La grève générale en Guyane et aux Antilles de 2008-2009 débute en Martinique le 5 février

La grève générale de la Guyane et des Antilles françaises a commencé dans le département d’outre-mer de la Guyane le 24 novembre 2008, la Guadeloupe le 20 janvier 2009, et s’est étendue à l’île voisine de la Martinique le 5 février 2009. Les revendications principales de cette « grève contre la vie chère » étaient une baisse des prix jugés abusifs de certains produits de base, comme le carburant et l’alimentation, ainsi qu’une demande de revalorisation des bas salaires. Le Monde diplomatique rapporte à cette époque « une situation de monopole, comme celui de la Compagnie maritime d’affrètement – Compagnie générale maritime (CMA-CGM), qui pratique des tarifs abusifs sur les conteneurs en provenance de la métropole. Huit familles békées contrôlent des chaînes de supermarchés et l’import-export. Le Groupe Bernard Hayot (GBH) par exemple est classé cent trente sixième fortune française. Entre 2007 et 2008, les produits de première nécessité se sont envolés : + 48 % pour le lait, + 87 % pour les pâtes, + 59 % pour le beurre, etc. ».

La grève a paralysé pendant plus d’un mois et demi tous les secteurs, privés et publics, notamment les stations-services, les petits et grands commerces, les hôtels et les industries liés au tourisme, les établissements scolaires et les transports publics.

Le 5 mars 2009, après 44 jours de conflit, un protocole d’accord pour la Guadeloupe a été signé par Élie Domota pour le LKP, le préfet Nicolas Desforges pour l’État et Victorin Lurel le président du conseil régional. Il a mis officiellement fin à la grève en satisfaisant les revendications populaires.

La grève de 2009 est un mouvement de grande ampleur qui sort du cadre traditionnel des luttes syndicales. Le mouvement obtient un fort soutien populaire, ce qui oblige les syndicats à unir leur action. Le groupe syndical LKP en chef de file érigera le terme pwofitasyon, un mot créole qui aura pour vocation d’englober tous les maux des sociétés antillaises, principalement la vie chère et le chômage jugés du fait de la responsabilité des exploiteurs. D’après Pierre Odin le terme pwofitasyon est un support contestataire, c’est un biais par lequel l’existence de l’exploitation généralisée est rendue visible en pointant du doigt une opposition entre exploiteurs et exploités. Il rajoute également à son analyse que la Guadeloupe et la Martinique sont considérées comme « dépendantes » de la France en raison de l’héritage colonial.

Les prémices de ce soulèvement s’observent en décembre 2008, une protestation se développe contre la hausse du prix de l’essence. Une manifestation se dirige en direction de la préfecture pour envoyer une délégation qui est aussitôt réprimée par la police devenue le seul moyen de réponse. Les syndicats lancent alors une date de grève générale pour le 20 janvier 2009. Une période durant laquelle le LKP rédige des revendications. Sur l’île voisine, la Martinique, la mobilisation semble moins importante et l’intersyndicale a peu d’écho. En 2009 l’unité syndicale prime et les organisations syndicales doivent s’accorder sur des revendications communes, malgré leurs divergences. Notamment, l’une des mesures phares de ces 44 jours de grèves qui était celle de la CGT relative à une augmentation des salaires de 200 euros. Le syndicat veut faire payer le patronat (l’exploitant), alors que l’UGTG vise surtout l’État. Elie Domota et l’UGTG, le syndicat majoritaire, animent la coalition du LKP.

Le 20 janvier 2009, l’appel à la mobilisation remporte un franc succès en Guadeloupe, 10 000 personnes se retrouvent pour défiler dans les rues de Pointe-à-Pitre. Rapidement rejoint par d’autres secteurs, hôtellerie, commerce, énergie et eau, les rangs de la lutte se gonflent. Et au-delà des espérances syndicales le mouvement dépasse de très loin la mobilisation initiée par l’extrême-gauche. La Martinique suit le pas, et 20 000 personnes défilent dans les rues de Fort-de-France le 5 février. De très grande ampleur le mouvement dépasse ses organisateurs. Des axes routiers sont bloqués et la contestation s’autonomise du giron syndical. À cela s’ajoute une grande diffusion d’images, slogans et de chants. Le LKP conduit à une vague de défiance à l’égard des élus mais aussi des autorités administratives. Les négociations sont diffusées sur Canal 10, chaine télévisée locale, où les syndicalistes évoquent les réalités méconnues de l’exploitation en Guadeloupe. Cela leur vaudra la qualité d’experts, puisqu’en face les élus locaux accompagnés de l’élite sociale locale sont inactifs : un manque de réaction qui ne passe pas inaperçu.

