Godard, le féminin, le masculin, encore et toujours

variations_pellyDe Jean-Pierre Léaud à aujourd’hui, les mêmes questions taraudent les générations : l’amour, la mort, le pouvoir, sa place dans la société, les déflagrations qui agitent le monde.
Laurent Pelly met en scène avec les élèves de l’Atelier du TNT Masculin-Féminin, « Variations », d’après le film de Jean-Luc Godard. Revigorant.

Toulouse (Haute-Garonne), envoyée spéciale. Il y a d’abord le son. La bande-son. Raclements de chaises sur le lino, boule de flipper tintinnabulante, grondement du métro aérien, klaxons énervés, percolateurs enroués, mélodies qui s’échappent de juke-box… Des bruissements de la ville qui viennent rythmer les échanges entre Paul et Madeleine, Paul et Robert, Madeleine et Élisabeth. Chassé-croisé amoureux dans un Paris souvent pluvieux entre jeunes gens tiraillés par la conscience du monde et l’insouciance, la guerre du Vietnam et la société de consommation, qui pointe son nez et leur tend ses bras. Enfants de Marx et de Coca-Cola, dit-on à propos des personnages incarnés par Jean-Pierre Léaud, Chantal Goya, Marlène Jobert et Michel Debord. « D’après toi, le socialisme a-t-il de l’avenir ? » demande Paul à une jeune fille de dix-neuf ans. « Tu voudras des enfants ? » enchaîne-t-il aussi sec. C’est tout Paul, qui semble sans cesse sauter du coq-à-l’âne, recouvrant les murs de Paris d’affiches contre la guerre du Vietnam tout en s’essayant à l’amour…
Conscience politique et haussement d’épaules

Agathe Mélinand s’est inspirée du film dont elle connaît chaque réplique, chaque gestuelle des personnages, pour imaginer des allers-retours entre l’œuvre originelle et des passages écrits très précisément entre janvier et juillet 2015, les attentats de Charlie et la mise au pas de la Grèce, réalisant ainsi « un état des lieux intime, politique, social et amoureux » des jeunes gens d’aujourd’hui. La mise en scène de Laurent Pelly rend perceptibles l’insouciance et la peur, l’amour et le désir, la conscience politique et le haussement d’épaules qui signifie aussi bien la fatalité, la résignation, l’indifférence ou le désenchantement. Les scènes virevoltent au gré des humeurs, des états d’âme des personnages et du monde tel qu’il va. Hier la guerre du Vietnam. Aujourd’hui Daech. Sur le plateau, ça va vite, changements à vue, on joue à cour, à jardin, les jeunes acteurs passent d’une époque l’autre sans temps mort, sans raccord. Parfois la vidéo s’invite. Il y a quelque chose de vertigineux dans la mise en scène de Laurent Pelly qui nous donne à penser que ces jeunes gens, finalement, ont peut-être plus de points communs qu’on pourrait croire…

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Un état des lieux intime, politique, social et amoureux

– Est-ce que tu peux me dire en ce moment dans le monde où est-ce qu’il y a la guerre ?
– Ah !… Non, enfin si, si je cherchais, mais ça ne m’intéresse pas.
– Tu ne sais pas où il y a la guerre en ce moment ?
– Non, je ne sais pas.
Masculin Féminin – Interview de « Mademoiselle 19 ans »

Donnez-nous la télévision et une auto mais délivrez-nous de la liberté.
Quand on revoit le film de Godard, on est saisi par sa perfection jubilatoire et la beauté de ces visages jeunes qu’il filme en prenant son temps – ceux qui vivaient dans le Paris qui n’était déjà plus celui d’avant. Modernité totale, harmonie du plan, stridence des sons, humour et ennui pudique de ceux qui étaient pourtant les enfants de Marx et de Coca Cola… Donc, quand on revoit ce film, on se demande quelle est l’utilité d’en rajouter ? Il n’y a qu’à le projeter, il parle de lui-même, il parle et il se tait beaucoup.
Pourtant, dans le film de Godard, il y a des tas de questions posées. Des jeunes gens les posent, des jeunes gens y répondent, Godard joue et les coince. Pourtant, ceux qui traînent ou se pressent sur les trottoirs les feront exploser, trois ans plus tard, pour lancer les pavés. C’est en ceci que le film est irremplaçable. Photo instantanée d’une petite jeunesse qui va peut-être bientôt bouger… Cela donne envie d’y revenir.
Quand on revoit les images d’actualités, de janvier jusqu’à aujourd’hui qui égrènent le temps de cette année 2015, on est saisi par l’avalanche de visages souffrants, mauvaises nouvelles, intolérances, retour de la rigueur, spectre de la guerre froide, retours de bâton, destructions inutiles et idiotes, menaces, repli sur soi-même, corps échoués sur des plages dont il aura fallu un enfant pour faire enfin réagir l’Opinion publique. Manifestations en Grèce, réfugiés bloqués dans la gare de Budapest, la jungle de Calais ou l’enfer bleu de l’île de Kos etc. Tueries, massacres, noyades, exodes etc. La liste est longue, révoltante et terrifiante. Mais est-ce que ce n’est pas comme ça, tous les ans ? Sans doute pas. 2015 s’inscrit comme un tournant pour l’Europe et pour le monde, retour à l’humanisme ou acceptation résignée de toutes les barbaries.
Alors, en partant et en gardant le film de Godard, il sera question de quelques variations d’actualité, un Théâtre-œil, comme un hommage au Ciné-œil de Dziga Vertov. Godard qui a tourné un Film socialisme n’y trouvera pas à redire.
Il y aura aussi et le portrait et la destruction de quelques idées reçues sur ceux qui, aujourd’hui, ont le même âge qu’avait Jean-Pierre Léaud en 1965 : 21 ans.
Masculin Féminin – Variations est donc un état des lieux intime, politique, social, amoureux et surtout totalement subjectif de ce petit espace de notre temps.

Agathe Mélinand