Germaine Acogny qui « décolonise sa propre histoire »

— Par Selim Lander —

Les festivals ont cela de bien qu’ils obligent à découvrir des spectacles expérimentaux. Soit ici la combinaison d’une danseuse-chorégraphe française et dakaroise, Germaine Acogny et d’un comédien-metteur en scène franco-allemand, Mikaël Serre. La première danse et le second est crédité de la mise en scène. Il faut également compter – outre l’équipe habituelle du musicien, du scénographe, de l’ingénieur lumière, etc – avec un vidéaste, Sébastien Dupouey, car la vidéo jouera un rôle important dans ce spectacle, à la fois comme illustration d’un discours et comme substitut de la danseuse dans les moments où elle cesse de bouger. Car celle-ci, à 79 ans, a bien besoin de pauses, même si sa danse relève plutôt de l’expression corporelle et n’exige donc pas d’efforts physiques démesurés.

Ce spectacle que l’on hésite à classer dans la catégorie des pièces chorégraphiques s’intitule À un endroit du début, sans doute pour signaler qu’il y sera beaucoup question des origines. Il commence en effet par un hommage au père, une sorte d’hommage car ce dernier était fonctionnaire colonial et il lui est reproché, par exemple, d’avoir abandonné l’animisme pour la foi chrétienne. Un traitement tout différent est réservé à la grand-mère paternelle qui fut prêtresse yoruba et dont le spectacle nous enseigne que, grâce à sa magie, elle accoucha à soixante ans de son premier enfant.

Sur le fond, ce spectacle souffre des défauts habituels du mouvement woke dans lequel il s’inscrit, en particulier de la contradiction entre la pensée décoloniale (1) et le féminisme puisqu’il entend défendre l’Afrique traditionnelle contre les valeurs et la religion d’un Occident européen-blanc inculquées de force aux Africains, tout en pourfendant la polygamie pratiquée traditionnellement en Afrique. Autre travers habituel des décoloniaux – qui vient celui-là de la Théorie critique de la race » – celui qui consiste à rendre l’Occident blanc-européen responsable de tous les maux de l’Afrique et d’omettre systématiquement les inconvénients liés à la conquête et à l’occupation arabes, au XIe siècle pour le Sénégal. Dans ce pays, le christianisme – ici monté en épingle – est anecdotique : les Sénégalais sont musulmans à 97 %.

Bref, À un endroit du début est un spectacle militant qui peut trouver son public. Mais il est difficile de ne pas se montrer sceptique à l’égard de la danse, à peu près non-existante. On reconnaît bien des gestes traditionnels des femmes africaines, comme tamiser, piler… mais il y a beaucoup de moments où Germaine Acogny – qui a dirigé pendant plusieurs années Mudra Afrique, créé sa propre école à Toubab Dialao, etc – ne fait pas grand-chose d’autre que bouger les bras ou arpenter la scène en parlant dans son micro d’oreille. Sans compter toutes les pauses où nous sommes invités à regarder les images de la vidéo ou à lire les phrases qui s’inscrivent sur l’écran.

« J’aurais pu continuer, penser que j’étais encore au sommet, ne jamais voir ce que les autres verraient, ce qu’ils voyaient peut-être déjà, quelqu’un dans la pièce, tapi dans l’ombre, une silhouette fondu dans le mur, une vieille douairière… Non, là ça y est, j’arrête ».
Nathalie Azoulay, « Pour Sylvie Guillem, et tout le tralala du corps des filles », La Nouvelle Revue Française, printemps 2023, p. 39.

(1) L’expression entre parenthèses dans notre titre est extraite du programme.

Festival Ceiba, Tropiques-Atrium, 22 mars 2024,