La rupture des négociations fait basculer la situation qui se rapproche de l’insurrection. Des barrages sur les routes et dans les quartiers sont érigés par la population et les confrontations avec les forces de l’ordre se multiplient. Devenus des espaces autonomes et hors d’atteintes, ils contribuent au développement de la politisation avec les discussions entre militants, auxquels se joignent des personnes extérieures. Cette politisation par le bas est en lien direct avec les problèmes matériels du quotidien, comme le ravitaillement de la population. La stratégie repose sur l’horizontalité et les réseaux d’interconnaissances, ce qui fait que le mouvement sort de la sphère des responsables syndicaux et devient porté par des gens ordinaires.

La tension monte et des affrontements avec les forces de l’ordre ont lieu sur les barrages, avec des barricades enflammées, munis de jets de pierre. Toute la population est au rendez-vous, en particulier la jeunesse des quartiers populaires. Mais le LKP se prononce à l’encontre d’une insurrection. Un refus surement dû à la mort du syndicaliste Jacques Binot et le souvenir de Mai 67, raisons pour lesquelles il y aura une demande pour lever les barrages. L’annonce est mal reçue par les jeunes qui n’apprécient pas les ordres du LKP. Les 44 jours de grèves s’achèveront par un appel au calme et à retourner au travail après avoir obtenu satisfaction des revendications.

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Chronologie de la grève
Voici les principales étapes du mouvement de grève générale ayant touché la Guyane puis les Antilles françaises de la fin de 2008 au début de l’année 2009 :

Novembre 2008
24 novembre : après plusieurs jours de tension en Guyane à la suite de la décision d’augmenter les prix du carburant (1,77€ de litre d’essence et de 1,55 euro celui de gazole à la pompe), les premiers barrage se forment à Cayenne et Saint-Laurent du Maroni, bloquant toute circulation de marchandises et de véhicules (à l’exception de véhicules d’urgence). Cette mobilisation menée par un collectif de socioprofessionnel et de consommateur s’oppose à cette hausse et revendique une baisse de 50 centimes d’euro à la pompe. Des faits de violences sont rapportés. De longues files d’attente se forment devant les stations d’essences qui, n’étant plus approvisionnées, sont rapidement épuisées. Des faits de violences sont rapportées
25 novembre : Le mouvement s’intensifie. Les communes connaissent des perturbations. Malgré les gènes occasionnées, le mouvement est globalement soutenu par la population.
26 novembre : L’accès à l’aéroport est rendu difficile. La mobilisation s’organise tandis que tension monte localement et on observe quelques incidents à Cayenne
. Quatre barrages paralysent Saint-Laurent : les écoles et les commerces sont fermés, il n’y a plus de carburant et le marché est réduit au minimum

