Jeunes de Martinique et Guadeloupe : une situation existentielle en clair-obscur.

— Par Jean-Marie Nol —

obscur_clairTribune —De ce qui suit, il n’existe aucune statistique fiable, et on ne peut le comprendre que par ce qu’on entend, partout, où qu’on soit et à qui qu’on parle.
La Martinique et la Guadeloupe peuvent encore croire qu’elles sont un formidable lieu d’attraction pour le tourisme surtout depuis la désaffection d’autres destinations touristiques pour cause de terrorisme ; elles attirent en effet un plus grand nombre de touristes (Pour les vacanciers en quête de dépaysement total et surtout de chaleur, ce sont les DOM qui, cette année encore, se placent en tête des destinations sur Abritel.fr : Guadeloupe en tête avec des réservations en hausse de 23 %, suivie de la Martinique (+9 %) et de la Réunion (+15 %)… Mais ces gens-là ne font que passer, dans le pays quoique de plus en plus de retraités métropolitains de la classe moyenne s’y installent ! La réalité est tout autre dans un autre domaine ; la Martinique et encore plus la Guadeloupe se vident de leurs meilleurs jeunes, alors que dans le même temps ne reste pour beaucoup que la « lie » (les oisifs et les violents ) .
Nos jeunes étudiants se précipitent dans les universités étrangères, d’abord provisoirement, puis définitivement, pour les meilleurs, préférant travailler là où on leur fournit les moyens de leur recherche plutôt que là où on ne leur fait plus miroiter qu’un emploi précaire, sans moyen de travail en CDI . Il en va de même pour les meilleurs artisans, les meilleurs sportifs, les meilleurs musiciens, les meilleurs artistes, les meilleurs entrepreneurs; et c’est vrai dans de très nombreux autres domaines.
De cela, personne ne parle, personne même ne veut l’admettre; parce que ce n’est qu’avec retard qu’on en sentira les effets. Comme quand quelqu’un se coupe les veines : au début, c’est sans douleur, et puis il s’endort, et puis il meurt. C’est lentement que la Martinique et la Guadeloupe mourront du départ de leurs forces vives.
Déja en Martinique et Guadeloupe , la jeune génération est nettement moins bien lotie que l’ancienne. Chômage, pauvreté, crise… les jeunes se retrouvent lésés par rapport à leurs parents.

Le monde dans lequel s’engagent nos enfants est plus concurrentiel, plus flexible, plus précaire, plus connecté et plus axé sur la technologie qu’il ne l’a jamais été. Si nous n’y prenons pas garde, dans un proche avenir, la vague numérique et la flexibilité accrue du travail emportera tout sur son passage : business models, barrière entre la vie privée et la vie professionnelle, le salariat… Google, Uber, Netflix, Amazon et les autres s’attaquent à tous les marchés et n’ont que faire des frontières. Le citoyen aux Antilles dopé aux transferts publics et qui a vu se développer une société de services relativement protectrice jusqu’alors, risque la précarisation, il n’aura d’autre choix que de s’adapter. Alors que l’économie mondiale change à un rythme toujours plus rapide, le marché du travail dans de nombreux pays a non seulement du mal à suivre, mais semble aussi échouer à remplir certaines fonctions importantes comme l’insertion des jeunes dans leur environnement d’origine .
Valeurs perdues des jeunes, bonheur perdu des aînés : pourquoi notre société déprime et dérive dans la violence ? Cette question sous tend la décomposition actuelle de la famille aux Antilles par la perte des valeurs héritées de l’histoire. L’hostilité et la défiance pour les institutions, alors que les demandes d’intervention de l’Etat sous la forme de toujours plus d’assistanat dans tous les domaines sociaux – économiques, sont responsables de la névrose de notre société .
