La Gwadloup malad !

— Par Jacky Dahomay —

 

La Gwadloup malad ! Entend-on souvent. Y aurait-il quelque chose de pourri dans notre pays de Guadeloupe ? Cela ressort aussi du rapport de synthèse que nous avons remis aux élus en décembre dernier. Nous avions  pourtant averti nos chers élus : la question de l’évolution statutaire n’était pas la préoccupation première de nos compatriotes. Comme si la Guadeloupe était malade de quelque chose de plus fondamental. Mais de  quoi ? Faut-il appeler les médecins ?

Les médecins ? On ne les entend pas beaucoup, ces temps-ci. Alors que ceux de Martinique, sous la direction de Mme Pelage, se  sont mobilisés contre l’épandage aérien, chez nous, silence complet à part Docteur Rugard et Docteur Sarazin, deux femmes, qui se sont  prononcées à ce sujet. Nous constatons, en leur rendant hommage, que ce sont les femmes car qui sont plus attentives à la  souffrance et à la vie quand les hommes, depuis l’origine de l’humanité, ont toujours eu la passion de se faire la guerre. Comment expliquer alors le silence de nos médecins ? Il est vrai qu’ils sont souvent politiques avant d’être médecins. Certains, il faut le dire, ne manquent pas d’originalité. Ainsi, alors que les capesterriens sont quelque peu déprimés, balancés qu’ils sont entre les intérêts bananiers et leur propre santé (car cette commune est la plus touchée par les  pesticides répandus dans les bananeraies), alors que 80% des terres en cette région sont inaptes à d’autres cultures, alors que la pêche est interdite dans la mer qui borde la commune, on nous apprend que le Maire de Capesterre Belle Eau, médecin pourtant, organise des  concours de pêche sur le bord de mer. Etrange non ? Est-il partagé entre médecine classique et  sorcellerie  traditionnelle, croit-il  ainsi conjurer le mauvais sort créé par l’empoisonnement à la  chlordécone ? Qu’en pense Madame la  Préfète guadeloupéenne ? Ne risque-t-elle pas de s’enfoncer dans la perplexité ?

Il nous manque un grand Shakespeare pour mettre en scène notre détresse. Car le navire Guadeloupe ne sait trop plus où il va. Il est loin d’avoir l’optimisme de la nef Argo conduisant Jason à la   conquête de la toison d’or. (Notons tout de même que Jason n’a pas ramené que la toison d’or, mais  aussi Médée la  terrible, assassinant ses propres enfants, pour prouver comme  dit Lacan que la féminité  ne  se réduit pas à la maternité comme le prétend le  discours masculin dominant. Mais ceci est une autre histoire. « La femme –disait Hegel- est l’éternelle  ironie de la communauté » et pour nous telle est sa grandeur. Je pense encore un fois à notre préfète. Quelle décision va-t-elle prendre ? Jamais décision d’un préfet n’aura tant été attendue de la part de l’opinion guadeloupéenne !

La nef  Guadeloupe avance pourtant mais elle  ne  sait guère où elle va. L’équipage s’agite, il faut le  reconnaître, essaie de faire quelque chose mais en se battant à coups de statuts. Désespérés, beaucoup de  jeunes ne croient plus en  rien, ne savent plus où  donner de la tête ou  du fusil. Des couples ou des familles  deviennent des lieux de grande violence. Des petites entreprises mettent la clef sous la porte. Les ouvriers de la  banane ne savent plus par quoi ils vont être mangés alors qu’ils doivent nourrir leurs familles. Un économiste clandestin, le dénommé Dolto, ne cesse de nous mettre la pression. On nous demande de choisir entre l’empoisonnement ou le chômage. Un grand maître de la Martinique, Eric de Lucy de Fossarieu,  ardent défenseur des pesticides, peut  être demain le grand fossoyeur de la  banane si cela  ne  correspond plus à ses intérêts. Que deviendront alors les petits et moyens planteurs de Capesterre ? Ils ne pourront que méditer sur ce que déclarait déjà le Professeur Belpomme, ennemi juré de De Lucy, dans le rapport qu’il présentait le 18 septembre 2007 à l’Assemblée nationale,  concernant l’usage des pesticides dans les bananeraies : « un désastre économique et sanitaire pour les générations antillaises futures » ! Que faire alors ? Où est notre capitaine ?

