Du « statut des statues » et du nom des rues, en Martinique et ailleurs

Le 28 mai 2020 Didier Laguerre, réélu à la tête de la mairie de Fort-de-France, évoquait ainsi, entre autres choses, la mise en place d’une commission « pour la mémoire et la transmission », où toutes les composantes de la société martiniquaise pourraient se parler, où chacun pourrait confronter ses idées à celles des autres : « Je suis convaincu que c’est comme cela que nous allons régler des problèmes. Face notamment aux problématiques identitaires et mémorielles qui se présentent actuellement à la Martinique, la question de la transmission est fondamentale ».

Cette commission pourrait faire des propositions qui donneraient éventuellement lieu à des consultations populaires, expliquait alors Didier Laguerre. Il s’agirait selon lui de permettre à la société martiniquaise de franchir une nouvelle étape dans le partage de son histoire. L’idée de la mise en place de cette commission a reçu un accueil favorable des deux groupes de la minorité, à savoir « Fok sa chanjé fodfwans » et « Lyannaj’Pou Levé fodfwans », emmenés respectivement par Francis Carole et Nathalie Jos. Cette dernière, nouvellement arrivée dans le Conseil Municipal, dit être dans un esprit constructif ; elle déclare : « Il y a une urgence démocratique dans ce pays. Il faut arrêter les petits jeux politiques. Le peuple veut nous voir au travail ». Elle estime que nous sommes en présence d’une crise identitaire et pense que c’est une bonne idée, la mise en place d’une commission sur ces questions. Notamment avec une composante toponymique pour renommer certaines rues. (Journal France Antilles du 28 mai 2020)

Promesse tenue ! C’est aujourd’hui chose faite puisque ce 17 mai, la Commission a vu le jour. À noter qu’une telle instance existe depuis un an déjà au Prêcheur.

Selon RCI : Les symboles du colonialisme dans l’espace public, revus par les municipalités

(d’après Karl Lorand et Adeline Courson, le 18 juin 2020) 

À Fort-de-France comme au Prêcheur, les municipalités prennent des dispositions et étudient des pistes de réflexion au sujet des symboles du colonialisme dans l’espace public.

La mairie de Fort-de-France a élu hier sa Commission ad hoc, « Mémoire et Transmission ». Promesse de campagne de Didier Laguerre, et requête du député Serge Letchimy auprès de son successeur à Fort-de-France, cette Commission était très attendue.

Cette Commission, qui devrait être mise en place avant le 30 juin 2020, voit le jour pratiquement un mois après les évènements du 22 mai dernier, où un groupe de jeunes martiniquais avait déboulonné deux statues de Schoelcher, à Fort-de-France et dans la commune éponyme. Des actes qui obligent aujourd’hui la classe politique à jeter un nouveau regard sur l’histoire de la Martinique. Une histoire qui ne doit pas rester figée dans le marbre, mais qui est en mouvement, et que l’ensemble de la population doit s’approprier.

La municipalité foyalaise a donc désigné une dizaine de membres qui intégreront cette Commission. Pour la présider, c’est une jeune femme qui a été choisie. À seulement vingt-neuf ans, Mélodie Moutamalle, qui préside déjà l’association « Limiè Kilti » — pour le développement de la culture locale — , aura la charge de diriger les travaux de « Mémoire et Transmission ». « Ma jeunesse est un grand avantage pour comprendre ces problématiques du présent. En tant que chercheuse en histoire et enseignante, je suis confrontée à ces questions », assure Mélodie Moutamalle qui espère ouvrir ainsi un vrai dialogue entre concitoyens. 

Didier Laguerre doit lui remettre une feuille de route dans les jours prochains. Des missions ont déjà été identifiées par l’Exécutif municipal, telles que redéfinir le nom de certaines rue de Fort-de-France qui aujourd’hui, selon les mots du Maire, posent problème, la rue Gallieni par exemple : «Il y a des choses que l’on peut faire très rapidement et d’autres qui prennent plus de temps. À la rentrée il faut qu’un certain nombre de choses soient enclenchées concernant les rues et les places qui posent problème. Maintenant, enlever une plaque, c’est bien, mais il faut la remplacer par quelque chose de partagé ».

