«La Flambeau», une émouvante création

Opéra de chambre de David Bontemps d’après Faubert Bolivar. Avec Suzanne Taffot, Paul Williamson, Catherine Daniel, Brandon Coleman, l’Orchestre classique de Montréal, Alain Trudel. Mise en scène : Mariah

Par Christophe Huss —

Musique

C’est dans une salle Pierre-Mercure bondée que l’Orchestre classique de Montréal a remporté l’un de ses plus grands succès avec la création de La Flambeau, opéra de chambre du compositeur montréalais d’origine haïtienne David Bontemps sur un livret inspiré par une pièce primée de Faubert Bolivar.

Haïti est partout dans La Flambeau : les élites corrompues qui se croient au-dessus de tout, mais aussi des croyances, des rites ancestraux, du vaudou, des danses, des rythmes.

L’œuvre de David Bontemps a un énorme avantage : elle fuit la prétention. Puisque le compositeur vise un « idéal tout simple : celui du respect d’autrui » il ne se cache pas derrière les paravents d’une fausse modernité. Son langage musical vise la compréhension de tous. Il puise donc dans deux vieilles recettes qui ont fait leurs preuves : les mélodies (admirable air de Mademoiselle au 3e tableau et superbe scène de Madame au 6e) et les leitmotivs, cellules thématiques efficaces, inlassablement répétées, parfois légèrement variées, liées au discours de Monsieur, aux visions de Madame ou aux aspirations de Mademoiselle.

Transformé en zombi

Comme le résumait David Bontemps samedi dans Le Devoir : « Monsieur (un ténor) est l’intellectuel narcissique qui a des ambitions politiques et prépare un discours. Sa femme, avec laquelle ils forment un couple dysfonctionnel, a l’air dérangée mentalement. C’est une mezzo-soprano. Mademoiselle est une soprano et l’Homme, qui apparaît au cinquième tableau, est un baryton-basse. »

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En fait Mademoiselle est la bonne, adepte de la divinité vaudoue Ogou La Flambeau. Les fantasmes ancillaires de Monsieur vont le porter à violer Mademoiselle (poignante musique), ce qui amènera l’arrivée de l’Homme, sorte de grand prêtre du culte, qui va le tuer et le transformer en zombi, jouet de Mademoiselle. Ce type de retournement, au profit de celle qui dit que « la misère c’est la guerre », n’est pas sans évoquer Triangle of Sadness, palme d’or au Festival de Cannes 2002.

La trame marche fort bien, la variété des musiques aussi, orchestrées pour cordes et maracas mais adaptées a un public de tous horizons. Ce qui fait tiquer régulièrement, c’est une prosodie souvent un peu bancale avec une accentuation étrange sur des syllabes inattendues en français (exemple : « Moustache » avec un fort appui sur le « che »). La formulation musicale de la conclusion de plusieurs tableaux est aussi un peu stéréotypée, comme s’il fallait appliquer une recette.

Mené par un Alain Trudel omniprésent, le plateau est archi-dominé par les protagonistes féminines : Suzanne Taffot, parfaite en Mademoiselle, éblouissante au 3e tableau, et Catherine Daniel, vraiment étonnante, avec des graves magnifiquement creusés, en Madame.

Chez les hommes, ça se corse. Brandon Coleman (l’Homme) a une voix de basse extrêmement impressionnante, de type Caronte dans L’Orfeo de Monteverdi. Mais le pauvre a l’air de compter les minutes qui le séparent de la fin de son calvaire à baragouiner les syllabes de français mou qu’il a dû mémoriser phonétiquement.

Le ténor Paul Williamson n’a pas grand-chose pour lui. La voix est engoncée et il fait bien des efforts. En fait nous sommes à nouveau face à la problématique des créations requérant des chanteurs masculins noirs. On trouve des chanteuses, mais il est très difficile de trouver des chanteurs pour opéras contemporains dont on ne connaît pas les lendemains. La problématique s’était posée de manière plus aiguë avec Backstage at Carnegie Hall de Tim Brady.

David Bontemps méritait vraiment d’avoir, face à Taffot et Daniel, un ténor de la trempe de Patrick Kabongo, vu dans Don Pasquale à l’Opéra de Québec. Cela prendrait un grand mécène, mais l’oeuvre prendrait aussi un tout autre relief.

La Flambeau

Opéra de chambre de David Bontemps d’après Faubert Bolivar. Avec Suzanne Taffot, Paul Williamson, Catherine Daniel, Brandon Coleman, l’Orchestre classique de Montréal, Alain Trudel. Mise en scène : Mariah Inger. Salle Pierre-Mercure, mardi 7 octobre à 19 h 30.

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