La grève de Février 1900

Vendredi 7 février 2020 – 19 H : Représentation théâtre amateur. Terrain de l’Usine – François Municipalité du François

Samedi 15 février 2020 – 19 H : Swaré bèlè Salle des fêtes du François AM 4

Télécharger le dossier de la CTM, transmis par Marie-Hélène Léotin

Il y a 120 ans, la Martinique était touchée par le premier mouvement de grève générale dans le pays. Il s’agissait d’une grève des ouvriers de la canne, principale force productive à cette époque. Après la lutte des esclaves pour la liberté en mai 1848, la lutte des paysans pauvres pour la terre et la dignité en septembre 1870, la classe ouvrière martiniquaise entamait la longue lutte pour l’amélioration de ses conditions de travail.
Tous les gros centres sucriers ont été touchés. Cette grève fut marquée par l’épisode tragique de la fusillade du François qui eut un retentissement international. Le dirigeant russe Lénine eut l’occasion d’évoquer «La Martinique, le pays des vaillants ouvriers du François».

LA CRISE SUCRIEREE
La grève de février 1900 se situe dans le contexte de crise sucrière de la fin du XIXe siècle. Après une période de prospérité pour les capitalistes usiniers et les grands planteurs, le marché mondial du sucre connaît une saturation et une véritable crise de surproduction. La production mondiale passe de 4 millions de tonnes (années 1880) à 12 millions (années 1900). De nouveaux producteurs arrivent sur le marché, en particulier des betteraviers européens. Le cours du sucre s’effondre,
passant de 60 francs les 100 kg de sucre (années 1880) à 30 francs (1895). Les exportations martiniquaises régressent de 39 à 18 millions de francs.
Le pays est touché par des mouvements de grèves sporadiques dès les années 1882-1885. En effet, pour diminuer les coûts de production, les planteurs s’attaquent aux salaires des ouvriers. Le gouverneur signale cet état de fait au ministre de la Marine et des Colonies : «la baisse des salaires, cette fâcheuse détermination, si elle se généralise, peu à peu, amènera tôt ou tard de graves complications sociales».
Le gouverneur ne croyait pas si bien dire. Les risques d’explosion sociale sont réels d’autant plus que, face à un salaire maintenu à 1 F depuis les lendemains de l’abolition, voire diminué, les prix ne cessent d’augmenter.

Autre sujet de mécontentement pour les ouvriers, c’est la définition de la tâche. Cette dernière, définie comme la quantité de travail demandée à un ouvrier journellement, a tendance à augmenter. Les ouvriers se plaignent : on nous donne des tâches au-dessus de nos forces. C’est quelquefois mille pieds de cannes pour une tâche à raison d’un franc par jour. Les plus forts mettent deux jours pour faire cette tâche, et les plus faibles trois jours».

LA GREVEE MARCHANTE
A la fin des années 1890, les affaires sont reparties. Les usiniers ont réussi une concentration des terres et une restructuration
des usines. Les ouvriers réclament leur part de bénéfices : «Tant que la crise a sévi, nous avons souffert ; aujourd’hui que les affaires sont belles, nous demandons à être mieux traités. A Basse-Pointe et à Vivé, le salaire a déjà été augmenté ; les directeurs d’usine ont reçu des augmentations de solde et les actionnaires ont touché de gros bénéfices. Nous demandons
nous aussi notre petit bénéfice : nous voulons le salaire de 1 F 50 au lieu de 1 F. Nous voulons aussi que la tâche soit fixée à trois cents pieds de cannes».
Les ouvriers sont d’autant plus déterminés que des candidats aux élections législatives de 1898 avaient fait des promesses
d’«amélioration de la condition du prolétariat» en répétant qu’ils iraient à la Chambre des Députés réclamer un salaire de 2 F pour les travailleurs.
Les ouvriers s’organisent. Le 5 février 1900, les travailleurs des habitations Saint-Jacques, Pain de Sucre et Charpentier
(Sainte-Marie) refusent de prendre la tâche à moins de 2 F.
La grève marchante s’étend très vite dans le Nord-Atlantique.
Les 6 et 7 février, la grève a atteint le Lamentin et le Robert.
Les autorités s’alarment : «La révolution est complète. Ce n’est plus une grève, c’est une révolte». Le mouvement s’étend sur
la côte atlantique.