Selon la lettre de Didier Laguerre, adressée le 14 juin au collectif de jeunes citoyennes et citoyens martiniquais qu’il avait déjà reçus le 12 de ce mois, il est souhaitable que la Commission fasse des propositions d’actions sur le court, le moyen et long terme ;  elle serait donc chargée : 

— à court terme, de renommer des rues ou de mettre des plaques explicatives sur des personnages controversés (ainsi est-il fait à Bordeaux, et Nantes avec la création d’un parcours mémoriel par exemple), de trouver des lieux de destination pour certaines statues, qui pourraient être enlevées, ou repositionnées ailleurs. 

— à moyen terme, de mettre en place des outils de sensibilisation, et des outils pour restituer les résultats de recherches, en libre accès, sur une plateforme numérique ouverte à tous publics. Les recherches porteraient sur les grandes civilisations africaines, l’esclavage et la traite, les différentes immigrations qui ont constitué le peuple martiniquais, la lutte pour l’émancipation et les libertés dans la Caraïbe.

— à long terme, de faire des propositions pour l’émergence d’un lieu de mémoire symbolique.

La réflexion est en cours au Prêcheur : Une autre ville de Martinique a sa « Commission pour la Mémoire ». L’instance a été créée l’an dernier par la municipalité du Prêcheur. Les déboulonnages de statues ont relancé un débat vieux de plusieurs années : que faire de la statue de Du Parquet, l’un des premiers colons de la Martinique, responsable de la mort de centaines de d’Amérindiens, et qui trône dans le bourg ?

« Ça fait longtemps que des Préchotins se sont saisis de la présence de cette statue qui trônait au milieu de la place. Elle a déjà été déplacée. L’ancienne majorité de droite lui avait substitué l’actuelle statue en hommage aux esclaves révoltés de mai 1848 », précise Marcelin Nadeau, maire de la commune, qui envisage un débat démocratique pouvant prendre la forme d’un procès, avant de décider du devenir de cette statue.

En conclusion, et selon les mots de Didier Laguerre, il s’agit de proposer des actions concrètes, qui participent à un objectif commun, celui de garder « une Martinique humaniste, fière d’elle-même, solidaire, qui trouve unie la force de regarder demain ». Un objectif qui s’inscrit dans un projet plus général du maire de la ville : «Mon engagement se fait et se poursuivra autour de valeurs : le progrès humain, la dignité, le respect de chacun…». 

Le Général Gallieni, cité par Didier Laguerre : à Fort-de-France la rue, à Paris la statue

Déjà taguée en début de semaine, la statue du général Gallieni, place Vauban à Paris, a été de nouveau vandalisée, jeudi 18 juin. Des militants antiracistes l’ont bâchée symboliquement pour dénoncer le rôle du militaire durant la colonisation.

C’est un personnage de l’Histoire de France qui sème la discorde. Alors que, partout dans le pays, se multiplient les actions antiracistes, questionnant la place des symboles coloniaux dans l’espace public, la figure de Joseph Gallieni fait débat. C’est dans ce contexte pesant que, jeudi 18 juin, des militants antiracistes ont recouvert d’un drap noir la statue du général contesté, qui trône place Vauban dans le VIIe arrondissement de Paris, à deux pas de l’Esplanade des Invalides. Héros de la Première Guerre Mondiale, son histoire est également marquée par la répression sanglante à Madagascar, qui fit près de 80.000 morts lorsqu’il était gouverneur de l’île. Le massacre à la fin du 19° siècle du mouvement Menalamba, mouvement politique insurrectionnel en opposition à la colonisation française, a eu pour conséquence le maintien de l’esclavage sur l’île.

Janine Bailly,  Fort-de-France, le 19 juin 2020