Dépasser l’esclavage !

— Par Pierre Alex Marie-Anne —

Jour après jour, matin, midi et soir, les martiniquais sont soumis à un lavage de cerveau intensif concernant la période de l’esclavage et de la traite négrière; le pays baigne littéralement dans l’ évocation obsessionnelle de ce passé révolu. Cette opération de “zombification”de la population, parfaitement orchestrée par l’intelligentsia de gauche politique et médiatique, s’inscrit dans un vaste mouvement ( “la pensée décoloniale”), parti des universités américaines (woke culture des éveillés) pour se répandre ensuite en Europe puis en France. Il s’agit d’analyser et de réinterpréter les faits historiques, économiques et sociaux à travers le prisme de la race ( noirs, minorités ethniques), du genre (féminisme-LGBT) et de la catégorie (roms, musulmans handicapés…). Cette déconstruction-reconstruction dite “décoloniale” peut prendre plusieurs formes : celle du panafricanisme illustré chez nous par l’action des activistes «rouge-vert-noir» qui cherchent à faire disparaître de la mémoire collective et de l’espace public tous les signes et symboles évocateurs de visages d’hommes ( ou de femmes) blancs, y compris de ceux à l’esprit éclairé, ayant contribué par leur engagement sans faille à mettre fin à l’abomination esclavagiste, ou celle de l’islamo-gauchisme, complaisant à l’égard de l’islamisme radical,visant à remplacer les démocraties traditionnelles construites sur la tradition judéo-chrétienne par le règne du Califat et de la Charia ( les graffitis et profanations, touchant épisodiquement les monuments et édifices religieux et les attaques répétées contre la liberté de consciencence et la laîcité, en sont les manifestations les plus visibles).Ce bourrage de crâne permanent de l’esprit de nos compatriotes,sous prétexte de retrouver une identité perdue, (celle de l’Afrique bien sûr !), vise un objectif précis, bien que masqué : détacher, à plus ou moins long terme, la Martinique de la France, cette marâtre d’où nous viendrait tout le mal. Pour parvenir à leurs fins, les manipulateurs professionnels qui sont à l’œuvre en arrière-plan des RVN n’hésitent pas à falsifier l’histoire, à la déconstruire pour reprendre le vocabulaire à la mode, sur deux points essentiels : celui de la formation de notre identité d’une-part et celui du processus historique qui a conduit à l’abolition de l’esclavage de l’autre.

Première contre-vérité : nous serions des africains vivant dans la Caraîbe ; nos ancêtres transportés d’Afrique l’ont été sans doute, mais nous Antillais sommes bien différents ; nous sommes une humanité nouvelle, fruit du brassage multiséculaire des races et des cultures venues de tous les continents qui se sont succédées sans discontinuer sur notre sol. En clair nous sommes des métis, ouverts à tous les souffles du monde, ce qui constitue à la fois notre spécificité et notre richesse. Lors d’un colloque organisé à Cluny en octobre 1992, intitulé “la rencontre des deux mondes”, feu Camille Darsières, secrétaire général du PPM, prenant conscience de cette réalité incontestable, s’était prononcé pour l’ élargissement du concept de négritude afin qu’il englobe non seulement les noirs, les européens, les asiatiques et les indiens mais encore et surtout les peuples autochtones Arawaks et Caraîbes qui constituent la racine la plus profonde de notre identité. Nous sommes les héritiers de ces premiers occupants de l’île, seuls légitimes, qui ont donné son nom à toute la région: “la Caraîbe” ; ceux dont les patronymes désignent plusieurs de nos communes : Case Pilote, Rivière-Pilote,Anses-d’Arlet, Ajoupa-Bouillon ; ceux encore dont la langue vernaculaire omniprésente, représente soit des techniques: Carbet, hamac,brûlis, pirogue, poteries céramiques, roches gravées, cassave de manioc,le fameux matoutou-crabes, le célèbre coui, les aromates et plantes médicinales, soit des particularités faunistiques ou géographiques : lamentin, macouba, marigot, caret, mangrove…), sans oublier les mythes et légendes qui peuplent notre imaginaire. Est-ce un hasard si la principale manifestation, qui rassemble dans une même ferveur l’ensemble de la population martiniquaise, est la course de yoles rondes, embarcations descendant en ligne directe du gommier des origines qui leur servait à naviguer dans toute la zone? C’est pourquoi, renier cet héritage, c’est se renier soi-même et il n’est pas question de le laisser occulter par les autres influences qui nous ont façonnés au cours des siècles, fusse celle de l’Afrique de qui nous tenons le rythme cadencé de notre musique..En fin de compte, nos gènes sont multiples et notre identité plurielle, elle ne saurait donc être réduite sans amoindrissement à l’une de ses composantes. Nous portons en nous toute la diversité et la richesse du monde, c’est ce qui fait la singularité du martiniquais, lié à la France par une communauté de destin, depuis plus de 400 ans.

