurs révèlent la présence d’arsenic, de métaux lourds ou bien encore d’hydrocarbures dans ces désherbants dits d’origine naturelle. Seul problème : toutes ces substances ne sont ni déclarées auprès des autorités, ni indiquées sur les étiquettes. Pire encore, cela signifie que leurs toxicités n’ont pas été évaluées…

Arsenic, métaux lourds et hydrocarbures

Suite à cette étude, les associations « Nature et progrès », « Campagne glyphosate » et « Générations futures » ont décidé de créer la coalition « Secrets toxiques ». Ce collectif réunit aujourd’hui 47 organisations et 17 groupes locaux. « On veut dénoncer cette fraude sur la sous-évaluation de la toxicité de ces herbicides et montrer les carences de l’État par la même occasion », explique Dominique Masset, coprésident de Secrets toxiques. Car si ces « omissions » interrogent d’un point de vue sanitaire, elles soulèvent avant tout une question d’ordre légale.

Petit retour sur la législation actuelle. D’un point de vue légal, l’Union européenne exige une vérification de la toxicité globale. En d’autres termes, de la toxicité générale du produit. Seulement, dans les faits, c’est l’industriel qui transmet la liste des substances contenues dans son pesticide aux agences chargées de la sécurité alimentaire, au niveau national et européen. Libre à lui de ne pas être transparent. « La toxicité réelle ne peut pas être évaluée correctement de cette manière. En plus, il n’y a aucune prise en compte de l’effet cocktail. En réalité, la toxicité est entre 1 000 et 10 000 fois supérieure à ce qui a été modélisé par les agences », s’indigne Dominique Masset.

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Possible recours devant le Conseil d’État

Suite à ces constatations, la coalition Secrets toxiques lutte depuis bientôt deux ans pour faire appliquer la réglementation. Dans ce but, les militants se mobilisent. En décembre 2020, neuf associations portent plainte pour fraude à l’étiquetage, mise en danger de la vie d’autrui, et atteinte à l’environnement. Aujourd’hui, elles sont 33. Et, le 5 octobre dernier, soutenue par 28 députés, la coalition a soumis une lettre préalable à la Première ministre Élisabeth Borne afin de l’alerter de cette sous-évaluation de la toxicité des pesticides. S’ils n’obtiennent pas de réponses de sa part, ils déposeront un recours devant le Conseil d’État.

La lutte avance néanmoins. Au niveau européen, la Commissaire européenne à la Santé, Stella Kyriakides, indiquait dans une lettre à la Commission environnement du Parlement européen que « si des informations insuffisantes sont apportées par les pétitionnaires (les producteurs – NDLR), les États Membres et l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) ont l’obligation de demander des informations complémentaires ». Plus récemment encore, le 7 novembre, la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement (cnDAspe) rendait un avis allant toujours dans ce sens : « Cet examen dévoile que les méthodes suivies pour évaluer les risques associés à ces pesticides ne répondent pas aux exigences du législateur européen. » La cnDAspe, à travers une liste de recommandations, demande notamment au gouvernement de « renforcer les moyens alloués à l’Anses (Agence Nationale Sécurité Sanitaire Alimentaire Nationale) afin qu’elle soit en mesure de satisfaire les prescriptions européennes. »

De quoi crier victoire pour Secrets toxiques ? « Cette commission n’a pas de pouvoir décisionnaire à proprement parler. Cependant, il y a une réelle prise de conscience chez les gens », se réjouit Dominique Masset. Et la coalition ne compte pas s’arrêter là. Le 8 décembre prochain, plusieurs militants sont invités à l’Assemblée nationale pour débattre de cet enjeu. De plus, Secrets toxiques compte sillonner les routes de France en s’appuyant sur les élus locaux pour organiser des débats citoyens sur le sujet. « Il faut réussir à obtenir un vrai soutien populaire. Certes, la réglementation mériterait d’être revue, mais dans le fond, ce que nous demandons, c’est juste qu’elle soit respectée », conclut Dominique Masset.

Source : L’Humanité