« La carte » de Bernard Lagier

par Roland Sabra —

Une lecture  mise en espace salle Aimé Césaire au lycée Schoelcher


   Dine Alougbine, le metteur en scène béninois en résidence en Martinique présentait le vendredi 03 février une lecture et une mise en espace d’un fragment de la pièce de Bernard Lagier « La carte » dans la salle de théâtre Aimé Césaire du lycée Schoelcher. Les précédentes mises en scènes des œuvres de Lagier étaient des adaptations de textes par forcément écrit pour le théâtre. Ce n’est pas le cas pour « La carte » et la différence est immédiate, dès les premières phrases on perçoit que l’adresse du texte était clairement présente lors de sa création. Il en résulte une clarté et une limpidité dans l’exposition de la situation, qu’on ne retrouvait pas toujours dans le foisonnement, la luxuriance et quelques fois la démesure de « Moi, chien créole », ou de « L’orchidée violée ». Il est possible que la lecture de Dine Alougbine ait aussi participé à cette épure.

Quel est l’argument ? Dans un pays quelconque, d’Afrique, du moins on le suppose une vieille femme entreprend des démarches pour obtenir de l’Administration ( avec un grand A) une carte. Peu importe de savoir de quelle carte il s’agit, l’important est dans la démarche qu’elle entame et dans ce à quoi elle va se trouver confrontée. Elle entre dans le service qui porte le nom d’Espace Public et se heurte à une jeune fonctionnaire qui va s’accrocher de façon pointilleuse au règlement administratif dudit Espace public pour refuser par des manœuvres dilatoires la délivrance de la carte. Entre elles deux un jeune préposé au téléphone va se trouver partagé entre son désir de rendre service à la vieille dame et sa crainte e de désobéir à la jeune femme, sa chef. « La carte » ne relève pas de l’affrontement psychologisant de deux individus c’est plutôt la confrontation de deux modes de constitution du lien social. Solidarité mécanique vs solidarité organique dirait Durkheim. La vieille femme représente donc un processus de socialisation issu d’une société traditionnelle dans laquelle la place de tout un chacun relève d’un positionnement sur un registre qui relève du symbolique alors que la jeune femme tient un discours provenant d’une acculturation dans laquelle la place de l’individu dépend pour l’essentiel de sa place dans l’économie. A une logique dans laquelle chacun se détermine par sa fonction définie par des textes écrits s’oppose une logique de l’oralité fondée sur des liens d’allégeance, des relations personnelles, à l’image du sempiternel « fais-ça pour moi » antillais. Il est donc question de façon métaphorique, de la tension entre une volonté de construire une organisation du pouvoir calqué sur le mode occidental dans une perspective post-coloniale et le désir de voir perdurer des modes de vies relationnels ancestraux. Rappelons que la pièce à été écrite en résidence au Bénin, en 2010, année du cinquantenaire des indépendances africaines. Le discours de la « fonctionnaire » semble d’autant plus plaqué artificiellement sur une réalité décalée que la comédienne le prononce sur un mode excédé. Comme si elle essayait de consolider par la forme ce qu’elle sent se dérober sur le fond. La « vieille » finira par prendre le dessus en déplaçant le débat sur le registre transversal des rapports de séduction entre les hommes et les femmes.

Le choix des comédiens, une africaine, une martiniquaise et un européen, est judicieux tant ils ont l’air d’être déjà en pleine possession de leurs rôles. Ce que l’on a pu voir du travail de Dine Alougbine, assisté de Ruddy Sylaire, est de bonne augure. Il se poursuivra en résidence à la Guadeloupe et reviendra pour une première en Martinique en 2013. Mais surtout ce que l’on a pu découvrir c’est un autre vrai texte de théâtre. Après « Congre et Homard » de Gaêl Octavia c’est Byzance en Caraïbe !

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« La carte » de B.G. Lagier mise en scène de Dine Alougbine, assisté de Ruddy Sylaire, avec Guillaume Masmé, Mayou Luc et Laure Guiré

N.B : La programmation du 11 février à l’Atrium est reportée en 2013