Bien sûr cette jeunesse a deux faces et est en réalité constituée de deux jeunesses bien distinctes. La distance sociale et idéologique s’accroît entre les jeunes selon qu’ils sont restés ou non au pays et disposent ou non d’un niveau d’études minimum (ces deux jeunesses aux destins de plus en plus divergents) . En Guadeloupe, plus qu’ailleurs en Martinique, l’écart entre ces deux jeunesses s’est accru. Les jeunes générations sont l’avenir de notre société vieillissante et c’est pour cela que leurs attitudes présentent un intérêt particulier : se situent-elles dans la continuité des valeurs des autres générations ou un décrochage se manifeste-t-il dans certains domaines, qui serait annonciateur d’une « rupture générationnelle » et d’une « fracture culturelle » qui conduirait donc à une aggravation de la crise actuelle de société gangrenée par la violence et minée par le chômage ? A méditer donc… Mais se révolter contre une situation qui se dégrade n’est pas toujours facile.

Dans un proche avenir avec la réduction de la dépense publique et les difficultés des collectivités qui vont accroître la pression fiscale, il va falloir surtout s’interroger sur la capacité de la classe moyenne à maintenir son niveau de vie pour soutenir la jeunesse eu égard à l’importance du maintien ou non à un niveau élevé des transferts publics de la France en direction de son outre-mer (17,4 milliards d’€, dont 9,45 milliards consacrés aux DOM hors dépenses régaliennes et hors niches fiscales), et tout particulièrement la vitalité du secteur public d’ores et deja menacé par la numérisation et la digitalisation . Sans risque de se tromper, on peut supputer que quatre éléments d’assez grande certitude vont peser sur les politiques publiques en Martinique et en Guadeloupe lors de la prochaine décennie . Le vieillissement de la population tout d’abord, avec ses conséquences sur la population active, sur la productivité, sur les équilibres entre générations. Le poids de l’endettement et des déficits budgétaires des collectivités territoriales (collectivité unique, région, département, communes) avec un alourdissement très vraisemblable de la pression fiscale sur la classe moyenne ensuite. Et enfin le problème de la vie chère et de la répartition des revenus (inégalités qui est très marquante en Guadeloupe et Martinique ainsi que dans la plupart des DOM-TOM, et pour compléter le tableau la révolution numérique et ses effets disruptifs sur le pacte social. A cet égard, un chiffre éclairant : moins d’un Martiniquais et Guadeloupéen sur deux, fait partie de la classe moyenne (définie comme la population se situant entre deux tiers du revenu médian et deux fois le revenu médian), quand c’est le cas de plus des deux tiers des Français.
« On ne peut résoudre un problème avec les modes de pensées qui l’ont engendré » disait Einstein. Le marqueur de ce début de siècle pour les jeunes de Martinique et Guadeloupe est la violence, la multiplicité et l’enchevêtrement des paradoxes : malaise sociétal, déclin social, menace du numérique ,décroissance des politiques publiques du fait de la réduction des dotations ,crise environnementale et défi de la révolution verte et surtout difficultés à venir du financement des études supérieures. Tout autant de problèmes que nous n’arrivons pas bien à appréhender aujourd’hui, à les analyser, à en expliquer les causes et conséquences, et c’est pourquoi nous ne parvenons pas à les résoudre, d’où la pertinence de la remarque d’Einstein : les « modes de pensée » passés se heurtent à des obstacles majeurs inhérents même à la société .
Il y a de quoi s’inquiéter de la situation, à l’heure où l’impuissance des politiques en France peut se mesurer à une communication exponentielle sur le ras le bol des jeunes français.
Les difficultés des jeunes, déjà importantes en France hexagonale, sont accentuées en outre-mer par des spécificités sociales, économiques et culturelles. En pleine crise des valeurs chez les jeunes, alors que la peur du déclassement social est au cœur de la déprime française, la note d’analyse que vient de publier France Stratégie, le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, sur la géographie de l’ascension sociale fait reposer sur les épaules du politique une lourde responsabilité.
Cartes à l’appui, la note confirme que le territoire français n’offre pas du tout les mêmes chances de réussite à ses enfants. Pire, les inégalités ont tendance à s’enkyster. Ainsi, pour les enfants d’ouvriers et d’employés, les chances d’ascension sociale varient du simple au double d’une région française à l’autre. En clair, mieux vaut habiter l’Ile-de-France que la Martinique ou la Guadeloupe. Dans la première région, plus de 4 adultes sur 10 nés de parents employés ou ouvriers occupent aujourd’hui une position de cadre ou de profession intermédiaire alors qu’en Martinique ou Guadeloupe seulement un peu plus d’un quart a connu une ascension de ce type.

