Honni soit qui mâle y pense : les hommes lèvent le voile !

par Scarlett JESUS, critique d’art,

 « La virilité […], est une notion éminemment relationnelle, construite devant et pour les autres hommes contre la féminité, dans une sorte de peur du féminin, et d’abord en soi-même. »

 Pierre BOURDIEU,La domination masculine, 1998, p.59.

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  Poster-Tabou

 

Quel printemps se lève au sein des plasticiens de Guadeloupe pour que ceux-ci passent brusquement de la thématique du corps meurtri et souffrant à celui du corps désirant? Verges et vagins fleurissent brusquement à un mois d’intervalle, dans deux expositions presque simultanées.

Fin novembre, Kelly SINNAPAH MARY expose, seule, à la galerie T§T de Basse-Terre… Sous le titre  Vagina, son installation nous dévoile un univers intime et secret, celui de fantasmes spécifiquement féminins. Sous l’apparence fleurie de tissus d’ameublement en rose et bleu, le sexe fort y est parfois mis à mâle. Comme cette chaise, bancale, revêtue d’une veste d’homme métaphore de l’absent qui est comme saisi « au panier » par une main féminine. Programmé par avance au lit matrimonial qui l’attend. Ce sont ces mêmes petites mains qui ont œuvré à la réalisation de ces ouvrages traditionnels de dames que sont dentelles et broderies. Ouvrages subtilement dénoncés avec humour par les collages de petits dessins montrant ce représentant du sexe fort livré nu aux mains de furies déchaînées, ou lui rappelant sur un coussin de ne pas oublier de faire la vaisselle. Attirante et maléfique à la fois, la beauté de la femme est un piège qui attire de pauvres victimes. Le nom de VAGINA résonne alors comme celui de KARABA pour désigner une féminité pleine de  sortilèges, qui fait peur.

Le propos, on le voit, s’écarte des thématiques auxquelles les plasticiens nous avaient jusqu’alors habitués. Lauréate remarquée de l’opération Carte blanche II du musée Schoelcher, par cette exposition Kelly SINNAPAH MARY témoigne, et c’est nouveau, d’un regard critique sur la féminité. En dévoilant, parallèlement, l’autre face cachée de la relation homme/femme : la perte du pouvoir détenu par les hommes.

Comme en réponse à cette manifestation, moins d’un mois plus tard, une exposition collective réunis huit plasticiens sous la bannière Testotérone, à la galerie T§T de Jarry. Face à la mise à nu entreprise par Kelly SINAPAH de la notion de féminité, la riposte de ce bataillon de choc masculin se propose de s’interroger, chacun à leur manière, sur la notion de « virilité ». Alors que TÉLÉRAMA titre « Le déclin de l’empire masculin ? », le moment serait-il venu pour l’homme guadeloupéen, imitant la démarche de Maryse CONDÉ, de s’engager dans une réflexion personnelle « sans fards » sur sa mirifique virilité ?

Hormis un classique accrochage, la scénographie de l’exposition, très succincte, se contente d’introniser le visiteur en le confrontant à une œuvre réalisée par François PIQUET avec des enfants de Santo-Domingo, dans le cadre d’une manifestation intitulée Equipaje compartido, à l’occasion d’une résidence d’artiste en août dernier. Le contexte de l’exposition Testotérone en modifie quelque peu la réception. L’installation peut être perçue comme un autoportrait de l’artiste. Un homme, un moun chifon blanc, « accouche » tel Pygmalion d’une Galatée  noire. Une déesse de la fertilité et de l’amour sans tête ni bras mais aux multiples seins et aux fesses généreuses vers lesquels tendent une multitude de petites mains. Une fem doubout se dressant à la verticale

alors que l’homme git, les bras en croix, à terre. Ce même fantasme de procréation se retrouve dans une des deux toiles de Thierry ALET, exposée un peu plus loin : sur un arrière plan textuel la main de l’artiste a graffé, au dessus du mot « Abundance », un sexe qui, tel une fontaine fécondante, déverse une pluie de gouttelettes de sperme. Mais alors qu’avec PIQUET le pouvoir procréateur était lié à l’œuvre que l’artiste crée (avec ses tripes), ALET se rit d’une représentation de la virilité se résumant à l’éjaculation.