27 novembre : Quatrième jour de blocage général. L’aéroport est fermé. Plus aucun avion n’atterrit. La vie s’organise sur les barrages avec des animations tous les soirs autour sur les ronds-points et les carrefours. La jeunesse se mobilise La gendarmerie intervient ponctuellement. On constate parfois des tensions et incidents (feux de poubelles…). Des faits divers (meurtres) se déroulent en marge des festivités
30 novembre : Le mouvement s’intensifie. Les discussions entre élus et population s’organisent. Victorin Lurel, député de la 4e circonscription et vice-président du conseil régional guadeloupéen et Félix Desplan le député et premier vice-président du Conseil général de la Guadeloupe, rendent visite au président de région Antoine Karam. Les négociations avec le gouvernement échouent28. La situation se tend. Des rumeurs circulent concernant l’arrivée de CRS pour engager la répression du mouvement . L’aéroport rouvre par intermittence mais la région reste bloquée.
Décembre 2008
1e décembre : La mobilisation s’étend à l’ensemble du territoire. On compte 28 barrages sur les 2 routes nationales et dans les villes et communes31. La mobilisation bat son plein. On observe des convergences de luttes.
2 décembre : La mobilisation plutôt festive est étendue à l’ensemble du territoire jusqu’à Saint-Georges de l’Oyapock, mais commence à faiblir par endroits. Des délinquants profitent de la désorganisation générale.
3 décembre : Certains quartiers particulièrement isolés du fait des barrages s’organisent. Cette crise met au jour des revendications plus profondes.
4 décembre : Certains profitent de la situation en monnayant 25€ le trajet de 3 kilomètres menant de la RN1 à l’aéroport. Les barrages sont finalement levés après 11 jours de paralysie totale de la Guyane, à la suite d’un protocole d’accord signé entre les représentants de l’État, la Région Guyane, le Département de la Guyane et l’association des Maires de Guyane, malgré certaines revendications non satisfaites et des impacts profonds dans l’économie guyanaise, dont les faillites de plusieurs PME. Pendant ce temps, les faits divers se poursuivent.
5 décembre : Première réunion à l’appel de l’UGTG, proposition de manifestation le 16 décembre pour demander une baisse du prix de l’essence.
16 décembre : Manifestation « contre la vie chère » à Pointe-à-Pitre réunissant 7 000 personnes (selon le LKP) à l’appel de 31 organisations syndicales, politiques et associatives. Le sous-préfet reçoit une délégation de 15 personnes.
17 décembre : Manifestation de 4 000 personnes (selon le LKP) à Basse-Terre. Refus du Préfet de recevoir les dirigeants des organisations.
Entre le 17 décembre 2008 et le 20 janvier 2009 : Des réunions sont organisées afin de préparer la plate-forme de revendications du Liyannaj Kont Pwofitasyon (LKP).
Janvier 2009
19 janvier : Exigeant l’arrêt de toute implantation de nouvelle station-service et de cuve privée par les entreprises possédant une flotte automobile, les gérants des 115 stations-services de l’île débutent une grève illimitée .
20 janvier : Début d’une grève générale à l’appel d’une cinquantaine d’organisations syndicales, associatives, politiques et culturelles de la Guadeloupe réunies dans un collectif dénommé le « Liyannaj Kont Pwofitasyon » (LKP), pouvant être traduit par « Collectif contre l’exploitation outrancière. » Le collectif dépose une plateforme de 146 revendications, réclamant notamment une hausse des bas salaires de 200 euros ainsi qu’une baisse du prix des carburants, des produits de première nécessité, des impôts et des taxes. Manifestation de 3000 manifestants à Pointe-à-Pitre.
21 janvier : La grève s’étend aux secteurs de l’éducation et l’hôtellerie.
23 janvier : Première négociation avec le préfet Nicolas Desforges. La distribution de l’eau potable est perturbée.
24 janvier : Nouvelle manifestation à Pointe-à-Pitre, réunissant 8 000 personnes selon la police et 25 000 personnes selon les organisateurs.
26 janvier : Le préfet réquisitionne huit stations-services afin de permettre aux véhicules prioritaires d’être approvisionnés44. La chaine de télévision RFO interrompt ses programmes.
28 janvier: Le secrétaire d’État à l’Outre-Mer, Yves Jégo, propose des négociations « thème par thème, dans un délai contraint de quatre semaines ».
29 et 30 janvier : Selon les sources, 12 000 à 65 000 personnes manifestent à Pointe-à-Pitre, une mobilisation record sur l’archipe.
31 janvier : Le conseil régional de la Guadeloupe et le conseil général de la Guadeloupe proposent des mesures à hauteur de 54 millions d’euros afin de satisfaire les principales revendications du LKP, qui les refuse en bloc et appelle à la poursuite de la mobilisation.

