Emmanuel Macron et la culture : « Des engagements assez flous, sans vision politique »

— Recueilli par Sabine Gignoux —

Critique à l’égard des annonces du chef de l’État en faveur de la culture, Jean-Michel Tobelem (1) professeur en sciences de gestion, appelle à des États généraux pour repenser, avec tous les acteurs, les objectifs de démocratisation de la culture.

La Croix : Comment réagissez-vous aux premières annonces du chef de l’État en faveur de la Culture ?

Jean-Michel Tobelem : La prolongation des droits des intermittents était attendue et c’est un point de satisfaction. Mais le chef de l’État a évoqué ensuite quelques mesures de détails sans annoncer de plan global, précis et chiffré en faveur du secteur culturel. Au total, ses engagements sont restés assez flous.

On les attendait pourtant. Dans cette crise, l’État s’est déjà impliqué très fortement pour soutenir certaines grandes entreprises comme Air France ou Renault. Pourquoi pas la culture ? Les grandes institutions soutenues par la puissance publique continueront probablement à l’être mais il y a lieu d’être inquiet pour toutes les autres structures, privées ou associatives, des festivals, des théâtres, des orchestres qui dépendent largement de la billetterie. Leur public risque de ne pas revenir avant de longs mois.

Le tragique serait qu’à l’issue de cette crise disparaisse, avec eux, une forme de diversité culturelle. Ces structures plus fragiles comptent beaucoup d’acteurs innovants, menant un travail modeste mais de fond dans les régions.

Vous appelez aussi à des transformations profondes de la politique culturelle à moyen terme…

J.-M. T. : Le chef de l’État n’a malheureusement pas énoncé ici de vision politique particulière se contentant d’inviter les acteurs culturels à « se réinventer » dans les mois qui viennent… Pourtant la crise actuelle nous offre une occasion unique de repenser l’action publique dans le domaine de la culture pour servir davantage les besoins de citoyens et corriger des déséquilibres.

Des États généraux, partant de constats partagés sur la démocratisation de la culture, pourraient fixer ainsi des objectifs clairs. Cela donnerait une boussole pour orienter les subventions et les politiques publiques. Pourquoi les élus locaux soutiennent-ils souvent les multiplex, qui promeuvent avant tout les grosses productions hollywoodiennes, et pas les cinémas associatifs ou d’art et d’essai, vrais vecteurs de diversité et de proximité ?

→ ANALYSE. Les intermittents du spectacle face à la crise du Covid-19 : où en est-on ?

Pourquoi les conservatoires qui ne touchent qu’un nombre limité de familles, ne remettent-ils pas en cause leur modèle pédagogique pour s’adresser au plus grand nombre ? Pourquoi n’offre-t-on pas en accès libre sur Internet les livres, les œuvres d’art, les films, tombés dans le domaine public ? Les collections nationales appartiennent à tous. Il faut ouvrir grand les fenêtres et les portes de nos institutions culturelles.

La gouvernance même de ces institutions doit évoluer, à vos yeux…

J.-M. T. : Oui, sinon tout risque de continuer comme avant, avec des politiques malthusiennes et élitistes. Des représentants des associations locales, des mouvements d’éducation populaire, des comités d’entreprise doivent siéger dans les conseils d’administration des institutions culturelles soutenues par la puissance publique.

Pour faire le lien entre l’offre artistique et le public dans toute sa diversité. Il ne faut pas craindre ce débat. Dans le même esprit, les institutions pourraient s’ouvrir davantage aux pratiques amateurs, pour construire de véritables parcours artistiques. Au prétexte de l’excellence de la programmation, nos capacités de diffusion, encadrées dans des « saisons » avec de longues vacances, ne sont pas optimales.

Recueilli par Sabine Gignoux

(1) Professeur associé à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, auteur de « La Culture pour tous, Des solutions pour la démocratisation » en 2016.

Source : LaCroix.com

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