De l’enfermement

— Par Victor Lina, psychologue clinicien —

enfer_me_ment« Quelques mots écrits pour dire psy »

Vu d’ici, et de notre point de vue, quelle pourrait être notre contribution à une réflexion partagée sur l’enfermement, son histoire, ses déclinaisons, ses justifications ses extravagances et ses limites ?
De notre point de vue, c’est-à-dire du lieu à partir duquel nous parlons. Quel est-il ?
S’il est, il est multiple et insulaire ; parlant et partant donc de notre îlet, de cet enclos qui délimite les bords de notre espace familier. Partant de notre territoire, du terrain au sein duquel nous nous situons et de ce que nous y faisons dans les circonstances favorables, une pratique clinique s’appuyant sur la rencontre et l’écoute dans une pièce porte fermée et en particulier en milieu fermé.
Foucault lors d’un entretien filmé propose une analyse de ce l’on entend par le terme humanité. L’humanité, celle à laquelle nous sommes souvent amenés à nous référer, est présentée par lui comme une manière raisonnable d’exercer le pouvoir.
L’enfermement et la privation de liberté traduirait ainsi une nouvelle économie du pouvoir régie par un discours empreint d’humanité.
Mais alors, n’y-a-t-il pas à distinguer l’humain de l’humanité ? Qu’il y a-t-il d’humain dans l’humanité ? Qu’il y a-t-il d’humain dans l’exercice du pouvoir au nom de la raison ? L’inhumain serait-ce une manière déraisonnable d’exercer le pouvoir ou ne serait-il pas déjà inscrit dans le pouvoir séculier ? Si l’humanité repose sur la mesure, l’humain fait il place à la démesure ?
Aussi s’agit-il par humanité de choisir la souffrance au lieu de la cruauté ? La cruauté prévaut dans la pratique des supplices (amputations, coups, brûlures, écartèlement, crucifixion…) aux époques et dans les lieux où ils ont court.
La souffrance se substituerait au châtiment en ce sens qu’elle est commune aux pénitents qui se confrontent ou sont confrontés aux empêchements, aux contraintes et astreintes en vue de leur purgation de la faute qu’ils ont commise par action, par intention ou par omission.
L’espace dédié à la pénitence est la cellule de réclusion qui n’est ni une chambre, ni un dortoir, mais un lieu consacré à l’ascèse, au renoncement et à la recherche de l’intimité avec soi et avec Dieu.
C’est donc dans un contexte de ferveur monastique qu’apparaît le modèle de la mortification par encellulement ou enfermement dans un réclusoir.
Ce n’est pas qu’un simple fait du hasard si le champ judiciaire a conservé divers termes de vocabulaire issus du monachisme ainsi qu’une certaine représentation de l’espace et de sa traduction architecturale : cellule, réclusion, pénitentiaire, probation, peine, murs d’enceinte, etc.
L’humanité à laquelle se réfère le pouvoir emprunte donc au christianisme un modèle que l’on tend à négliger ou oublier. Ce modèle se réfère en particulier au principe de la faute morale et spirituelle dont la traduction psychique est la culpabilité comme sentiment rétroactif ou comme auto-reproche existentiel.
L’enferment ou la réclusion est originellement attachée à l’expiation volontaire d’une faute, à l’expression d’un éprouvé de repentance et à la recherche du pardon et de la grâce.
La morale religieuse vient donc au fondement du droit qui s’en prétend affranchi. C’est sans doute parmi les non-dits de ces valeurs non assumées ou implicitement rejetées que l’on peut chercher à faire émerger du sens pour chacun des acteurs de notre vie sociale.
Faire émerger du sens, c’est rendre possible la mise en évidence de l’implicite et du voile voire du masque. Ce masque blanc ou noir, en fait, n’a pas de couleur. Sa réalité n’étant pas chromatique, peut se révéler ou peut ne pas se révéler.
Si le pardon ou la repentance n’est plus en vogue, la grâce, le remord, le regret, le pardonnable, l’impardonnable sont des termes toujours usités dans le champ judiciaire, dans les plaidoiries notamment.
Un mysticisme implicite traverse cet emploi discursif. Partant de l’emploi des mots, de leurs origines, de leurs connotations, il est peut-être opportun de s’en alerter afin de considérer les effets de la parole.
La parole libre, délestée de la toute-puissance, libère.
Ainsi on peut s’entendre dire : humain, trop humain…

Victor LINA