Une fois que les ouvriers ont réussi à mettre à l’arrêt l’usine du Robert, on sait que le prochain centre sucrier touché sera le François. Le directeur de l’usine, Emile Liottier, envoie un télégramme au gouverneur pour demander des renforts militaires : « Situation très grave ; mal pourrait être enrayé avec du renfort au François. Mais il le faudrait de suite pour barrer bandes armées venant du Nord et déjà à 5 km du François. Compte sur vous ». Dans la nuit, un détachement de 25 hommes, sous le commandement du lieutenant Kahn, s’installe dans l’usine

LA GREVE 1900 – PRIX ET SALAIRE
1 kg de morue > 1 F
1 kg de viande salée > 2 F
1 kg de poisson > 0,80 F
1 kg de viande de boeuf > 1 F 60 à 2 F
SALAIRE : 1 F par jour

La FUSILLADE DU FRANCOIS

Le 8 février, dans l’après-midi, un groupe important de grévistes venant des habitations du Robert et du François, envahit le terrain sur la voie ferrée, non loin de l’usine. Pendant que le maire, Homère Clément, discute avec la foule, un coup de feu part et c’est la fusillade générale. 17 ouvriers sont tombés face à un véritable peloton d’exécution, avant même qu’ils n’approchent de l’usine.
Les témoignages concordent pour dire que cette répression sanglante avait été préméditée, qu’il n’y avait aucune situation de légitime défense.
Le témoignage du maire est précieux : «Le recul était presque général et je me félicitais déjà du résultat obtenu par nous, quand j’entendis un coup de feu suivi immédiatement d’une salve de mousqueterie. Je vis tout autour de moi tomber des hommes. Me retournant vivement et brandissant dans l’air mon parasol, je criai : «Arrêtez ! Arrêtez ! Ne tirez pas, ils s’en vont». La fusillade continua… Pas un coup de feu n’était parti de la foule et les soldats étaient à la même place qu’ils occupaient lorsque je suis arrivé sur les lieux».

Les familles Claudan, Chassol, Clotail, Félicien, Mouboundo, Barclay, Jean-Pierre, Legros, Maximin, Pomard, Rovela, Tarrieu, Amusan, Suez-Panama, Nosel, Bertiner, Condoris, Reinette, Audinet, ont payé un lourd tribut.

LES ACCORDS DE FIN DE GREVE

La terrible répression n’a pas diminué la détermination des ouvriers. Alors que les autorités espéraient mettre un coup d’arrêt à l’extension de la grève, celle-ci atteint les deux gros centres sucriers du Sud : Rivière-Salée et Petit-Bourg.

ACCORD DE SAINTE-MARIE
Un premier accord est signé à Sainte-Marie pour le Nord (13 février). Les ouvriers obtiennent 25 % d’augmentation et une tâche fixée à 20 piles de 25 paquets. Les ouvriers considèrent cet accord comme une véritable trahison et l’agitation continue dans le Nord.

ACCORD DE RIVIERE-SALEE
L’autre accord est signé à Rivière-Salée le 15 février. Les ouvriers obtiennent une augmentation de 50 % et une tâche fixée à 20 piles de 20 paquets. Il faut dire que les ouvriers avaient pris soin de former une délégation composée d’ouvriers agricoles et d’ouvriers d’usine, alors que l’accord de Sainte-Marie est signé par des hommes politiques au nom de la délégation ouvrière.
Le calme ne revient dans les campagnes qu’à la mi-mars. Les ouvriers ont fait preuve d’une grande détermination mais ils ont manqué d’une coordination générale. Le principe de la grève marchante ne permet pas d’avoir un même niveau de mobilisation sur l’ensemble du territoire. Mais 1900 a marqué la naissance du mouvement ouvrier en Martinique. C’était le début d’une longue série de grèves des travailleurs agricoles, ponctuées par des vagues de répression sanglante. Les travailleurs n’oublient pas qu’ils ont chèrement payé leur droit à une amélioration de leurs conditions de vie.