Les œuvres accrochées tout autour vont alors tisser de subtils liens avec cette installation. A commencer par le diptyque digigraphié de BENITO, sur le mur de droite,  où un homme nu disjoncte littéralement sous l’effet du terme « virilité » renvoyant à « possession », « vanité », « peur de se perdre ». Du même artiste, un second diptyque encore plus provoquant, They Wanna be out, fait référence en l’illustrant à une B.D. condamnée pour obscénité. On y voit un ecclésiastique exhibitionniste et, faisant contraste avec le passage biblique relatif à la désobéissance d’Eve condamnée désormais à cacher une nudité honteuse, une religieuse « à la cuisse légère ». Le parcours que le visiteur sera amené à effectuer lui permettra de croiser à nouveau deux autres œuvres de BENITO.  « True is right now » est l’illustration mi réaliste mi fantastique d’une décollation symbolique. Tandis qu’un remix de l’« Origine du monde » de Courbet dévoile en gros plan le sexe d’un homme noir. La thématique sexuelle prégnante, l’utilisation de graffitis en anglais et la manipulation infographique témoignent d’inspirations nouvelles venues de Cuba et de  New-York.

D’autres artistes ont fait le choix de représentations plus métaphoriques. Tel Henri HILAIRE dont les paysages, réalisés dans des teintes pastel et intitulés « Naissance », rendent compte d’une nature « amoureuse » soumise à la fécondation de fluides dégoulinants. Si la technique de surlignement des contours utilisée par HILAIRE évoque la liquidité féminine, c’est à l’opposé le feu, élément masculin par excellence, qu’a choisi de photographier de façon quasiment abstraite Elie BABEL. Faisant le choix, pour ses impressions sur plexiglass, tantôt de la couleur, tantôt du noir et blanc. Puissance sexuelle et pouvoir de féconder hantent les imaginaires des hommes qui trouvent avec le Carnaval un exutoire possible. Comme en témoigne la photo en très grand format de Charles CHULEM-ROUSSEAU qui représente un personnage ithyphallique, un diable rouge, dont on revêt le corps, comme nu, d’une épaisse bouillie rouge. Ce personnage fait écho aux toiles de deux peintres, Ronald CYRILLE et Patrick NUPERT. Avec la série « What », Ronald CYRILLE met en scène un univers inquiétant dans lequel des humains s’animalisent, comme affamés ou en rut. La gueule grande ouverte comme des sexes, et les crocs menaçants. Enfin, l’univers secret de Patrick NUPERT résultat d’une technique mixte procédant par jets, coulures et griffures, rend compte d’une masculinité inquiète, soumise à une impulsivité  d’éléments disparates. Et intériorise la quête de sa virilité.  

Ces deux expositions se répondent. Elles se situent toutes deux dans le sillage d’un art contemporain dans lequel les artistes guadeloupéens cherchent à se situer et à laisser leur trace. Elles témoignent donc d’inspirations nouvelles qui déplacent  la quête de l’origine en l’ouvrant à la Rencontre. La rencontre sans peur avec soi-même et avec les autres. Cherchant, en toute sincérité et sans tabous, à rendre compte de la vérité de la nature humaine, celle d’un homme en devenir qui s’est libéré des représentations collectives et de ses propres fantasmes. Et qui parvient, grâce à cette transe cathartique, à une création authentique qui se situe ni dans l’être, ni dans le faire, mais bien plutôt au niveau d’un processus, d’une démarche. « Deviens ce que tu es », disait NIETZSCHE…

                                                                                                                    Scarlett JESUS, critique d’art, 2 décembre 2012.