—Par Roland Sabra —
Né à Port-au-Prince, vivant en Martinique où il enseigne la philosophie, Faubert Bolivar, écrivain, nouvelliste, poète, dramaturge collectionne les récompenses littéraires. En 2013 il recevait le Prix Marius-Gottin d’ETC-Caraïbe pour une pièce en créole « Mon ami Pyero » et le Prix Spécial du Jury Henry Deschamps pour une pièce théâtrale « La Fambeau ». Les années précédentes, « Faux-lit », une nouvelle et « Sélune pour tous les noms de la terre » un monologue avaient été honorés.
« La Flambeau » est donc une pièce en huit tableaux et six personnages, un couple, sa bonne, et trois esprits. L’action se déroule selon toute vraisemblance -mais est-ce le mot approprié- dans le pays natal de l’écrivain. Monsieur prépare une conférence, Madame confère avec sa mère, morte il y a longtemps, Mademoiselle est sous la protection de son parrain Ogou, un Loa, célèbre pour sa vaillance guerrière et sa fertilité, entre autres. Il est question, de vol, de viol, de République et de morts-vivants. L’atmosphère dans laquelle évoluent les personnages est celle d’un monde tétanisé entre enfance perpétuelle et adolescence infiniment prolongée, un monde dans lequel il semble impossible de devenir adulte, comme si un acte non assumé, non pris en charge, envahissait, caché dans le brouillard d’une histoire dérobée, l’espace psychique confondu pour l’heure avec l’espace politique. Comme si regarder en face la mort de Dieu relevait d’une ordalie! Faubert Bolivar, les pieds en Martinique mais la tête jamais éloignée de son pays nous invite à voir ce qui au-delà des apparences ne change pas, ne bouge pas. Il nous dit que le changement de places entre dominant et dominé ne transforme pas la relation de domination mais la perdure. Il nous le dit avec élégance, sans avoir l’air de le faire, par exemple dans une permutation entre Mademoiselle et le zombi de Monsieur, dans un aller et retour entre délire et réalité pour Madame. La révolution peut n’être qu’un retour au point de départ avec « La Tragédie du Roi Christophe » comme toile de fond car « Si tout est permis, rien n’est permis » (Jankélévitch). Et la France régicide de produire des monarques républicains. Et la Russie tsariste d’accoucher du stalinisme. La liste est longue qui va du pareil au même!
Dans « La Flambeau » les acteurs de l’histoire n’en sont pas, ils apparaissent assujettis à une transcendance. Ils parlent mais ne s’adressent qu’à eux-mêmes, enfermés dans des monologues sans adresse humaine ou simplement terrienne. Faubert Bolivar nous emmène bien évidemment du coté du théâtre de l’absurde. Il y a du Pinter et plus encore du Beckett sous nos latitudes.
Le style est vif, enlevé, il y a urgence à dire les choses, à nommer les choses et les causes. La plume se détournant de toute tentation de poétisation se fait scalpel pour tailler jusqu’à l’os et dégager l’espace d’une écriture de plateau. Les répliques sont courtes, à l’exception de quelques monologues qui ont pour fonction de poser la situation et d’en souligner l’ineptie, l’absence de perspective et l’enfermement régressif dans un espace politique et social dominé par la pensée magique.
Faubert Bolivar porte un regard amoureux et pourtant distancié sur les maux haïtiens qu’il nous invite à penser avant de pouvoir les panser.
Fort-de-France, le 07/11/2014
R.S.