L’équipage formé pas nos élus appelle à un Congrès vendredi prochain. Que va-t-il en sortir ? La sous-commandante préfète attend des ordres. Le Ministre de l’agriculture Le Fol, comme une toupie folle, tantôt annonce que cette année 2013 doit voir la fin de l’épandage aérien mais dans le  même temps fait appel, concernant les décisions du Tribunal administratif de Basse-Terre,  devant la cour  d’appel de Bordeaux, et donne une autorisation d’un an aux planteurs martiniquais de poursuite de l’épandage aérien. Il pense  même venir nous rendre visite. Il  sera accueilli avec la  chaleur qui se doit. Nous sommes sur le point de « péter les plombs » !. Chef,  chef, où es-tu ?

Notre capitaine était  aux obsèques du Président Chavez où il représentait –de façon subalterne, il  faut l’avouer- notre « mère-patrie ». Il  est revenu paraît-il avec un fort mal  de la mer. Je  ne comprends pas pourquoi on l’embête avec cette histoire d’éloge de la  dictature, comme le fait la droite.  Ce n’est pas ce qu’il  voulait  dire, soyons honnêtes tout de même. Ce n’est qu’un lapsus. Précisément me disent mes amis psychanalystes, c’est un lapsus révélateur.

 -Ah bon, mais  de quoi ?

– De forces inconscientes d’origine infantile, sans doute une pulsion immodérée pour le pouvoir, s’enracinant dans son passé le plus lointain. Il faudrait sans doute le psychanalyser. N’oublions pas que nous sommes des   sociétés où domine la mère et il se pourrait que les hommes éprouvent quelques difficultés dans leur quête de pouvoir phallique, ce qu’on peut retrouver chez certains de nos leaders politiques ou syndicaux

Je n’aime pas trop la tendance qu’ont mes amis psys à vouloir psychanalyser les hommes publics. Ne faut-il pas prendre en compte seulement leurs actions publiques telles qu’elles adviennent à la clarté du jour ? Regarder côté jardin plutôt que côté cour ? Cela dit, lors du dernier Congrès des élus, je me plaignais auprès d’une proche de notre ministre de son attitude quand, lors d’une visite ici, il s’en est pris injustement aux associations qui avaient gagné le procès contre l’épandage aérien et aux juges qui selon lui auraient commis une erreur de droit. Il  aurait dû nous recevoir aussi et écouter ce  que nous avions à dire  au lieu de faire un éloge immodéré des planteurs. Telle devrait être la  sagesse d’un ministre. A mon grand étonnement  elle m’a répondu « Tu as raison, nous avons  tous été surpris, mais tu connais Toto, il est impulsif, il faut lui pardonner ». Un de mes amis m’affirme qu’il  venait de faire la traversée de l’Atlantique en compagnie de De  Lucy mais tout cela reste à vérifier.

Et je me suis  souvenu soudain que lors  des événements de 2009, Lurel m’avait rendu visite chez moi en compagnie de Jules Otto, je crois. Je lui avais dit : « ton plus grand ennemi, ce n’est pas Domota ni le LKP mais toi-même, Toto. ». J’avoue avoir voté Lurel aux dernières élections. Je me rends compte aujourd’hui que j’ai aussi voté Toto. Mea culpa donc. Je me sens mal à l’aise  dans  ces  considérations psychologiques, en matière  de politique ou d’action publique. En quoi la psychologie du ministre des Outre-mer peut-il  nous intéresser ? Car en vérité la subjectivité de Lurel est double. Il y a Victorin, qui fait un effort de rationalité dans  l’action d’une part et, d’autre part, Toto, la part en lui qui relève de pulsions difficilement contrôlable. Mais qu’est-ce qu’on en a à faire ?