Avec la crise, l’horizon des jeunes des Antilles s’est un peu plus brouillé. Et cette incertitude tend à durer de plus en plus longtemps. Car le temps de la jeunesse s’étire. Il y a de bonnes raisons à cela, et notamment l’allongement des études. Mais il y en a aussi de mauvaises : l’insertion dans l’emploi est de plus en plus chaotique et le niveau élevé des loyers retarde le départ du foyer parental . Décrocher un CDI, vivre dans son propre logement, se mettre en couple et avoir des enfants, toutes ces étapes qui symbolisent le passage à l’âge adulte ont lieu toujours plus tard. Certains jeunes y trouvent leur compte. Ils s’attardent sur les bancs de l’université et profitent d’un âge qui est aussi synonyme de vie sociale intense, festive et d’expériences en tout genre. D’autres n’ont malheureusement pas cette insouciance. Sortis précocement du système scolaire, ils cumulent les handicaps et n’ont souvent pour seule perspective que la galère.
De même que leurs parents qui voyagent de plus en plus à travers le monde et n’hésitent plus à diversifier leurs destinations de vacances, les jeunes diplômés de Martinique et Guadeloupe rêvent de plus en plus massivement de travailler à l’étranger D’ABORD POUR TROUVER UN EMPLOI et ensuite seulement pour valoriser leur carrière, mais seuls 21% songent à s’expatrier durablement.
Un sondage exclusif IPSOS donne la vraie mesure du désir d’expatriation des jeunes diplômés en apportant quatre leçons importantes
1. Les jeunes diplômés n’ont jamais été aussi nombreux à souhaiter faire une partie de leur carrière à l’étranger : ils sont 83% à exprimer ce désir.
2. Il ne s’agit pas de fuite des cerveaux : seuls 11% se voient partir plus de cinq ans. Et 31% expriment le souhait de travailler pour une entreprise française.
3. Il ne s’agit pas de fronde fiscale : s’ils veulent s’expatrier, c’est beaucoup plus pour trouver un emploi que pour gagner plus d’argent (29%) ou bénéficier d’une fiscalité allégée (8%).
4. En dehors de la France, en tête des pays où ils rêvent de partir, on note, classiquement, les Etats-Unis (48%) et la Grande-Bretagne (30%). Mais on assiste à une puissante montée du Canada , mais , et il faut le souligner seuls 2% d’entre eux disent être intéressés par une expatriation en zone caraibe..

Comme beaucoup d’autres Antillais, Nicolas a fait le choix de poursuivre des études en France hexagonale, le temps d’obtenir un diplôme. Très attaché à son île, ce jeune pointois de 26 ans a, sans aucune hésitation, toujours souhaité « rentrer au pays » une fois le bagage nécessaire acquis « là-bas ? » . Licencié en électronique, il n’avait jamais pensé aux difficultés auxquelles il devrait faire face ici.
