Erreur de calcul du FMI ? Ou excès des zélateurs de l’austérité?

Par Gabriel Colletis, Université Toulouse-I

La publication, en ce début d’année, d’un document de travail du Fonds monétaire international (FMI) a mis les économistes du monde entier ainsi que certains médias en état d’ébullition.

Il a été produit par l’économiste en chef du Fonds, le Français Olivier Blanchard, et par Daniel Leigh, un autre collaborateur du FMI qui suit à la loupe l’évolution des perspectives de l’économie mondiale. Ce texte est intitulé « Erreurs de prévisions de croissance et multiplicateurs budgétaires » (Growth Forecast Errors and Fiscal Multipliers, FMI, Working Paper no 2013/1, janvier 2013).

Dans ce rapport, Olivier Blanchard et Daniel Leigh admettent, non pas une erreur de calcul au sens strict, mais une difficile et sans doute mauvaise estimation du « multiplicateur budgétaire ».

Il faut rappeler ici que le principe, très keynésien, du « multiplicateur budgétaire » établit qu’un euro dépensé ou économisé par un acteur public génère une augmentation ou une perte de revenu pour l’économie nationale concernée qui peut être supérieure ou inférieure, selon la valeur dudit multiplicateur, au montant de la dépense ou de l’économie publique. Ainsi, dans le cas d’une baisse de la dépense publique d’un euro, un multiplicateur supérieur à 1 suggère un repli du revenu national supérieur à un euro.

Dans leur document de travail, Olivier Blanchard et Daniel Leigh, considérant qu’ils avaient retenu jusqu’ici un multiplicateur égal à 0,5, suggèrent, au vu des statistiques effectives de la croissance, que ce multiplicateur était sous-estimé et probablement supérieur à 1.

Et les deux économistes de citer les travaux de leurs collègues Alan Auerbach et Yuriy Gorodnichenko (2012), tous deux de l’université californienne de Berkeley, effectués sur des données américaines, qui situent ce multiplicateur entre zéro en temps « normal » et environ… 2,5 en période de récession.

Que concluent les deux économistes du FMI ? D’abord, de façon humble, qu' »il n’y a pas un seul multiplicateur en tout temps et pour tous les pays » et que « les multiplicateurs peuvent être plus ou moins élevés au cours du temps et d’une économie à l’autre ». Ensuite, qu' »il semble prudent, pour le moment, lorsque l’on pense à la consolidation budgétaire, de supposer que les multiplicateurs sont plus élevés qu’avant la crise ». Enfin, que leurs résultats « ne signifient pas que la consolidation budgétaire n’est pas souhaitable ».

En tentant de prendre un peu de recul, on peut considérer que, effectivement, les économistes du FMI ont sous-estimé de façon significative l’augmentation du chômage et la baisse de la demande intérieure associées à la « consolidation fiscale ».

Leur modèle n’a pas davantage correctement prévu l’effet de l’austérité dès lors que, les taux d’intérêt étant déjà proches de zéro, les ménages comme les entreprises adopteraient le même comportement de désendettement que celui des Etats.

Pour autant, comme on vient de le voir, Olivier Blanchard et David Leigh ne proposent en rien de renoncer aux politiques de consolidation budgétaire, mais suggèrent de les mettre en oeuvre… avec discernement.

En cela, le premier est fidèle à ce qu’il déclarait déjà au quotidien économique La Tribune le 24 mai 2010, à savoir que « le risque est en effet que, sous la pression des marchés, certains pays fassent du zèle dans l’austérité. Ce serait une erreur ». Et manifestement, ce scénario s’est effectivement réalisé ; le zèle l’a emporté et il serait exagéré d’en imputer la faute, aujourd’hui, aux (seuls) économistes du FMI.

Contrairement à ceux qui affirment que la « faute » de l’austérité est essentiellement imputable aux technocrates de tous poils, aux économistes et à tous les idéologues, nous préférons considérer que cette volonté de rigueur correspond bien à une doxa qui prône le retour à l’équilibre des finances publiques comme condition d’un retour à la croissance. Alors que l’on peut tout aussi bien considérer qu’à l’inverse, c’est le retour à la croissance qui permet de rétablir les finances publiques…

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Gabriel Colletis est professeur d’économie à l’université de Toulouse-I.

Il est chercheur au Laboratoire d’études et de recherches sur l’économie, les politiques et les systèmes sociaux (Lereps). Il est auteur de L’Urgence industrielle ! (Editions Le Bord de l’eau, 2012) et a coordonné, avec Bernard Paulré, Les Nouveaux Horizons du capitalisme – Pouvoirs, valeurs, temps (Economica, 2008).
LE MONDE ECONOMIE | 28.01.2013

(Voir également, sur le même sujet, « Erreur de calcul ou erreur de modèle ? », de Didier Voydeville).