Nous devons faire table rase des idées du passé et arrêter de véhiculer de vieilles lunes pour éviter un futur drame à la Guadeloupe

— Par Dolto, économiste

Sujet à bien des remous et des controverses idéologiques autour de son passé et aussi de son actualité, la Guadeloupe est aujourd’hui à un tournant de son histoire. Elle est, en effet, confrontée actuellement à une crise sociétale et bientôt économique et sociale dont elle cherche à sortir en tentant de redéfinir son statut politique au regard de nouvelles réalités .
Pour comprendre ce qui nous arrive et nous attend, des idées du passé faut-il faire table-rase ?
A priori pourquoi pas ? Encore faudrait-il savoir de quelles idées du passé se défaire.
Nous en voyons deux qui à notre sens constituent de vieilles lunes véhiculés par certains intellectuels , politiques et syndicalistes à savoir :

1) – la chimère de l’auto suffisance alimentaire et le mythe d’une production locale facteur de développement économique

ll est intéressant d’analyser comment s’est réalisée à La Guadeloupe la croissance économique. Au moment de la départementalisation, tous les acteurs économiques et politiques croient que l’injection de l’argent public suffirait pour susciter une demande et une production, puis par effet boule de neige, aboutirait à une croissance auto-entretenue. On est là en présence du schéma type du multiplicateur Keynésien très à la mode dans les années 50-60. Dépenses de fonctionnement, rémunérations des fonctionnaires augmentées de 40% , investissements, prestations et aides sociales, toute la panoplie des transferts publics y passeront. En réalité le mécanisme de croissance alimenté par la demande a très bien fonctionné ( élévation notable du niveau de vie et progrès social incontestable ) ), mais l’appareil productif guadeloupéen plombé par l’économie de plantation et de comptoir n’étant pas prêt, le processus cumulatif attendu ne s’est pas opéré. Ce qui constitue le moteur de l’économie de la guadeloupe c’est l’importance de la consommation finale des ménages. Cette consommation est très supérieure à la production marchande locale, contrairement à ce qui peut être observé dans une économie moderne dite développée.
En réalité c’est la structure même de cette économie qui dès le départ allait fausser les postulats du théorème keynésien. La Guadeloupe présente en effet les caractéristiques d’une économie sous-développée. L’essentiel des terres arables dans ce département est occupé par la canne à sucre et la banane destinées à l’exportation. Le secteur agricole ne peut faire face à une demande accrue de produits agricoles et alimentaires car la diversification est encore balbutiante. Les structures foncières (vieillissement et taille des exploitations), la multiplication des intermédiaires, le subventionnement important par l’Europe de produits agricoles ou de certaines filières (canne,banane, melon, élevage) vont constituer- sauf rares exceptions- des embûches sur le chemin de l’auto-suffisance alimentaire.
Le problème de la faiblesse de la production locale en Guadeloupe n’est pas un problème de statut comme certains voudraient nous le faire croire.
Toutefois, la politique de parité sociale engagée lors de la départementalisation -à juste titre- entre la France Métropolitaine et la Guadeloupe ne permet pas à cette dernière d’être compétitive avec des pays de latitude comparable dans la Caraïbe.
Le principal défaut des productions locales, c’est qu’elles sont très chères comparées aux importations et ce en raison d’un coût du travail trop élevé .
la production locale a été anesthésiée jusqu’ici par une productivité insuffisante et par un coût salarial trop lourd à supporter pour les entreprises et ce en dépit des aides publiques, et la courbe ne pourra manifestement pas  s’inverser par un simple changement de statut.
( Au total, le montant des aides agricoles versées à la Guadeloupe a crû de 50 % entre 2008 et 2012, passant de 370 M€ à 690 M€ sans aucun résultat tangible).
Un constat d’échec patent de la production locale ,alors reste à inventer un nouveau modèle économique !