Les refus se multiplient à cause de la crise, « on me dit aussi que je suis trop qualifié pour les emplois auxquels je postule » . Alors qu’il recherche depuis un moment, Nicolas ne trouve aucune réponse favorable. Chômage donc pour celui qui espérait certainement un autre retour. « En attendant je fais des petits jobs à gauche à droite. Mais, si dans les 6 mois à venir je ne trouve rien, je pense repartir en France ou à l’étranger » , affirme t-il, déjà un peu déçu.Vous savez, parmi mes amis d’enfance, qui ont tous des bac+5 et des MBA, aucun n’est en  » métropole  » , ils sont tous à l’étranger .Comment en est -t-on arrivé à ce phénomène croissant de société à savoir le refus de plus en plus marqué des jeunes diplômés de ne pas vouloir rentrer au « pays » à la fin de leurs études, et ce alors même que la Martinique et la Guadeloupe ont et auront besoin de talents pour le développement de leur économie dans les 10 ans à venir. Un discours revient souvent dans la bouche des jeunes diplômés Antillais : « T’es fou, vivre en Martique ou en Guadeloupe , quelle galère !!!. Ca n’avance pas dans ces pays, les gens ne pensent qu’à vivre pépère dans le système d’assistanat et revendiquer toujours plus sans prendre en compte les nouvelles réalités économiques et la crise qui sévit dans le monde et surtout en Europe . Ils n’ont pas compris que la vie est un défi et que le monde est en mutation accélérée . Pour réussir à changer les choses, il faudrait une mutation radicale et urgente de la classe politique et médiatique. Il faudrait qu’elle comprenne que le monde bouge, avance, travaille, vibre. Il faudrait que les hommes politiques guadeloupéens et martiniquais s’intéressent vraiment aux générations actuelles, et pas seulement aux problèmes des cantons qui les ont élus. Et qu’ils s’intéressent aux générations à venir et pas seulement aux prochaines élections. De plus les problèmes sont connus depuis des années, alors qu’il ne serait pas si difficile de réformer la société et de modifier les choses si on changeait au préalable les mentalités ». De fait, alors confronté à une réalité pesante, certains jeunes diplômés ne veulent pas entendre parler de retour au pays pour le moment.
Et Nicolas n’est pas un cas isolé. « Mes amis ont des enfants qui sont nombreux à n’avoir pas trouvé de travail, en rentrant au pays dès la fin de leurs études. J’en connais beaucoup qui sont repartis en France, ou au Canada. Et là-bas, avec ou sans diplôme, ils ont trouvé du travail » . France, Canada ou encore Angleterre, trois destinations qui profitent de plus en plus à nos jeunes diplômés, incapables de trouver un emploi dans leur île. Un constat pas vraiment nouveau…
Cette ascension sociale, bien des jeunes diplômés français appartenant aux  » minorités visibles  » viennent désormais la chercher au Canada ou au Etats Unis. En France, elle leur semble hors de portée.
Impossible de savoir, faute de statistiques précises, combien les Antilles françaises et la France  » perdent  » de Nicolas, chaque année, au profit de l’économie canadienne ou autres. Combien de jeunes Français diplômés du supérieur, bac+2, bac+4, bac+6, dont les parents sont originaires, des Antilles, qui se sentent pleinement français mais ont l’impression de ne pas avoir tout à fait leur place dans l’Hexagone, sont recrutés ici. « Les employeurs canadiens les trouvent plus motivés, plus décoiffants que les autres. Peut-être parce qu’ils ont une revanche à prendre… Ces jeunes se fondent dans la masse grandissante des Guadeloupéens et Martiniquais qui gagnent le Canada, et toujours prioritairement le Québec.
Cet engouement constitue une chance de débouchés pour les jeunes diplômés attirés par l’entrepreunariat et désireux de développer les relations commerciales avec le Canada, un pays à notre sens beaucoup plus prometteur que la Caraïbe pour la coopération et l’ouverture de nouveaux marchés pour nos entreprises.

Nous devons désormais travailler à la création de réseaux de type transversaux au sein de la société civile pour déconstruire la pensée actuelle dominante de développement vers la Caraïbe , qui constitue un frein à une évolution positive d’ouverture de la société guadeloupéenne et Martiniquaise . Le processus de déconstruction mentale doit devenir le préalable et constituer la phase initiale d’un renouveau conceptuel de la problématique de la responsabilité. Cette perspective vise d’abord à déconstruire le discours dominant afin de montrer que l’identité homogène caribéenne qu’il prétend promouvoir pour accéder à la responsabilité est illusoire, car le monde a muté et les postulats intellectuels qui servaient de matrice idéologique à la question nationale sont désormais totalement obsolètes et de nature à nous fourvoyer et nous envoyer droit dans le mur. Lâcher prise et déconstruire est un acte aussi créatif que de s’agripper à une illusion et de construire avec «une quête de responsabilité et d’identité», mais sur des sables mouvants avec la Caraïbe dont la plupart des pays comme certains grands tels le Venezuela, Porto rico, la Jamaique, Haiti, Trinidad sont en situation de faillite. La rupture doit désormais s’opérer sans plus tarder et ce sur la base d’un choc frontal des idées nécessairs à la refondation même de l’idée d’émancipation et de responsabilité à travers une intégration régionale pour la Guadeloupe et la Martinique, et pour ce faire nous devons faire piéce du mythe d’une émancipation contre la France et l’Europe! Après cette nécessaire phase de déconstruction, il nous faudra passer à la phase de reconstruction qui devra prendre appui sur une prise de conscience d’une possible émancipation d’abord économique puis politique à travers le concept de Francophonie autrement plus pertinent que celui de coopération avec la Caraïbe , une chimère selon nous tout au moins sur le plan économique et financier, d’ou mon appel à nos jeunes pour un rapprochement avec le Canada sur la base d’instauration de liens formels en matière d’échanges culturels et éducatifs puis économiques .