Il se pourrait que la psychologie du capitaine renvoie à quelque chose de collectif. C’est que Lurel est le nom d’autre chose, pour parler comme Lacan ou Alain Badiou. Nous sommes tous des luréliens. Je m’en rends compte  aujourd’hui, douloureusement. Nous avons un côté Toto, lieux de nos pulsions qui nous  donnent le goût du pouvoir, de la compétition où nous sommes prêts à marcher sur les  autres pour réussir, de la consommation à outrance, toutes choses négatives  qui nous empêchent de construire un lien social, une subjectivité collective responsable, et de l’autre, un côté Victorin, qui nous pousse  à agir dans la  rationalité, en quête d’une action réfléchie. Est-ce pour cela  que Lurel  a été massivement élu ? La  question reste posée. Reconnaissons toutefois nos propres  tares collectives, car nous sommes  tous des névrosés. Nous voulons le beurre et l’argent du beurre et plus si c’est possible. C’est pour cela que l’action collective –le LKP en est un tragique exemple- a du mal à aboutir à une transformation réelle de notre société vers plus de  justice. Nous n’attendons pas grand-chose du prochain congrès des élus. Que faire alors ? Le navire Guadeloupe peut-il  continuer ainsi à la dérive ? Déjà il commence à faire eau de toutes parts alors que le gros temps est à venir  comme nous le laisse entendre l’énigmatique Dolto ! Y a-t-il une autorité ou un capitaine possible pour nous aider ? A l’évidence, nous sommes  mal barrés. Peut-être faudrait-il  que nous apprenions à nous barrer nous-mêmes.

 Que faut-il  faire pour l’instant ? Je ne suis pas du tout  pessimiste,  du moins  au plan collectif. Comme  disait  Saint-Augustin, nous ne  sommes que de pauvres voyageurs en ce monde. Et comme il y a un lieu du voyage, nous sommes les  voyageurs de la nef Guadeloupe. Et face à la déroute de l’équipage des élus censé nous guider, face  à la problématique douteuse de l’Etat et de ses représentants ici, Lurel et notre préfète,  Je suis heureux de constater qu’il existe des hommes  et des femmes, dans notre Collectif de vigilance citoyenne, qui consentent à  monter sur la hune et, dans ces temps de nuit  et de brouillard, acceptent le rôle difficile d’être  des hommes  et des femmes de grande vigie. Cela est sans doute modeste mais essentiel. Je suis sûr qu’à court ou moyen terme,  nous allons gagner la bataille contre l’épandage aérien, pratique culturale absolument nocive pour nos îles. Cela produira sans doute une crise économique et sociale dans le secteur bananier. Il appartiendra à l’Etat, à nos élus et à la partie de la société civile concernée d’assumer et de penser une autre orientation, pour la culture de la banane bien sûr, mais aussi pour une vraie diversification.

Si la Guadeloupe est malade, on ne peut pourtant pas psychanalyser toute une société. La seule thérapie qui nous reste est à chercher dans la société civile elle-même, avant l’Etat et nos représentants politiques. Si toute psychothérapie est avant tout un passage à la parole, il faudrait peut-être que tous nos problèmes, nos contradictions, se disent, se parlent, dans une rationalité même conflictuelle, dans la quête d’un bien commun, dans la construction ou l’échange d’expériences diverses. Mais qui pourrait nous écouter ? Quel sujet thérapeute transcendant ? Nous-mêmes, dans l’élaboration d’un grand discours collectif nous permettant de sublimer nos tares, servant de catharsis nous conduisant ensuite à établir une volonté politique conséquente.

Jacky Dahomay.