Février 2009
1er février : Yves Jégo arrive en Guadeloupe afin de tenter de résoudre le conflit qui paralyse l’île depuis près de deux semaines.
2 février : Jégo annonce la réouverture de 25 stations-services et l’application anticipée du Revenu de solidarité active (RSA) dès cette année.
3 février : Jégo annonce que « dès cette année » 40 000 billets d’avions aller-retour à 340 euros Pointe-à-Pitre/Paris seront mis à disposition des « Guadeloupéens les plus modestes ».
4 février : Jégo annonce « une trentaine de mesures », et notamment avoir obtenu un engagement clair et chiffré de la grande distribution afin qu’elle baisse de 10 % le prix de 100 produits de première nécessité. Première réunion de négociations à Basse-Terre avec le LKP. Blocage du port et des écoles.
5 février : Début de la grève en Martinique, 15 000 à 20 000 manifestants se rassemblent à Fort-de-France contre la vie chère. Barricades de pompistes devant les stations-services.
6 février : En Guadeloupe, blocage de l’unique dépôt pétrolier de l’île. En Martinique, début des négociations entre l’État, les élus, le patronat et le « collectif du 5 février » qui réunit les syndicats menant la grève générale50. Diffusion sur Canal+ d’un reportage de Romain Bolzinger sur les békés intitulé « Les derniers maîtres de la Martinique », dans lequel Alain Huygues-Despointes, entrepreneur béké de Martinique confie qu’il regrette que les historiens ne s’intéressent pas « aux bons côtés de l’esclavage » et explique « vouloir préserver sa race ». Malgré les excuses et les « sincères regrets » présentées par Huygues-Despointes, la diffusion de ce reportage en pleine crise sociale entraine de nombreuses réactions hostiles contre la communauté béké. Yves Jégo, le secrétaire d’État à l’outre-mer, juge ces propos « parfaitement ignobles » et le parquet de Martinique ouvre une information judiciaire pour « apologie de crime contre l’humanité et incitation à la haine raciale » .
8 février : en Guadeloupe, plusieurs milliers de manifestants sont réunis à Basse-Terre où se poursuivent les négociations. Un préaccord sur les principaux points de revendications et notamment sur une hausse des bas salaires est trouvé entre le patronat guadeloupéen et le LKP. Yves Jégo annonce son retour à Paris afin de le soumettre à Matignon. En Martinique, plusieurs grandes surfaces sont contraintes par les grévistes à fermer leurs portes.
9 février : en Guadeloupe, le président du conseil général, Jacques Gillot (PS), appelle à une « journée île morte. »  Le secrétaire général du Medef de la Guadeloupe, Jean-Luc Lubin, chiffre entre 160 et 200 millions d’euros le manque à gagner entraîné par les mouvements de grève.
En Martinique, des milliers de personnes manifestent contre la vie chère.
10 février : Le premier ministre François Fillon annonce le retour d’Yves Jégo aux Antilles et déclare que l’État ne peut se substituer aux partenaires sociaux. Une réunion interministérielle de crise se tient à Paris.
11 février : Un prérapport établi à l’attention d’Yves Jégo sur la fixation des prix du carburant aux Antilles et en Guyane s’avère accablant pour les compagnies pétrolières, accusées de s’enrichir parfois sans cause aux dépens des consommateurs.
jeudi 12 février : Jégo fait 39 propositions pour sortir de la crise en Martinique. Il dénonce les propos racistes d’un entrepreneur béké diffusés dans un reportage sur Canal+ . En Guadeloupe sur la chaine de télévision locale Canal 10, en réaction à un appel des chefs d’entreprises à assurer leur sécurité par eux-mêmes et à cesser les dérives, menaces et pressions exercées sur les entreprises, Élie Domota lance un avertissement « Si quelqu’un blesse un membre du LKP ou un manifestant guadeloupéen, il y aura des morts », « Les békés prennent leurs dispositions, nous prenons les nôtres », « Si c’est la guerre civile que vous voulez et qu’il y a besoin de faire un mai 67, vous pouvez compter sur nous »
vendredi 13 février : Nicolas Sarkozy annonce la mise en place sans délai d’un Conseil interministériel de l’Outre-mer. Yves Jégo annonce que les mesures d’État pour les Antilles seront applicables à La Réunion et à la Guyane. À la Réunion, les syndicats appellent à une grève générale le 5 mars.
samedi 14 février : Des élus des Antilles françaises appellent à « assouplir » les mouvements de grève en raison de leur impact sur l’économie et la vie quotidienne. Domota déclare « L’État français a choisi sa voie naturelle: celle de tuer les Guadeloupéens comme d’habitude », dénonçant des gendarmes arrivés en Guadeloupe « armés jusqu’aux dents » .
dimanche 15 février : Le blocage est total dans les Antilles françaises, les négociations semblent immobilisées. Les supermarchés encore ouverts sont évacués, les manifestants utilisent la force contre les salariés.
16 février : Un appel au blocage des routes est lancé en Guadeloupe, les forces de l’ordre reçoivent l’ordre d’assurer la liberté de circuler et s’opposent aux manifestants obstruants les grands axes de l’île. Des magasins sont pillés et des voitures sont brûlées. Il y a plusieurs interpellations et quelques blessés légers . Les chaines de télévision guadeloupéennes retransmettent le témoignage d’Alex Lollia, le secrétaire général de la CTU, qui déclare « Les CRS sont arrivés : ils m’ont dit sale chien ! sale nègre ! On t’a vu hier soir à la télé, on va te casser ! ».
17 février : Après une nuit de violence, le calme est revenu dans la journée. L’aéroport est fermé faute de personnel. Le président du conseil régional de Guadeloupe Victorin Lurel s’alarme de voir les négociations dans l’impasse et déclare que « la Guadeloupe est au bord de la sédition. » Yves Jégo assure qu’il y a un travail « en coulisses » et dit avoir « bon espoir » que la crise sociale soit prochainement résolue. En Martinique, le « collectif du 5 février » et les représentants de la grande distribution parviennent à un accord sur la notion de produit de première nécessité9.