Aux Antilles, les jeunes ont plus que jamais besoin de perspective et de travail. La Martinique et la Guadeloupe doivent absolument relancer leur économie, produire de la richesse pour casser le désœuvrement et la précarité d’une partie de la jeunesse et préparer l’avenir vers un développement durable et solidaire. Les chiffres du chômage des jeunes est édifiant et diffèrent aussi selon les époques et les régions. Alors que le nombre de demandeurs d’emploi était de 5% chez les jeunes il y a 40 ans, il atteignait 25% en 2015 pour la France et près de 60% aux Antilles. Le taux de pauvreté chez les 18-29 ans est lui passé de 10% en 1970 à 20% en 2015. Quant à l’âge de départ à la retraite, là encore, la jeune génération est lésée. Les jeunes doivent désormais cotiser plus longtemps que leurs parents.
Mais ce n’est pas tout, le prix de l’immobilier a grimpé de 140% en l’espace de vingt ans. Si le revenu moyen par ménage a lui aussi augmenté, la progression reste assez faible avec seulement plus de 15,6%.
Dans un climat social plus que tendu en France depuis quelques jours avec les réactions de mécontentement voire de rejet de la loi El Khomri , nous avons souhaité connaitre les raisons qui font que ce texte est la goutte d’eau qui fait enrager les jeunes. Peut-t-on imaginer que ceux qui manifestent sont les vrais précarisés ? Si la précarité est une réalité, ceux qui font des études supérieures ou se forment à des métiers d’avenir ont de grandes chances de finir par y échapper. Pas les autres! La génération actuelle de jeunes en Martinique et Guadeloupe est-elle la génération sacrifiée? Alors que leurs parents ont connu l’âge d’or, celui des CDI et de l’immobilier pas cher, les jeunes sont confrontés à davantage de précarité. En effet, nombre de jeunes décrochent des CDD ou des petits contrats alors qu’au même âge leurs parents avaient déjà un CDI. En 1975, l’âge du premier emploi stable était d’ailleurs de 20 ans contre 28 ans aujourd’hui . Avec une situation économique qui ne cesse de se dégrader depuis la crise de 2009, notre modèle de société s’essouffle. Cette situation maintient donc la présence de zones d’ombre préjudiciable, à terme, … à la vie des jeunes en Martinique et Guadeloupe. En fait, une situation existentielle en clair-obscur. En France, c’est désormais la méritocratie scolaire qui prédomine de plus en plus : ceux qui méritent d’avoir les meilleures places sont ceux qui réussissent à l’école et ce phénomène va s’accentuer à l’avenir. Il existe toujours une méfiance de la réussite par l’argent aux Antilles : pour les jeunes , ils n’ont pas le choix , il faut monter dans l’échelle sociale par le diplôme. C’est et ce sera de plus en plus le critère le plus pur de la réussite personnelle ,et même cet aspect du diplôme comporte des limites, car il y aura de moins en moins d’emplois à forte rémunération pour que les jeunes diplômés puissent être indépendants financièrement en sortant de la fac. Un diplôme de l’université vaut aujourd’hui autant sur le marché du travail que ce que valait autrefois le bac. La pression est encore plus forte pour que les enfants fassent des études, et cette pression rend le parcours universitaire plus compétitif. Notre économie stagnante n’a plus autant de postes à offrir aux jeunes diplômés.

