« Fantomatiques Matadors » Villa Chanteclerc du 15 au 24 mars 2013

— Par Roland Sabra —

— Le corset comme emballage du corps des femmes. Une exposition de Marc Marie-Joseph —

En promenade au bord de mer Marc Marie-Joseph tombe en arrêt devant un squelette de poisson bien conservé. Fulgurance : c’est un corset ! Les arêtes sont des baleines bien sûr ! L’objet dont on trouve quelques rares traces dans l’Antiquité, disparut pendant un millénaire et demi, connut son heure de gloire, s’éclipsa et fit retour dans les années 1980-1990 du siècle dernier. C’est à la cour d’Espagne au XVIème siècle qu’on le voit réapparaître. Il prendra le nom de corps à baleine à la Renaissance, les baleines étant une des quatre composantes du bustier. C’étaient jusqu’au XIXème siècle de véritables fanons de baleine. L’association langagière de Marc Marie-Joseph est au plus près de l’histoire. Histoire qui nous dit qu’il fut toujours marqué d’une ambivalence : symbole d’une contrainte exercée sur le corps des femmes, signe d’austère vertu d’un côté, il souligne, de l’autre, la finesse de la taille, zone érotique privilégiée au XIXème siècle. Le mouvement d’émancipation du siècle des Lumières le marginalise. En 1770 est publié un célèbre ouvrage signé Bonnaud, « La Dégradation de l’espèce humaine par l’usage du corps à baleines ». Banni sous la Révolution il fait retour avec l’ordre moral de l’Empire. Plus tard féministes et suffragettes le combattront avec énergie. On peut légitimement penser que les bourgeoises de Saint-Pierre en faisaient grand usage. Ce qui inspire Marc Marie-Joseph.

 La série de tableaux qu’il expose sous le nom de « Matadors » nous montre, des corsets tous plus rigides les uns que les autres, peints sur des caisses d’emballages de bouteilles de rhum, ou d’ »appareils perfectionnés », avatars de la mécanisation de la production sucrière et rhumière de la Martinique d’antan mais aussi de celle d’aujourd’hui avec des cartons d’imprimantes numériques. Le support utilisé renvoie toujours à de l’économique, du commercial, de l’échange pécuniaire, du trafic, comme pour rappeler ce qu’a été, et ce qu’est encore, l’économie d’habitation. Tout s’achète, tout se vend. Le corps des hommes avant 1848, le corps des femmes, toujours et encore. Tout comme le carton emballe la marchandise, le corset emballe la chair des femmes. Mais il fait plus, il comprime et il oppresse autant qu’il met en valeur. L’ambivalence de l’objet saute au visage sous la forme d’un contraste systématisé entre le corset rigidifié dans sa verticalité, le support on ne peut plus prosaïque, exclu de toute noblesse, et les motifs floraux d’aspect champêtre. Les petites fleurs qui s’échappent des corsets figurent la chair vivante, les peaux qui fuient ce qui les emprisonne. Quand elles envahissent en liberté le tableau, la mort figurée est toujours là, sous la forme brutale d’un casque d’armure ( Fanélise) ( Dolores), d’une tête de mort ( Marie-Clémence) ou sous la forme atténuée d’un chapeau de militaire ou de gendarme, de couronne royale, de canotier et autres chapeaux masculins. Les symboles masculins sont là pour nous rappeler que la logique de la domination est sans limite. Elle contraint la nature, les objets, les corps des hommes dans le procès de production et le corps des femmes dans le registre de l’intime. L’exposition s’intitule «  Fantomatiques Matadors ».  Courtisanes en Haiti, Majas en Espagne, les Matadors en Martinique étaient les femmes libertines de Saint-Pierre avant 1902. L’artiste Marc Marie-Joseph prétend redonner  »  vitalité et élégance aux grandes dames qui ont illuminé les soirées et l’histoire de St Pierre« .  Si ce n’était que cela, le corps de la femme comme marchandise (?), l’intérêt serait limité, voire douteux, mais le propre d’une œuvre d’art est d’en dire bien plus que le propos pensé de son auteur. Ce en quoi Marc Marie-Joseph est un artiste. Car « matador » est aussi issu  de l’espagnol « matar » tuer. Le matador est le personnage central de la corrida, chargé entre autre de l’estocade.  Femme facile, femme entretenue, la « matadô » se voit affubler d’un signifiant et d’attributs  la faisant basculer dans le monde masculin. L’honneur féminin est sauf car il est bien connu : « Une femme honnête n’a pas de plaisir ».   Le corset comme une mise à mort de » l’animalité » féminine ? Ambivalence quand tu nous tiens…

« Fantomatiques Matadors « 

de Marc Marie-Joseph du 15 au 24 mars 2013

à la villa Chanteclerc

Écrit le 15 mars, modifié le 19 mars 2013

Roland Sabra