mercredi 18 février : Deuxième nuit de violence. Mort d’un syndicaliste du LKP, Jacques Bino, tué par balle par des jeunes tenant un barrage routier à Pointe-à-Pitre alors qu’il rentrait d’un meeting. La ministre de l’Intérieur et de l’Outre-Mer Michèle Alliot-Marie déclare que « les pillages, les violences contre les personnes, les exactions » ne seront pas tolérés et annonce l’envoi de « quatre escadrons de gendarmes mobiles », soit 280 militaires, alors qu’un millier de gendarmes et autant de policiers sont déjà sur place. Des célébrités tels que le footballeur Lilian Thuram  ou encore le chanteur de dancehall Admiral T soutiennent le mouvement du LKP tout en faisant un appel à la non-violence des jeunes. Lors de son allocution télévisée sur les mesures sociales anti-crise du gouvernement, Nicolas Sarkozy évoque la situation en Outre-mer pour la première fois depuis le début des grèves et promet de répondre à « l’angoisse », « l’inquiétude » et « une certaine forme de désespérance de nos compatriotes des territoires d’Outre-mer. »
jeudi 19 février : Nombreuses interpellations dans la nuit de mercredi à jeudi où cinq magasins sont incendiés, des balles tirées sur les forces de l’ordre et la mairie de Sainte-Rose dégradée. Allocution du président de la République sur la situation en Guadeloupe diffusée en direct sur les antennes de RFO. Nicolas Sarkozy affirme comprendre les « frustrations, les blessures, les souffrances » estimant que depuis des années « on ne s’est pas attaqué aux racines du mal ». Il annonce un effort supplémentaire de 580 millions d’euros pour les DOM, l’ouverture d’États généraux et dit être favorable à la création d’une collectivité unique par département d’outre-mer.
vendredi 20 février : La nuit est plus calme que les précédentes. Les forces de l’ordre dégagent certains barrages routiers. François Fillon attend que le patronat « fasse des propositions d’augmentation de salaire » estimant que sans accord entre partenaires sociaux « la crise ne sera pas résolue ». Le leader du LKP Élie Domota annonce la reprise des négociations avec le gouvernement, déclarant vouloir « trouver un accord sur la base du préaccord du 8 février », le but étant d’obtenir une hausse de 200 euros pour les bas salaires, compensée par un allègement de cotisations patronales à la charge de l’État. À cela les médiateurs envoyés par François Fillon proposent un système de bonus, payés par les patrons et exonérés de cotisations, compris entre 50 et 120 euros pour les salariés gagnant moins de 1,4 fois le Smic. Les négociations sont interrompues dans la soirée, devant reprendre lundi.
samedi 21 février : Plusieurs personnalités de gauche apportent leur soutien au collectif LKP. Après Olivier Besancenot arrivé la veille, Ségolène Royal débarque ce samedi en Guadeloupe. À Paris, une manifestation de soutien au mouvement de lutte contre la vie chère rassemble entre 10 000 et 15 000 personnes, dont de nombreux responsables politiques de gauche et d’extrême gauche. Un jeune motard non casqué de 23 ans se tue en percutant un barrage érigé par des membres du LKP à Saint-François dans la nuit de vendredi à samedi . La plupart des barrages sont dégagés dans la journée et treize stations-service sont réquisitionnées.
En Martinique, le carnaval est annulé, du jamais-vu depuis l’éruption de la montagne Pelée en 1902.
dimanche 22 février : Obsèques de Jacques Bino, le syndicaliste de la CGTG tué le 18 février. Ségolène Royal y participe, presse le patronat de répondre à la revendication sur l’augmentation des salaires.
lundi 23 février : Reprise des négociations, buttant toujours sur la question de l’augmentation des bas salaires, entre le collectif LKP, le patronat et l’État. Le calme semble être revenu, tous les axes routiers ont été dégagés pendant le weekend.
mardi 24 février : Mardi gras, 35e jour de grève en Guadeloupe, 19e jour en Martinique, la plupart des festivités sont annulées.
En Guadeloupe, la région et le département proposent « une contribution financière conjointe de 50 euros par mois sur une durée de 12 mois non reconductible ».
La Martinique et Fort-de-France connaissent une première nuit de violence et de pillages après que les grilles de la préfecture ont été enfoncées par la foule alors que les négociations s’éternisaient.
mercredi 25 février : L’État propose la mise en place d’un Revenu supplémentaire temporaire d’activité (RSTA) de 80 euros jusqu’à 2011, avant un retour au revenu de solidarité active (RSA).
jeudi 26 février : un accord salarial partiel est signé en Guadeloupe pour une augmentation des bas salaires: ceux qui gagne entre 1 et 1,4 fois le SMIC verraient leur revenu mensuel augmenter de 200 euros par mois. Le protocole d’accord a été signé en l’absence du Medef et de sept autres fédérations patronales – CGPME, UPA, transports, BTP, tourisme et industrie notamment – qui affirment représenter 90 % des salariés guadeloupéens. Selon Willy Angèle, l’accord a été signé entre « le LKP et des organisations patronales minoritaires qui lui sont très proches ». Élie Domota parle d’« un premier pas » et d’« un accord qui vaut son pesant d’or », mais n’appelle pas à la fin de la grève.
En Martinique, Fort-de-France connait une seconde nuit d’exactions.
vendredi 27 février : Six personnes sont placées en garde à vue dans l’enquête sur la mort par balles du syndicaliste Jacques Bino.
En Martinique, le préfet Ange Mancini demande à la population de l’île de ne pas sortir après 19h précisant néanmoins qu’il ne s’agissait pas d’un couvre-feu. Il annonce également que les gardes mobiles vont entrer en « phase dynamique ». La nuit sera finalement très calme à Fort-de-France mais marqué néanmoins par de la casse dans les autres communes et en particulier au Lamentin.
samedi 28 février : En Guadeloupe le Medef refuse toujours de signer l’accord sur l’augmentation des bas salaires signé vendredi par le LKP et des syndicats patronaux minoritaires, restant sur leurs dernières propositions81. Les négociations reprennent sur les revendications autres que salariales du collectif. À Paris, entre 3 500 et 4 000 personnes se réunissent en soutien « au peuple des Antilles ».

