Jean-Philippe Nilor vs Alfred Marie-Jeanne : les indépendantistes jouent la justice française.

—Par Yves-Léopold Monthieux —
On avait cru assister au dernier exploit d’Alfred Marie-Jeanne lorsqu’il s’était fait élire député dans la circonscription du Nord-Atlantique. Dans la foulée, il s’était fait remplacer par son ancien attaché parlementaire dans la circonscription du Sud qu’il avait quittée pour affronter son challenge. Mais, comme pour faire mentir le livre Alfred Marie-Jeanne la fin d’une époque, il a effectué le nouvel exploit de se faire élire pour 6 ans président de la Collectivité territoriale de Martinique. Cependant la fin de la saga Marie-Jeanne avait bel et bien commencé.
L’étoile du Président avait commencé à pâlir dès les élections municipales de 2014. En maintenant à Rivière-Pilote un candidat contre Raymond Théodose qui n’était autre qu’un de ses anciens adjoints et en soutenant le candidat opposé à l’indépendantiste Garcin Malsa, à Ste Anne, il avait créé suffisamment de mal dans le grand sud pour empêcher à Jean-Philippe Nilor de remporter la victoire aux municipales de Ste Luce. Il avait toujours su faire preuve de savoir-faire pour éliminer des camarades du parti qui l’embarrassaient. Ces mesures d’exclusion n’avaient jamais élevé la moindre contestation de la part des militants, si bien que les cris d’orfraie entendus ces jours-ci peuvent faire sourire. Marc Pulvar, le plus emblématique de tous, fut précédé par Garcin Malsa et suivi par Négouai et Bolinois. Mais les 3 impairs électoraux relevés plus haut ont constitué une blessure grave au sein du corps électoral et vraisemblablement de la part de JPN. De toute évidence, le succès aux législatives suivantes n’a pas cicatrisé la blessure de ce dernier.
Bien qu’étant élu à la place laissée par son maître, le jeune député a certainement compris que ce passage de témoin dans la circonscription du sud n’était pas une libéralité à son égard, de la part d’un père spirituel généreux, mais une aubaine qui entrait dans le seul dessein politique de Marie-Jeanne. Il savait qu’en 40 ans de carrière le président avait tout réussi, mais n’avait jamais rien gagné que pour lui-même. JPN savait qu’il était une exception et qu’avant lui le MIM n’avait jamais fait élire un maire ou un conseiller général. Cette manière de revanche prise sur sa défaite de Ste Luce, dont AMJ pourrait être en partie responsable, ne l’a pas empêché de rester sur ses gardes vis-à-vis de ce dernier. Incontestablement, ses atermoiements aux portes du G20 à la veille des élections à la CTM étaient la marque de ces réserves.
On pouvait alors s’étonner que Jean-Philippe Nilor ait refusé de prendre la direction d’un mouvement où il était attendu par une vingtaine de maires. Il avait pu apparaître comme n’étant pas à la hauteur de la tache. Mais il était difficile de gérer un père spirituel et ses fidèles criant à la trahison, et un mouvement que la défaite probable risquait de tourner en débandade. Sachant l’attirance des élus pour les marchands de soupe, on peut comprendre ses hésitations, sauf que l’apparente inertie de celui qui était déjà député peut aujourd’hui ressembler à une bonne maîtrise du temps.
Ancien député, au comportement républicain jamais pris en défaut, Alfred Marie-Jeanne a toujours joué les institutions. Le Mouvement indépendantiste martiniquais a choisi de faire trancher son litige et peut-être son avenir par la justice française. Mais le leader du MIM s’est souvenu peut-être qu’il était indépendantiste, d’où son sursaut de nèg mawon, ce vendredi soir, à l’Espace Dédé, face à une justice qui pourrait être devenue « coloniale », aux yeux de ses amis. Ce geste, qui ressemble à un bawouf de réfectoire ou un bris d’urne à la fin d’une soirée électorale, suffira-t-il pour lui faire remporter un nouveau succès ou pour faire plier le droit français ?
Fort-de-France, le 8 septembre 2018
Yves-Léopold Monthieux