Quand on évoque ce que pourrait être l’économie de la Guadeloupe, inexorablement on pense au tourisme , à l’industrie agro alimentaire et à l’exportation. Mais en réalité, il est des secteurs extrêmement stratégiques telles que les technologies de l’information et de la communication. Les TIC permettent à des petits pays comme la guadeloupe de transformer radicalement les modalités de production, de livraison, de vente et d’achat de biens et services. Elles mettent en relation, par la connectivité numérique, un nombre croissant de personnes et d’entreprises, prêtes à participer à l’économie du savoir et à y contribuer. L’utilisation d’Internet permet aux acteurs relativement défavorisés — par exemple, des petites entreprises — d’entrer dans l’économie mondiale, en leur donnant accès à de l’information, à des communications et à un savoir qui étaient auparavant hors de leur portée. C’est pourquoi les politiques doivent gérer les transformations structurelles associées à ces évolutions.

2 ) – le changement de statut considéré comme un préalable au changement et une panacée au règlement des problèmes de la guadeloupe

Attention danger !!!! La crise à venir impose un autre regard sur le débat statutaire en Guadeloupe et conduit à ne pas minimiser la force destructrice de l’assimilation au contact des réalités de changement institutionnel et au risque réel de retour de bâton pour les élus !

Pourquoi le changement de statut de la Guadeloupe, idée séduisante en théorie,(et que je n’écarte pas à l’avenir ) provoque-t-elle un tel rejet de la part de la population ( 5% des guadeloupéens se disent intéressés dans le dernier sondage Qualistat de Mars 2013) ?
Tout simplement parce que l’idéologie, l’incompétence et l’improvisation règnent en maître au sommet des organisations politiques qui portent ce projet .
Ce n’est pas en prenant les gens pour des imbéciles ( en laissant croire à une amélioration de leur quotidien ) que l’on développe une culture de la responsabilité.
Au-delà de la faute politique, la problématique des moyens financiers témoigne d’une profonde erreur d’analyse , quand on sait que les caisses de l’Etat sont vides et le seront de plus en plus à l’avenir .Au sein de la république , les régions autonomes actuelles sont déjà gravement sous-dotées comparées à leurs consoeurs départementales, alors a fortiori dans le contexte de crise budgétaire actuelle et de réduction de la dépense publique à venir. Surtout, il ne peut exister de changement statutaire réussi sans une maîtrise des moyens correspondants aux nouvelles compétences, avec des progressions régulières et prévisibles dans le temps .

La liberté et la responsabilité dans la pauvreté et la pénurie, cela ne marche pas.
On le voit bien aujourd’hui à travers la lecture du dernier sondage Qualistat: les Guadeloupéens n’ont aucune confiance dans le pouvoir local des élus, en particulier pour les décisions de promotion de l’économie locale ou de modulation de la vie chère. A tel point que beaucoup préfèrent s’en remettre à l’état Français , dont chacun connaît pourtant les limites. Cette confiance dans la gouvernance locale, clé de voûte du changement statutaire, ne pourra se construire que progressivement, d’une part en donnant aux institutions actuelles des moyens pour développer des projets et non de la pénurie à répartir (pas facile de construire de la confiance dans ces conditions), d’autre part, en réfléchissant soigneusement à la structure des contre-pouvoirs au sein des institutions pour éviter le syndrome de la grenouille .
Au delà de la force incontestable de l’assimilation et du risque en gestation de guerre civile , en voulant inverser le processus, si on se place dans la conjoncture économique Française dégradée où les finances publiques sont au plus mal au point de gommer toute perspective de retour de la croissance (..) je ne vois pas comment des îles sans ressources propres comme la GUADELOUPE et la MARTINIQUE pourraient vivre mieux avec plus de compétences mais moins de moyens financiers ??
En tout cas le concept de territorialité (Saint-Martin/St-Barth)est loin d’être une solution de rechange à la départementalisation.Tahiti est territoire depuis plus de 30 ans.Cela ne s’est jamais arrangé socialement et économiquement et pire aujourd’hui c’est la banqueroute parce qu’à l’opposé de la Nouvelle-Calédonie (le nickel),tout comme la Guadeloupe , ils n’ont pas de ressources rentable.