Mars 2009
dimanche 1er mars : Le suspect du meurtre du syndicaliste Jacques Bino, un Guadeloupéen de 35 ans, est mis en examen pour meurtre et tentative de meurtre et écroué. Le préfet Nicolas Desforges appelle à la reprise des activités dès lundi, estimant que l’essentiel des revendications du LKP est acquis. Élie Domota estime que cet appel à la fin de la grève, lancé en pleine négociation, est « cavalier et irrespectueux ». Willy Angèle estime qu’il serait « vraiment extraordinaire » que l’accord signé entre le LKP et certaines organisations patronales professionnelles minoritaires soit étendu à toutes les entreprises10,82. Le ministre de l’Intérieur et de l’Outremer, Michèle Alliot-Marie, appelle le Medef à adopter, « lui aussi, une attitude responsable » dans les négociations salariales en cours10. Dans la soirée, Domota réitère son intention de demander l’extension de l’accord à toutes les entreprises de Guadeloupe et déclare vouloir « passer d’entreprise en entreprise pour le faire signer. » Après avoir laissé entendre qu’il pourrait suspendre la grève dimanche, le LKP annonce qu’il ne se prononcera que lundi, après transmission d’un document actant les points d’accord10,83.
lundi 2 mars : Lundi matin environ un millier de partisans du LKP manifestent devant le centre commercial de Baie-Mahault. Dans le cortège, Charlie Lendo, secrétaire général adjoint de l’UGTG déclare que « l’idée c’est que nous contraignions (les propriétaires) à signer l’accord » sur l’augmentation de 200 euros des salaires. Max Céleste, dirigeant de Combat ouvrier (Lutte ouvrière) et membre du LKP prévient que « Même s’il ne signe pas aujourd’hui, les travailleurs se chargeront de faire signer l’accord de gré ou de force ». Willy Angèle réplique à la déclaration de la veille de Michèle Alliot-Marie qu’il serait « très difficile pour les entreprises de prendre l’engagement de se substituer au bout de deux ans aux primes de l’État et des collectivités locales » pour assurer les 200 euros d’augmentation prévue sur les bas salaires. Il dénonce à nouveau les « méthodes musclées » du LKP accusé de « fermer par la force des entreprises » et il estime qu’à la suite de la grève, les dépôts de bilan devraient « se traduire par 10000 à 14000 suppressions d’emplois », entrainant le taux de chômage à « plus de 30 % ». Le préfet Desforges déclare « qu’il faut savoir finir une grève » et souligne que sa prolongation serait « auto-destructrice pour l’île, son économie et son image, voire pour sa cohésion sociale » 10,84. La société de production TAC Presse est perquisitionnée à la suite du reportage « Les derniers maîtres de la Martinique »85, la justice ayant ouvert une enquête pour « apologie de crime contre l’humanité et incitation à la haine raciale » .
mardi 3 mars : La présidente du Medef Laurence Parisot annonce que Willy Angèle devrait donner son accord pour que toutes les entreprises de l’île appliquent « des bonus spécifiques, des primes de pouvoir d’achat » proches ou équivalentes à 200 euros. Elle justifie en revanche le refus de signer l’accord signé par le LKP « parce qu’il y a un engagement financier qui rend cet accord mortel pour la plupart des entreprises de Guadeloupe ». Elle dénonce également l’attitude de l’État dans la crise, jugeant qu’il s’est montré « complaisant » et qu’il « n’a pas tenu son rôle, n’a pas permis que les négociations se déroulent d’une manière normale, comme dans tout dialogue social », affirmant qu’« il y a eu beaucoup d’intimidations, de menaces, même de violences de la part du LKP qui ne pouvait que perturber et gêner la bonne conduite de la négociation » 88. François Fillon déclare que « l’économie de la Guadeloupe est au bord du gouffre » et qu’« il va y avoir de toute façon des dégâts considérables liés à la longueur de ce conflit », demandant que le travail reprenne.
En Martinique, au 26e jour de grève, un accord-cadre est signé entre le patronat et la majorité des organisations syndicales, prévoyant une augmentation de 200 euros nets mensuels pour les salaires jusqu’à 1,4 smic; 100 euros provenant de l’État au titre du revenu supplémentaire temporaire d’activité (RSTA) nouvellement créé, entre 30 et 100 euros provenant des entreprises selon leur taille et leur situation financière, le restant provenant du conseil régional et du conseil général. Le mot d’ordre de grève générale n’est toutefois pas levé.
mercredi 4 mars : Élie Domota estime dans la matinée qu’« il faudra un peu de temps » pour finaliser l’accord mais pense « pouvoir y arriver ». Il déclare que « le peuple guadeloupéen demande plus de respect, plus de dignité, du travail, la fin de la discrimination raciale, l’augmentation des salaires et des formations pour assurer l’avenir de la jeunesse » et ajoute que « le débat institutionnel n’a jamais été posé par le LKP ». Il rejette la proposition de prime du Medef : « Une prime, ce n’est pas une augmentation de salaire. Laurence Parisot ferait mieux de demander à ses amis des colonies de signer l’accord conclu ».
