En Martinique, la crainte d’un déconfinement sans préparation ni moyens

Le collectif Martinique contre le Covid-19, composé de syndicats de la santé, considère que les directives nationales ne peuvent pas s’appliquer intégralement sur le territoire et préconise la généralisation du port du masque sur l’île.

— Par Hervé Brival —

En Martinique, la perspective du déconfinement suscite autant d’espoir que d’appréhension au sein de la population. Selon le dernier bilan de l’agence régionale de santé (ARS), dimanche 3 mai, le département comptait 181 cas confirmés, dont cinq en réanimation, et quatorze décès sont à déplorer depuis le début de l’épidémie. Dans l’île, on craint les conséquences d’une sortie de confinement sans une véritable préparation et sans moyens. En attendant, on s’organise.

Après sept semaines de confinement, pendant lesquelles l’économie de l’île a tourné au ralenti, s’il y a un secteur qui ne souffre pas de cette épidémie, c’est bien celui de la grande distribution. Il faut s’armer de patience dans les longues files d’attente qui serpentent devant les différentes enseignes de l’île. Alors qu’il n’y a jamais eu de rupture dans le ravitaillement des grandes surfaces et que l’industrie locale peut – même modestement – compenser l’absence de tel ou tel produit dans les rayons.

Est-ce la peur du manque qui explique que des clients remplissent leurs chariots plusieurs fois par semaine ou la crainte d’une pénurie de gaz dans l’île ? A cause du surstockage de bouteilles de gaz, des consommateurs sont parfois contraints de faire plusieurs kilomètres en plein confinement pour tenter de s’approvisionner, alors même qu’Antilles Gaz a augmenté sa capacité de production journalière.

Flambée des prix dénoncée

Ces dernières semaines, des consommateurs ont dénoncé une flambée des prix dans les commerces d’alimentation. Ce n’est pas le constat que fait la direction des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, qui a récemment traité dix signalements sur les prix et procédé à des contrôles d’initiative dans une quinzaine de magasins. Elle a également analysé les tarifs pratiqués par les adhérents du Syndicat des distributeurs et grossistes alimentaires, qui ont annoncé le 3 avril, en complément du dispositif « bouclier qualité prix », la stabilité de leurs prix de vente durant la période du confinement. Ces contrôles confirment le respect de cet engagement dans l’ensemble des vingt-cinq plus grandes surfaces de vente de l’île. Les Martiniquais sont toutefois invités à signaler un prix anormalement élevé à la répression des fraudes.

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Il semble que le confinement influence les habitudes alimentaires des Martiniquais. « Je me fais livrer une fois par semaine un panier de produits locaux et d’œufs frais. Le samedi, je récupère des yaourts, du lait et du fromage chez la crémière. Je reçois également des notifications quand il y a une vente de poissons dans mon secteur », détaille Aude, une enseignante de 31 ans. Elle estime qu’il y a beaucoup d’avantages à manger local, en contribuant à la survie des exploitations agricoles de l’île. « Ce changement de consommation permet aussi à des entreprises de se développer. Beaucoup d’agriculteurs se sont associés pour vendre leurs produits et des services de livraison à domicile se sont multipliés, note-t-elle. Il n’y a plus qu’à espérer qu’après le confinement nous garderons ces bonnes habitudes. »

Manque de masques

Cependant, le discours du premier ministre sur le déconfinement n’a pas vraiment rassuré la population, en particulier en ce qui concerne les enfants scolarisés. Le 23 avril, lors d’une visioconférence organisée par Edouard Philippe avec les présidents de région, Alfred Marie-Jeanne, le président indépendantiste du conseil exécutif de la collectivité territoriale de Martinique (CTM), mettait les pieds dans le plat en jugeant « impossible de rouvrir les collèges et les lycées aux scolaires en mai ».

Une position partagée par la plupart des maires de l’île. Ces derniers doivent aussi faire face à des stocks de masques insuffisants ou inexistants et ne semblent pas en mesure de préserver l’intégrité sanitaire des populations. Pour la seule CTM, ce sont plus de 1 000 agents qu’il faudra équiper.

L’annonce de M. Marie-Jeanne a rassuré la majeure partie des parents d’élèves, même si certaines associations de parents accusent les syndicats d’enseignants de traîner les pieds pour reprendre le chemin des salles de classe. « Toutes nos énergies doivent converger vers un seul but : continuer à sauver des vies et nous acheminer vers une reprise des cours, sans risques pour les élèves, leurs parents et les autres personnels de l’école », soutient Christophe Thegat, cosecrétaire du Snuep-FSU Martinique, syndicat de l’enseignement professionnel.

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Plusieurs collectivités, comme la communauté d’agglomération de l’Espace Sud de Martinique ou encore la ville du Lorrain, ont lancé des appels à la confection de masques artisanaux. « Il nous faut nous préparer. Vivre dans l’espace public va imposer que nous puissions disposer de masques barrières. Nous lançons un appel à la solidarité locale pour fabriquer des masques lavables et utilisables », explique Justin Pamphile, le maire du Lorrain, espérant pouvoir ainsi distribuer 7 000 masques à ses administrés. Car la Martinique manque de masques et compose, pour l’essentiel, avec des masques artisanaux.

Voyageurs confinés

Depuis le lundi 20 avril, tous les voyageurs en provenance de Paris sont confinés pendant quatorze jours au centre de vacances des œuvres hospitalières, dans la commune du Vauclin. C’est la deuxième fois en moins de deux mois que cette structure héberge des personnes mises en quarantaine. Au mois de mars, la décision avait été prise dans l’urgence, avec l’arrivée annoncée en Martinique du retour des croisiéristes du Costa-Magica et du Costa-Favolosa.

Le confinement du territoire a aussi eu un impact sur les importants travaux qui devaient être réalisés en ce début d’année à la raffinerie des Antilles Guyane, au Lamentin. Seuls les travaux les plus urgents vont être effectués par une quinzaine de salariés de la société Emis, sise à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). « C’est sur la base du volontariat que nous avons donné notre accord pour venir en Martinique, tout en sachant que nous serions placés en quarantaine, explique Kahina Enocq, ingénieure hygiène qualité environnement. Notre employeur a loué des résidences individuelles dans le sud de l’île. Je suis arrivé à la Martinique le 6 avril et ce n’est que le 27 avril, après l’obtention des résultats de tous les tests, que j’ai rejoint le site de la raffinerie. »

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Si on observe une certaine impatience à reprendre le cours « normal » de la vie, les Martiniquais sont unanimes à dire que cela doit se faire de façon raisonnée. Même si les autorités veulent se montrer rassurantes, l’éventualité d’une expansion de l’épidémie après le 11 mai ne peut être négligée, tant l’île paraît peu préparée à cette sortie du confinement. Le collectif Martinique contre le Covid-19, composé de syndicats de la santé, considère que les directives nationales ne peuvent pas s’appliquer intégralement sur le territoire. Un territoire vieillissant, où quelque 40 000 personnes – 10 % de la population – sont traitées pour diabète. Il préconise de protéger la population avec la généralisation du port du masque, un diagnostic rapide des patients symptomatiques et un dépistage de masse, en premier lieu des personnes exposées.

Source : LeMonde.fr