Deuxième contre-vérité : l’abolition de l’esclavage serait le fait des seuls esclaves de l’île ( le fameux mythe du 22 Mai) ; c’est prendre ses désirs pour des réalités. Certes, les esclaves qui enduraient sur les plantations des conditions de vie inhumaines, cherchaient sporadiquement à se révolter mais ils ne pouvaient le faire qu’individuellement ou en petits groupes, ce qui bien évidemment était incapable de changer radicalement l’ordre établi. Le seul exemple d’action collective ayant abouti à renverser complètement la situation est celui d’Hispaniola, devenue en 1804 la république d’Haîti à la suite de la victoire remportée à Vertières sur les troupes napoléoniennes, par Toussaint Louverture et Dessalines, à la tête d’une véritable armée. S’agissant de la Martinique, l’impact des révoltes à surtout consisté à hâter l’application dans l’île des mesures déjà intervenues à Paris ( décrèts d’abolition du gouvernement provisoire des 4 mars et 27avril 1848 ),suite au renversement du régime monarchique de Louis-Philippe et à la proclamation de la deuxième République.,le 25 février 1848. Ces décisions étaient en réalité elles-mêmes l’aboutissement d’un long processus remontant très loin dans le temps, initié par les idées des philosophes et encyclopédistes de l’époque dite “des lumières”; elles se sont concrétisées une première fois dès 1794,dans le prolongement de la révolution-mère de1789 ;la Guadeloupe a d’ailleurs bénéficié de son application mais pas la Martinique qui était alors occupée par les anglais. C’est grâce notamment à la lutte anti-esclavagiste acharnée et persévérante de Victor Schoelcher, qui s’était inspiré de l’exemple anglais (abolition décidée dès 1833),que cette question est revenue au premier plan des préoccupations des conventionnels lors de la révolution de juillet 1848 ; toutefois, gardons à l’esprit que l’abolition de l’esclavage comme l’émancipation des noirs sont principalement filles de la république, le maintien de cet état de sujétion étant incompatible avec les idéaux révolutionnaires résumés dans la devise républicaine: “liberté, égalité, fraternité”, entre tous les hommes ; pour être complet, il faut également tenir compte de la prise de conscience, dans les milieux éclairés de la nation, du sort tragique réservé sur les plantations aux esclaves, qui manifestaient, avec de plus en plus d’impatience, leur soif de liberté et dont les tentatives de rébellion étaient cruellement réprimées; Ce contexte a indiscutablement contribué à accélérer la proclamation de la décision historique d’abolition :«nulle terre française ne peut plus porter d’esclaves !.», mais cela n’enlève rien cependant au rôle majeur et décisif joué par Victor Schœlcher qui assumait la présidence de la commission chargée de rédiger le texte d’abolition et d’en préparer les conséqueces ; on lui doit notamment le principe de l’application immédiate, sans délai et sans restriction de l’émancipation et celui de la représentation des nouveaux citoyens libres à la future Assemblée Nationale. On mesure, à l’aune de ces considérations, l’aveuglement de ces personnages qui croient retirer gloire de la destruction des statues du grand abolitionniste que fût Victor Schɶlcher; ils montrent ce faisant leur dédain pour la préservation de notre histoire, qui est indissociable de celle de la France, au profit de calculs bassement politiciens; les propos embarassés qu’ils invoquent pour se justifier ne peuvent dissimuler le racisme à rebours qui inspire leur démarche. On ne peut que leur conseiller de déployer le même zèle pour rétablir la circulation sur un des accès prioritaire de leur commune, condamné depuis Décembre 2020, bien qu’ils soient membres de la Cacem propriétaire de cette voie, et que cette dernière ait fait main basse sur l’essentiel des ressources financières de leur collectivité.

Au terme de l’analyse des tenants et aboutissants de cette frénésie commémorative autour de la sombre période de l’esclavage, la conclusion qui se dégage est qu’il faut laisser ce passé révolu à la place qui est la sienne, celle de l’histoire (la vraie!) et du juste repos des morts ; ainsi pourrons nous consacrer l’essentiel de notre énergie et de nos capacités à appréhender et relever avec succès les défis qui nous assaillent: la préservation de la nature et la protection contre les risques naturels, la lutte contre les différentes formes de pollutions, le Développement durable et la transition énergétique, l’extension de la numérisation et des technologies du futur au service du plus grand nombre et surtout, la lutte contre les inégalités et la pauvreté, sans cesse grandissantes.

Pierre Alex MARIE-ANNE