Khô-Khô René-Corail : Quid de la figure du héros martiniquais ?

— Par Rodolf Étienne —

Khô-Khô René-Corail : un artiste au talent immense, un homme au grand cœur.

Présentée jusqu’au 1er novembre, l’exposition consacrée à Khô-Khô René-Corail à la Fondation Clément permettait aux nombreux visiteurs de se familiariser avec une des œuvres picturales les plus influentes de la Martinique et certainement bien au-delà.
Voilà une exposition qu’il fallait absolument voir. Non pas seulement pour mieux connaître l’œuvre du peintre, mais surtout pour lui rendre cet hommage tant mérité. Il s’agissait d’une exposition où l’on « passait un moment » avec Khô-Khô, convaincu de son immense talent et de la contemporanéité de son legs. Quand on interrogeait les visiteurs, ceux qui l’ont connu, et ils furent nombreux, lui attribuaient souvent les mêmes qualificatifs : anti-conformiste, anti-colonialiste, anti-capitaliste. On aime aussi à rappeler qu’il était membre de l’Ojam (Organisation de la jeunesse anticolonialiste de la Martinique) et qu’il avait été emprisonné pour son engagement politique et social. Mais, ce qu’on oubliait de rappeler, c’est que c’est son pays d’abord qui l’avait renié, oublié, rejeté, pris dans le quotidien et les difficultés que connaissait la Martinique de son temps. Khô-Khô René-Corail est sans conteste un artiste dont l’œuvre n’a pas reçu, du vivant de l’artiste, les honneurs qui lui revenaient de plein droit, à fortiori si l’on cite ses nombreuses prises de position en faveur des laissés pour compte : les ouvriers, les petites gens, ceux marginalisés de son époque, ceux avec qui il avait vécu, grandi. L’écrivain Vincent Placoly disait : « Il arrive un moment où l’auteur revêt le même linge que ses personnages, où il vit la même vie qu’eux… ». Ses amis les plus intimes, eux-mêmes, reconnaissent que Khô-Khô était seul dans sa démarche artistique, dans sa dynamique d’innovation, seul aussi dans sa vie quotidienne. On aime aussi à revenir sur sa passion du ti-punch, sur sa gentillesse, sur sa disponibilité, sur son caractère peu orthodoxe. Khô-Khô René-Corail, à force d’engagement, à force d’altruisme artistique, aurait-il lui aussi fini par porter les habits de ses personnages, ceux dont il aimait à décrire l’existence, à peindre le caractère ?
Le héros doit-il nécessairement mourir pour être chanté ?

Sans date. Myrna et Mélanie. Collection particulière.

Ce qui est sûr, c’est que Khô-Khô René-Corail demeure aujourd’hui encore un artiste inclassable dans le giron de l’art martiniquais et aussi un artiste hors pair. Ses nombreuses créations renaissent aujourd’hui, tandis que l’artiste, lui, physiquement. Mais, ce qui interroge surtout, quand on s’intéresse à la figure du héros martiniquais, et Khô-Khô René-Corail n’échappe pas à la règle, c’est la nécessité qui semble inaliénable de sa disparition physique pour qu’enfin il soit chanté. C’est certainement la disparition de l’homme et de l’artiste, du fait que l’on ne puisse plus le rencontrer au détour d’une rue, au bar du coin, ou dans ses multiples pérégrinations, qui dévoile son caractère démiurgique, tout autant que la magie de son œuvre. Pourrait-on, oserait-on parler d’une forme d’hypocrisie collective vis-à-vis des artistes et de leur discours, tout au moins si l’on compare la relation timide, méfiante, défiante que l’on entretient avec lui et ses créations de son vivant ? Encore une question : Pourquoi attendre pour chanter un homme qui a tant et tant donné à son pays, à son « peuple », à « son » histoire ? Les éclats de joie, les sourires complices, les anecdotes mêlées de familiarité et tant et tant d’autres attitudes se réclamant de l’œuvre et de l’homme : pourquoi seulement maintenant, presque 24000 ans après sa mort ? Faut-il, nous faut-il nécessairement ce laps de temps pour concevoir une œuvre, concevoir l’engagement d’un homme pour son pays, l’amour d’un enfant du pays pour les siens et leur destiné collective ?
Que nous reste-t-il de Khô-Khô René-Corail ?
Au-delà de la relation à la beauté exclusive et collective que prônait Khô-Khô René-Corail dans sa vie et dans son œuvre, au-delà de la félicité qui nous accapare, individuellement ou collectivement, après avoir visité cette merveilleuse exposition, que nous reste-t-il de Khô-Khô René-Corail, sinon un sentiment d’une relation inachevée entre l’artiste et son public, entre l’homme et ses contemporains, entre une œuvre et un peuple à laquelle elle se destine en premier lieu, en priorité ? Plus qu’un artiste, Khô-Khô René-Corail figure cette image du héros tutélaire, à l’instar d’un Aimé Césaire, d’un Frantz Fanon ou de tout autre enfant digne de son pays. Mais nous reste une question et une seule : à quel prix pour l’homme, à quel prix pour l’histoire ?
Rodolf Étienne

 

Sans date. Sans titre. Collection particulière.