jeudi 5 mars : Au 44e jour de grève, le préfet de Guadeloupe, Nicolas Desforges, le porte-parole du LKP, Élie Domota et le président du conseil régional de Guadeloupe, le socialiste Victorin Lurel signent un protocole de suspension du conflit92. Ce dernier salue un « accord historique » qui « permet d’envisager une sortie par le haut de la crise sociale qu’a connue la Guadeloupe durant six semaines ». Le texte compte 165 articles et récapitule les différentes avancées obtenues depuis le 20 janvier des 146 revendications du LKP destinées à accroître le pouvoir d’achat. Lui est annexé l’accord « Jacques Bino » prévoyant une augmentation de 200 euros sur les bas salaires, et uniquement signé par les organisations patronales minoritaires. Domota déclare « il faut continuer à rester mobilisés et continuer à se battre », « Nous militons toujours pour l’extension de l’accord Bino dans toutes les entreprises de Guadeloupe »93. Il affirme à propos des entreprises toujours bloquées que « soit elles appliqueront l’accord, soit elles quitteront la Guadeloupe » et ajoute « nous ne laisserons pas une bande de békés rétablir l’esclavage ». Il demande l’extension de l’accord et appelle au boycott de certaines enseignes telles que Match, Carrefour et Cora94. Il estime de plus que le Medef est « en train d’imploser » en Guadeloupe. La fédération patronale du BTP appartenant au Medef-Guadeloupe déclare « adhérer à l’accord ».
vendredi 6 mars : Le ministère du Travail annonce qu’il lancerait en fin de semaine une procédure d’extension de l’accord interprofessionnel sur les salaires, ce qui impliquerait que l’accord qui n’a été paraphé que par des organisations patronales minoritaires devra être appliqué à l’ensemble des salariés de Guadeloupe95. La Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) dénonce « les propos outranciers et menaçants du LKP » et réaffirme son opposition à l’accord « Jacques Bino ». Le Medef Guadeloupe « respecte » et juge « normale » la procédure engagée par le ministère du Travail.
En Martinique, des incidents violents éclatent en marge d’une manifestation contre le blocage de l’île menée par des petits agriculteurs. Leur colonne de tracteurs est bloquée à l’entrée de Fort de France, certains sont incendiés. Un automobiliste est violemment pris à partie par des jeunes. Dans la soirée, des affrontements ont lieu autour du siège du « Collectif du 5 février ».
samedi 7 mars : En Guadeloupe, le Medef formalise son engagement unilatéral à augmenter les bas salaires sous forme de « bonus exceptionnel » exonéré de cotisations salariales et exclu du salaire de base, s’appliquant aux salariés percevant jusqu’à 1,4 fois le SMIC et allant de 50 à 100 euros selon l’entreprise. La procédure d’extension de l’accord sur les salaires est lancée. Quelques milliers de manifestants défilent à l’appel du LKP pour réaffirmer leur soutien au mouvement. Le parquet de Pointe-à-Pitre ouvre une enquête judiciaire à l’encontre du leader du LKP, Elie Domota, pour « provocation à la discrimination, à la haine et à la violence contre des personnes ou des catégories de personnes en raison de leur origine visant notamment et spécifiquement les personnes désignées par le vocable ‘béké’ ».
dimanche 8 mars : Domota dément avoir tenu des propos racistes, explique qu’« il ne s’agit pas du tout d’un appel à la haine raciale » et dénonce « une volonté affichée de faire taire le peuple guadeloupéen ». Cette action judiciaire est considérée comme de la « provocation » par l’un des avocats du LKP qui avertit que si elle était confirmée, « nous allons déposer plainte nommément contre ceux qui ont déposé plainte, pour révisionnisme », jugeant que les propos de Domota sur les békés reflétaient « la réalité historique ». Le conseiller spécial de Nicolas Sarkozy déclare « inacceptable » toute incitation à la violence ou à la haine raciale mais affirme que le sentiment identitaire aux Antilles est alimenté par des « formes d’exploitation et d’injustice ».
lundi 9 mars : Brice Hortefeux, le ministre du Travail déclare qu’il ne prendra qu’après le 20 mars une décision sur une éventuelle extension de l’accord sur les salaires à toutes les entreprises privées de Guadeloupe.
À La Réunion, le préfet Pierre-Henry Maccioni annonce une baisse des prix du gaz et des carburants et le Medef donne son accord pour une prime de 50 euros sur les bas salaires.
mardi 10 mars : La ministre de l’Intérieur et de l’Outre-mer Michèle Alliot-Marie juge « inacceptables » certains termes de l’accord salarial signé en Guadeloupe et déclare qu’« une nouvelle page s’écrit dans l’histoire des relations entre l’outre-mer et la métropole » lors de sa présentation du projet de loi sur l’outre-mer au Sénat.
À la Réunion, le « collectif contre la vie chère à la Réunion » (Cospar) appelle au calme après des heurts entre jeunes et forces de l’ordre en marge d’une manifestation, appelant à la reprise des négociations afin d’« aboutir à un accord le plus tôt possible ».
En Martinique, le tribunal de grande instance donne raison aux 45 entreprises ayant déposé des requêtes demandant la levée des barrages les empêchant de travailler.
mercredi 11 mars : En Martinique, le « collectif du 5 février » et le patronat signent un accord global sur les bas salaires qui prévoit une augmentation de 200 euros pour les salariés de droit privé qui gagnent entre 1 et 1,4 fois le SMIC. Le collectif annonce toutefois que la grève n’est pas finie mais que des assouplissements seront faits sur les barrages.
À la Réunion, les négociations reprennent sous l’égide du préfet Pierre-Henry Maccioni après une nuit de violences.
Dans le cadre du projet de loi sur l’outre-mer le Sénat donne son accord pour la création dans les quatre DOM de « zones franches d’activité ».