En France, 25% des moins de 26 ans sont au chômage et le taux grimpe à 45% pour les personnes non qualifiées. Alors je vous laisse estimer le taux que cela peut représenter chez les jeunes qui sont d’origine antillaise… une sorte de double peine pour les jeunes sans qualification, Certes ,on peut affirmer que l’école en Guadeloupe a homogénéisé la population. Elle a aussi rapproché les filles et les garçons. Elle a donc bien été un facteur d’égalisation. Par contre, ces vingt dernières années, on a l’impression que rien ne bouge plus. La mobilité sociale a été très importante depuis la départementalisation. Au départ vers les années 50, Il y avait peu de diplômés , puis au fur et mesure il y a eu alors une croissance des emplois qualifiés et même non qualifiés. L’école a du coup joué son rôle d’ascenseur social. Mais depuis, les jeunes sont davantage diplômés, et pourtant ils sont maintenant confrontés à un chômage de masse. Désormais, ils doivent faire face tant en Martinique qu’en Guadeloupe à des places qui ne sont guère plus nombreuses. La compétition est donc plus dure car il y a plus de prétendants. Ceci explique pourquoi l’image de l’école ascenseur social semble bien écornée avec le risque réel pour certains de plus en plus nombreux d’une radicalisation, d’une extrêmisation… En dehors de la sphère familiale et des médias, seule l’école pourrait permettre aux adolescents d’approcher le travail. Or, avec le phénomène de la drogue qui prend de l’ampleur chez certains des jeunes dès l’école, quelle image du Travail peuvent-ils construire ? Et comment s’étonner si, par la suite, ils ne ressentent pas l’envie d’entrer dans ce monde-là… Pour certains jeunes, le basculement se fait sans transition. Ce sont justement les plus démunis qu’on laisse à l’abandon : ceux qui ont traversé leurs années collège en « passager clandestin », en accumulant chaque année un peu plus de lacunes, ceux qui sortent du système scolaire sans projet de formation, sans espoir d’emploi et qui, parfois, se trouvent sans appui familial. Ceux-là n’ont pas de statut, n’ont droit à aucune aide sinon la récente garantie jeune, à aucun dispositif de soutien sinon des missions locales débordées. Il faut donc comprendre que ce sont ces jeunes là qui demeurent dans l’oisiveté et se réfugient dans la drogue et la délinquance. Il apparaît plus probable, malheureusement, que c’est le corps social de nos pays dans sa majorité, et en son cœur l’ensemble de la classe moyenne, qui commence à souffrir et qui à tort ou à raison, a le sentiment grandissant que l’insécurité et l’injustice sociale accompagnent une impuissance générale des dirigeants et des acteurs sensés les représenter. Entre démocratie de l’incertitude et société du risque, la confiance envers l’avenir des jeunes va disparaitre du paysage Martiniquais et Guadeloupéen, car le gouvernement protègera uniquement les plus modestes, et il ne resterait quasiment plus que les classes moyennes, et surtout les enfants des classes moyennes inférieures, pour payer l’addition et c’est la génération actuelle qui en fera les frais .

Nous sommes des petits pays ( Martinique ,Guadeloupe ) où l’expérience du chômage frappe depuis longtemps toutes les familles et est devenu un fruit amer désormais partagé entre parents et enfants. Des pays où les études supérieures ne garantissent plus le premier emploi, encore moins la réussite économique. Des pays où l’on se trouve de plus en plus au placard, puis sur le carreau en deça de 25 ans et au delà de 55 ans au même moment où l’on allonge la durée des cotisations nécessaires à l’obtention d’une retraite. Des pays dont le système éducatif dégringole au classement des établissement scolaires et universitaires sur le plan national . Des pays où pour un jeune devenir propriétaire d’un bien immobilier devient sinon une chimère, un privilège. Des pays où pourtant l’intervention solidaire publique se réduit chaque jour. Des pays où les partis politiques et les intellectuels ne pensent plus l’avenir et ne se perdent même plus ( par lassitude ? ) en conjectures sur l’évolution institutionnelle et statutaire et débats sans fin sur les solutions possibles pour éviter aux pays Guadeloupe et Martinique le déclin économique et social. Des pays où l’ascenseur social est en panne . Des pays dont les ressortissants jeunes expatriés en France ont été sondés sur leur « état d’esprit actuel »,et dont le qualificatif qui est le plus sollicité est celui de la « morosité » (33%), suivi de la « lassitude » (27%), bien loin devant l’ »enthousiasme » (16%).Des pays dont les établissements de santé sont largement déficitaires avec un risque de voir l’accès aux soins encore être fragmenté.