Ce qui se conçoit bien est porteur d’espérance et non de désespoir, là est notre crédo :

On assiste en Guadeloupe depuis trois décennies à un engouement pour la mémoire qui touche les domaines les plus variés comme l’histoire , la culture , l’économie autant que les institutions de la Guadeloupe.
La société moderne issue de la départementalisation avaient pourtant toujours semblé miser plus sur l’originalité du présent ou l’investissement dans l’avenir que sur le retour ou les reprises du passé. Comment comprendre alors cette résurgence ?

Il existe, en fait, diverses façons de comprendre le rôle négatif du passé esclavagiste et colonial qui pollue le débat institutionnel et pése sur notre faculté à appréhender les grands enjeux à venir pour la Guadeloupe. Les nationalistes et d’autres , en sacralisant la culture créole comme mode de résistance au colonialisme, en agissant en son nom, impliquaient activement l’ancien dans l’actuel : le passé n’est pas un problème s’il définit le présent. Or, depuis le passage à l’assimilation et à la société de consommation en guadeloupe, ce n’est plus autant la culture qui donne identité et valeurs à la communauté guadeloupéenne, mais l’esprit d’assistanat et la mentalité de fonctionnariat qui façonnent la société interdisant toute évolution en douceur pour inventer un nouveau modèle original et durable de développement économique et social pour la Guadeloupe .Dans ces conditions ,nous considérons que seul un choc traumatique de forte ampleur devrait pouvoir débloquer la société guadeloupéenne et la libérer des chaines du passé.

L’image de la Guadeloupe va en prendre un sérieux coup et déstabiliser durablement le pays, mais ce sera le prix à payer. C’est comme si, trop malade, elle ne parvenait plus à dépasser la somme des intérêts particuliers, chacun défendant son avantage corporatiste dans une conjoncture qui n’incite plus aux largesses mais aux sacrifices, alors dans ce cas ne reste que la catharsis comme thérapeutique de choc .

Mais on sent aussi autre chose : certains guadeloupéens voudraient passer à autre chose, regarder la réalité en face, construire l’avenir. Pour eux , c’est clair : l’état d’esprit qui a présidé à la mise en œuvre de la départementalisation de la Guadeloupe appartient désormais au passé.

Ces guadeloupéens encore peu nombreux refusent la tendance victimaire de notre sociétés prompte à s’émouvoir pour éviter de réfléchir,préconisent de remettre à sa juste place un syndicalisme qui outrepasse souvent son rôle pédagogique pour flirter avec l’idéologie des dogmes révolutionnaire du passé et qui pratique la politique de la terre brulée,et pour ce faire,considèrent que nous devons désormais œuvrer à un travail de vérité et d’efficacité. Seul un nouveau modèle de croissance économique solide pourra redonner espoir aux guadeloupéens dans l’avenir . La fin d’une contestation politique de type populiste uniquement démagogique, une meilleure intégration régionale ( la création d’une grande région madikera /Guyane à terme autonome sous le régime de l’article 74 ), l’incitation au retour des guadeloupéens cadres ou porteurs de projets constituent des pistes intéressantes de réflexion. Une vraie révolution consiste à déjouer l’esprit d’assistanat qui a hier sous la houlette de l’assimilation et maintenant de l’UGTG et du LKP totalement imprégné les citoyens et travailleurs de Guadeloupe ( toujours plus mais sans contre partie!) ,. TRAVAILLONS ensemble pour revaloriser les valeurs travail et éducation et ce avec le concours de la société civile,c’est là l’unique objectif d’un développement harmonieux, puissant et pérenne , qui reste la clé de l’avenir pour la Guadeloupe.

Dolto