La mort d’Ahmad Jamal, le pianiste américain qui inspira Miles Davis et Keith Jarrett

Ahmad Jamal, né Frederick Russell Jones, est un pianiste et un compositeur de jazz américain né le 2 juillet 1930 à Pittsburgh en Pennsylvanie et mort le 16 avril 2023 dans le Massachusetts.

Biographie
L’enfance
Frederick Russel Jones (Ahmad Jamal, à partir de 1952, à la suite de sa conversion à l’islam) est né le 2 juillet 1930 à Pittsburgh en Pennsylvanie. Sa famille est très modeste : son père travaille dans une aciérie, sa mère fait des ménages. C’est pourtant elle qui achètera le piano sur lequel il fera ses débuts.

Pittsburgh a vu naître à cette époque de très nombreux jazzmen comme Kenny Clarke, Mary Lou Williams, Erroll Garner, et Art Blakey dont beaucoup furent des musiciens précoces (on peut notamment citer le cas d’Erroll Garner, voisin de la famille Jones — leurs mères étaient amies4 — qui débuta à l’âge de deux ans) : ce sera le cas du jeune Frederick (Ahmad).

Il semble en effet que son premier contact avec un piano ait lieu à 3 ans lorsque son oncle, en train de jouer dans le salon familial, le défie de reproduire la phrase musicale qu’il vient d’exécuter. Ahmad Jamal, qui n’a encore jamais posé les doigts sur un clavier, s’assoit alors sur le tabouret et reproduit note pour note ce qu’avait joué son oncle.

Le piano demeure un jeu jusqu’à l’âge de 7 ans, lorsqu’il commence à l’étudier sérieusement, en prenant des cours particuliers qui lui permettent de s’initier aux classiques : « À sept ans, j’ai commencé à étudier le piano. À onze, je jouais Liszt et j’étais professionnel. À quatorze, j’étais inscrit au syndicat des musiciens. Et à dix-sept ans, je commençai à faire des tournées. J’aurais voulu étudier à l’Académie Juilliard, mais il fallait que je gagne ma vie. »

Une carrière précoce
Pour gagner sa vie, il commence à jouer dans les night-clubs de Pittsburgh. Il accompagne alors des chanteuses (comme Dinah Washington), des petites formations (il joue notamment avec Sidney « Big Sid » Catlett) et certains big bands.

En 1947, George Hudson lui propose de rejoindre son orchestre. Cette expérience sera tout d’abord bénéfique car l’orchestre de Hudson offre enfin un cadre stable au jeune pianiste tout en lui permettant d’acquérir l’expérience des tournées.

Cependant, les relations entre Ahmad Jamal et George Hudson se dégraderont au fil du temps, car le tempérament et le style du pianiste s’accordent mal au cadre strict des grands orchestres.

En 1949, c’est la rupture. Ahmad Jamal monte alors sa première formation : un quartet qu’il appelle The Four Strings. Hélas, cette formation sera rapidement dissoute faute d’engagements. Très affecté, Ahmad Jamal quitte alors Pittsburgh pour aller tenter sa chance à Chicago.

Les Trios
Ahmad Jamal arrive à Chicago en 1950. À cette époque, les engagements de musiciens sont strictement contrôlés par le syndicat local, dont le but est notamment de promouvoir les musiciens autochtones. Obtenir un accord pour un simple engagement nécessite d’être résident de Chicago depuis plus de six mois, et les conditions sont encore plus strictes pour travailler en tant que leader. Dans l’attente d’une approbation, Ahmad Jamal se voit contraint d’effectuer divers métiers : porteur dans les grands magasins et même balayeur6.

Accepté peu à peu par la scène locale, il commence par se produire en solo puis il fonde, en 1951, son premier trio : The Three Strings avec Ray Crawford (guitare) et Eddie Calhoun (contrebasse).

Le 18 février 1952, Il se convertit à l’islam et prend le nom d’Ahmad Jamal. Il a parfois été dit qu’Ahmad Jamal était le cousin éloigné de Malcolm X, lui aussi converti à la même période. Ceci a été démenti par le pianiste lui-même.

En 1955, Israel Crosby remplace Eddie Calhoun. En 1956, Ahmad modifie son trio pour une formation piano-basse-batterie, Walter Perkins remplaçant Ray Crawford. Mais Perkins ne restera pas longtemps : il ne participera qu’à 3 albums avant d’être remplacé par Vernel Fournier à partir de 1957.

Ahmad Jamal dispose enfin d’un trio stable, et le succès sera retentissant en 1958 avec l’enregistrement de l’album Ahmad Jamal at the Pershing: But Not for Me, dont la version de Poinciana est demeurée légendaire5. Paradoxalement, ce succès, qui permit au talent de Jamal de dépasser le cercle restreint des amateurs de jazz lui fut alors indirectement reproché par certains critiques, qui le comparèrent à un « pianiste de cocktail ». Toujours est-il qu’il lui permet de concrétiser un projet qui lui tenait à cœur en ouvrant, à Chicago, son propre club de jazz : l’Alhambra. Le club est équipé d’un studio d’enregistrement qui permettra à Ahmad Jamal d’enregistrer « à domicile » et de faire ses premiers pas en tant que producteur.

