Identité : Madiana et les musées coloniaux

— par Roland Sabra —

Edito du 10-01-08


Deux lignes de forces dans ce numéro de rentrée.

Dans la solitude d’un champ de navets

La première ligne de force de ce numéro aborde la  thématique   de l’identité à partir des effets d’acculturation et même de « déculturation » de la programmation cinématographique en Martinique.

Parmi la vingtaine de films que la critique estime être les meilleurs de l’année 2007 ( cf; ci-après) Madiana en a programmé deux! On ne peut que saluer l’abnégation de Sarah Netter, la critique d’Antilla qui chaque semaine est contrainte non seulement de voir mais, et c’est le pire, de commenter les « nanards » de la programmation éliséenne.  Trouver un bon film en Martinique relève de l’expérience de la solitude dans un champ de navets. Madiana est entrain de tuer doucement mais sûrement le cinéma en Martinique. Mais le plus inquiétant est la mise en œuvre d’une acculturation aux mœurs étasuniennes en matière de relations sociales et, c’est surtout là que le bât blesse de violences sociales.

Premier effet de la présence de ce multiplexe : la disparition des salles de quartier et même de communes au profit d’une  centralisation des projections aux portes de Fort-de-France . Aux habitants de se débrouiller, de prendre la voiture et toutes les commodités qui vont avec pour aller au cinéma et tant pis si cela participe à la désertification de la vie culturelle des communes.

Le second effet porte sur l’uniformisation, sur l’américanisation des modes de vie véhiculées par les choix de programmation. Règnent en maîtres absolus ce qu’on appelle dans le jargon US les « blockbusters ». Ce sont des films  supposés plaire à un large public de façon à rentabiliser le plus vite possible les gros budgets qu’ils mobilisent avec des codes facilement repérables. De l’action et/ou de l’humour, des acteurs « bankables », autre néologisme qui a l’avantage de la clarté, des tonnes d’effets spéciaux pour en mettre plein la vue et surtout un scénario pas trop compliqué pas prise de tête pour  dix cents, souvent inspiré d’un roman de gare ou d’une bande dessinée. Voilà la description synthétique des purs produits hollywoodiens. Ajoutez-y une touche couleur locale et vous comprendrez pourquoi Denzel Washington revient plus souvent qu’à son tour sur les affiches. Notez-bien qu’il existe aussi des « blockbusters » à la française, qui ne valent pas mieux mais qui ont l’avantage d’être plus rares, comme la série des « Taxi » ou alors Brice de Nice. Peu importe l’histoire pourvu qu’il y ait un « happy end », c’est la loi du genre, de toute façon on ne vient pas au cinéma pour ce qu’il pourrait nous apprendre, on y va pour se détendre, avec boissons, pop-corn et autres friandises bien craquantes sous la dent, pour le faire savoir aux voisins de sièges.  D’ailleurs si la détente ne vient pas rapidement on n’hésite pas à sortir de la séance au bout de quelques minutes et à se rendre dans une autre salle. A Madiana c’est facile et tant pis pour les spectateurs que l’on dérange, puisqu’on on l’avait déjà fait avec les sonneries de portables, les conversations à voix hautes avec les copains, les apostrophes à plusieurs rangs de distances etc. Autre facilité pour les mineurs à Madiana : voir des films interdits aux moins de seize ans puisque personne ne surveille les entrées dans les salles. Il faut dire qu’il n’est pas rare de trouver dans la salle de ce genre de film, un adulte accompagné d’un enfant!

Loin d’être atypiques ces incivilités sont liées à l’idéologie véhiculée par les « blockbusters » dans lesquels émerge la figure populiste du fonctionnaire de police déclassé, du politicien véreux, du spécialiste d’une agence gouvernementale mais tout aussi corrompu et qui en marge des lois et des règlements fait triompher la « bonne » cause. Comme le scénario se résume souvent à un problème technique à résoudre, la seconde figure récurrente est celle du spécialiste qu’il soit informaticien, foreur, nucléariste ou terroriste il y a là un monopole étasunien. L’expert possède la solution, la seule qui réponde à la situation. Toute alternative est présentée comme une diversion ou une perte de temps et cette vérité que l’expert détient est opposable à toute assemblée. Ici règne l’individualisme. La démocratie souffre d’inefficacité congénitale.

Il serait peut-être temps de s’interroger sur la dépolitisation de la jeunesse du pays Martinique et le rôle du circuit éliseén dans la diffusion d’un ‘american way of life ». L’usine à rêve étasunienne vend à travers ses héros le modèle du « self made man » loin des solidarités antillaises. Vincent Baudrand, dans  Les Éléments clés de la mondialisation, (Studyrama, 2002) le note avec lucidité :  » 75 % des images projetées dans le monde sont d’origine américaine , […] le succès de ces productions artistiques favorise ensuite la diffusion de certains éléments du mode de vie américain qu’ils soient vestimentaires (jeans), culinaires (fast-food) ou festifs (Halloween) ». Et, au-delà de ces modes de vie, ce sont sans doute des modes de pensée que véhicule, avec force, le cinéma américain.

Les musées coloniaux

Le dernier dossier porte sur la question de la restitution des butins des expéditions coloniales. Indiens du Brésil, Inuit tunumiit, aborigènes d’Australie, populations d’Indonésie,  des steppes du Kirghizstan,  des oasis du Sahara,  des étendues glacées du Groenland et de la Sibérie,  des îles de Madagascar, de La Réunion ou de Mayotte, partout les peuples indigènes ont conservés des traditions  et des savoirs immémoriaux qui n’ont que faire dans les musées et leur utilité pourrait s’avérer déterminante, voire vitale pour faire face aux bouleversements  écologiques qui nous menacent. Faut-il pour autant restituer purement et simplement les biens détournés, volés,  arrachés et accumulés dans les musées occidentaux à ces peuples spoliés? On verra que la position défendue par Bernard Müller de création de « musée universel » n’est pas très éloignée philosophiquement des défenseurs  de l’Universalité des Droits de l’Homme et pourrait même en être une illustration.

  

  Roland Sabra

P.S. On lira avec intérêt et émotion l’appel au peuple de Robert Badinter contre une mesure législative qui s’inscrit dans une logique de l’enfermement (Les murs, toujours les murs..) et qui surtout menace gravement nos libertés. On pourra signer la pétition.

 Pour signer la pétition en ligne

http://www.contrelaretentiondesurete.fr/