Cette longue liste négative pourrait être encore allongée et elle est pourtant malheureusement vécue directement ou indirectement par la très grande majorité des Antillais. Pourquoi ce mal-être ? Comment surmonter cette crainte de l’avenir, et ce alors même que les Guadeloupéens et Martiniquais vont très certainement passer dès la fin de l’année 2017 d’un Etat providence à un Etat défaillance! La société Antillaise est-elle devenue trop individualiste pour répondre aux défis collectifs ?
Pour expliquer cette atonie économique et financière qui nous menace, il est facile d’invoquer des éléments extérieurs, comme la mondialisation, la hausse du prix des produits alimentaires ou le poids des charges sociales ou des impôts… Ce ne sont là que des prétextes qui masquent la dure réalité. Les origines du mal sont chez nous. La Guadeloupe et la Martinique sont victimes de leur ACTUEL modèle de développement .Tout cela étouffe nos perspectives de croissance, sans compter le poids du passé et les dérives de l’assistanat.

Que faire alors , quand l’avenir des jeunes ne se présente pas sous de meilleurs auspices.?
D’abord, à l’échelle de l’actuelle génération,il faut que le niveau scolaire moyen monte, car les jeunes restent à l’école plus longtemps mais décrochent plus !
Ensuite , les parents doivent s’inquiéter beaucoup plus de l’éducation et de l’avenir de leurs enfants en les motivant au maximun sur la réussite scolaire et en les poussant à intégrer les grandes écoles ou se former au plus haut niveau dans les métiers manuels. Et se demandez quels sont les métiers d’avenir qui les épargneront du chômage , et pour ce faire se doivent d’ accorder une plus grande importance à l’orientation ; Réagir le plus rapidement possible pour se réorienter au mieux dès les premières difficultés . Le maître mot doit être l’anticipation. Dans les années qui viennent , la clé de tout c’est l’éducation : pour grimper dans la hiérarchie sociale, le jeune aura d’abord besoin d’une bonne éducation et d’un bon diplôme et, compte tenu de la massification de l’enseignement, d’ un diplôme de l’enseignement supérieur et si possible de grandes écoles. Mais là encore les inégalités sont criantes : le taux de diplômés du supérieur parmi les enfants des classes populaires varie du simple au double entre certaines régions. l’Ile-de-France, le Midi-Pyrénées et la Bretagne, qui caracolent en tête du classement , et ce sont les DOM TOM qui se situent en queue de peloton.
Si l’on suit bien cet handicap, le politique devrait donc être moins axée sur le développement économique qui figure en tête des projets de tous les candidats que sur l’accès à l’enseignement supérieur et la formation (école de la deuxième chance etc..), seule façon de remettre en route l’ascenseur social. Mais cela demande un travail fin et de longue haleine pour réorienter les aides, décloisonner les mentalités , accroître la mobilité. faire travailler l’Etat et les collectivités main dans la main. Une campagne électorale n’y suffira pas, alors on est tenter de parler d’autre chose , mais c’est oublier que les grands changements ne sont jamais faciles , même quand ils sont gérés correctement , et pourtant ils peuvent nous rendre plus forts et améliorer la situation de la génération à venir .Oui , nous le répétons , il vaut mieux se concentrer sur le moyen et long terme mais même ça c’est souvent incertain. L’avenir, on se le crée, en étant courageux et surtout visionnaire .

Jean-Marie NOL