L’année 1962 sera difficile : Ahmad Jamal divorce, et dissout le trioN 6. Il part alors s’installer à New York et en profite pour réaliser un vieux rêve : suivre les cours de la prestigieuse Juilliard School. C’est également lors de son passage dans « la grosse pomme » qu’Ahmad rencontrera Jamil Nasser (contrebasse), avec qui il constituera un nouveau trio à partir de 1963.

Toutefois, et malgré quelques enregistrements de qualité, le succès n’est pas toujours au rendez-vous. Si les musiciens dont Jamal s’est entouré ne manquent pas de talent, ils ne peuvent faire oublier Israel Crosby et Vernel Fournier. Parallèlement, ses efforts en tant que producteur ne déboucheront sur aucun succès notable et semblent le détourner de son travail de compositeur. En 1969, Ahmad Jamal est épuisé, et sa situation financière est mauvaise. Il décide alors de prendre du recul : « en 1969, j’avais à nouveau arrêté de jouer : j’étais occupé par la maison de disques que j’avais créée, et j’étais surtout fatigué, lassé, pas de la musique mais du business : tournées, compagnies de disques4… »

La maturité

Cette section ne cite pas suffisamment ses sources (juillet 2015).
La crise de 1969 sera salutaire : Ahmad Jamal semble prendre conscience de ses égarements et décide de se recentrer sur sa vocation première. Cette véritable renaissance sera symbolisée par l’album The Awakening, qui pose les bases du style définitif de Jamal. La grande sophistication des arrangements pour le trio confère à l’ensemble une cohérence et une sonorité très particulières, qui seront dorénavant identifiées comme la « signature » d’Ahmad Jamal.

Les années 1980 seront extrêmement prolifiques : multipliant les concerts et les enregistrements (3 albums pour la seule année 1980), Jamal semble libéré des contraintes formelles. Il connaît alors une période d’expérimentations : il s’attache à la sonorité des claviers en s’essayant au piano électrique et en travaillant avec des vibraphonistes, comme Gary Burton. Parallèlement, il approfondit son travail rythmique en s’entourant de percussionnistes comme Manolo Badrena.

En 1994, il tente une synthèse globale de son jeu de piano dans un enregistrement méconnu : Ahmad Jamal at home. Cet album, où Jamal apparaît seul au piano, ne comporte aucun thème, seulement quatre improvisations, comme un condensé du style du pianiste. En fait, Jamal fait partie, avec Nat King Cole, des rares grands noms parmi les pianistes de jazz à ne s’être pas véritablement livrés à l’ « astreinte du solo »

De la fin des années 1990 à aujourd’hui, Ahmad Jamal semble s’être apaisé. Tout en demeurant très actif sur la scène jazz, il a stabilisé son trio, composé du bassiste James Cammack et du batteur Idris Muhammad. N’ayant plus rien à prouver après plus de cinquante années de carrière, il demeure l’un des derniers témoins encore en activité de l’ère des géants du jazz.

Mort
Le 16 avril 2023 Ahmad Jamal meurt à son domicile dans le Massachusetts, à l’âge de 92 ans.

Personnalité
L’héritage
Sans doute ses origines modestes et sa jeunesse difficile y ont-ils contribué, il est en tout cas possible de distinguer certains traits de caractère très visibles :

Une impressionnante culture : du fait de la durée de sa carrière et sans doute également du nombre important de ses tournées, Ahmad Jamal a été en contact avec l’essentiel des acteurs significatifs de la scène jazz de la seconde moitié du xxe siècle. Auditeur attentif, il ne s’est pas contenté d’être spectateur des évolutions du jazz mais a intégré de nombreuses influences à sa personnalité propre. Ainsi, chacune de ses interventions fait la part belle aux musiciens qu’il a connus : « J’ai connu l’époque des premiers grands succès commerciaux de musiciens comme Louis Armstrong, Ella Fitzgerald, Benny Goodman, Billie Holiday, Duke Ellington, Nat King Cole… » Ces déclarations, reflets de sa grande expérience, ont sans doute contribué à la réputation d’« intellectuel » qui lui est parfois attribuée.
Un artiste en marge : Jamal a toujours été un artiste à contre-courant. Dans les années 1950, alors que les musiciens de be-bop pratiquaient une véritable surenchère en termes de vitesse de jeu, Ahmad Jamal affirmait un toucher cristallin et un véritable éloge du silence. « J’étais un ange parmi les diables […], les boppers faisaient exploser les notes. Moi, je les laissais résonner jusqu’au bout de leur vie. » Dans les années 1960, alors que le jazz expérimente l’abstraction au travers de la vague free, Jamal reprend les tubes de Stevie Wonder et se voit alors accusé de verser dans un jazz purement commercial. Enfin, lorsque les années 1970 voient le jazz se tourner vers la fusion, lui revient aux sources avec The Awakening, sobre et acoustique. Cette réputation d’artiste en marge explique en partie son manque de notoriété.
Une perpétuelle recherche de paix : Malgré le véritable tourbillon qu’est sa vie, Ahmad Jamal a fréquemment déclaré rechercher la paixN 9 : « La quête, c’est celle de la paix, musicale et intérieure. Je ne peux pas dire, reconnaître que je suis en paix, ce serait dangereux de l’exhiber : un homme en paix avec lui-même ne le dit pas. » De même, il a fréquemment posé pour des photographies en costume blanc avec une colombe, c’est notamment le cas sur la pochette de l’album After Fajr.

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