jeudi 12 mars : Le gouvernement déclare qu’il ne va probablement pas étendre à toutes les entreprises de Guadeloupe l’accord prévoyant une hausse de 200 euros pour les bas salaires.
Dans le cadre du projet de loi sur l’outre-mer le Sénat vote la création d’un fonds exceptionnel d’investissement afin d’aider les collectivités territoriales d’outre-mer et de financer des investissements publics.
vendredi 13 mars : Le Sénat adopte la Lodeom (loi sur le développement économique des outre-mer), qui doit renforcer les incitations fiscales en faveur du développement de l’outre-mer.
samedi 14 mars : En Martinique, au 38e jour de mobilisation menée par le « Collectif du 5 février », un protocole de fin de conflit est signé.

Avril 2009
1er avril : Ecomax, la première enseigne de grande distribution à avoir signé avec le LKP un accord sur une baisse des prix des produits de première nécessité propose ce mercredi 1er avril une baisse effective dans ses 28 magasins.
10 avril : Le gouvernement annonce l’extension à toutes les entreprises guadeloupéenne de l’«accord Bino» du 26 février garantissant une hausse de 200 euros sur les bas salaires jusqu’à 1,4 fois le smic, à l’exception de l’article 5 qui prévoyait que ces 200 euros seraient à la seule charge des employeurs au terme des trois ans de l’accord.
Contexte social et économique aux Antilles

Si le mouvement de grève générale contre la vie chère a débuté en Guadeloupe en janvier 2009, c’est que ce département français a une histoire coloniale, une situation économique et sociale bien particulière.

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