Avignon 2018 : « Cendres/Aske »

Cendres/Aske
Yngvild Aspeli/Plexus Polaire
Festival d’Avigon off 2018
La Manufacture

Inspiré du roman « Avant que je me consume » de Gaute Heivoll, le spectacle raconte les deux histoires parallèles d’un écrivain et d’un fils de pompier pyromane qui sévit dans le village de Finsland, au sud de la norvège. Car l’écrivain est obsédé par cette histoire: en 1978 au moment où il reçoit le baptême, l’incendiaire débute dans son entreprise criminelle. Double baptême donc, pour l’un dans la vie chrétienne, pour l’autre dans le crime. L’oeuvre scénique retrace ce double cheminement où l’un est le double inversé de l’autre. Au fur et à mesure que l’incendiaire s’enfonce dans sa pyromanie, le futur écrivain s’enfonce dans l’alcool. Il abandonne projets et études comme le premier abandonne sa famille. Et dès lors, c’est pour tous deux la descente aux enfers, dans l’abîme de l’addiction.
La thématique est saisissante, dostoievskienne, prise dans les brumes du grand nord; c’est une vraie leçon de ténèbres. La conception du spectacle épouse merveilleusement son objet: théâtre de marionnettes propre à rendre sensible sur le plateau toute forme de monstre. Tout ce que l’imaginaire le plus ténébreux charie d’horreur cauchemardesque est porté par ces figures de plâtre, mais aussi toute la tendresse et l’incompréhension des parents blessés dans leur amour pour leur enfant qu’ils peinent à reconnaître comme monstrueux. Le heurt entre la douceur feutrée de la vie familiale et la violence déchaînée de l’incendiaire est admirablement rendu sur le plateau. Présence obsédante du feu, dans ce pays où le bois sert à construire et à chauffer! Admirablement portée par une scénographie débordante d’imagination. Spectacle éminemment visuel: pas de dialogue, sinon susurré à l’oreille des pantins, peu de mots, dont le seul rendu est visuel. Ce sont les mots de l’écrivain, ceux qu’il écrit sur son ordinateur et qui s’affichent pour nous sur l’écran d’un voile mouvant en front de scène. Au fond le plus saisissant c’est le rapport entre acteur et pantin: les marionnettes grandissent au fur et à mesure du passage du temps jusqu’à prendre taille humaine: elles deviennent alors le double des acteurs avec lesquels elles entretiennent des rapports intimes quoique infralangagiers.
Au total, un spectacle puissamment émouvant et poétique, délivrant une leçon sur les ténèbres de l’âme par l’unique recours aux images, à la musique, aux couleurs, à l’ambiance, parvenant à rendre présentes les créatures oniriques les plus redoutables comme les figures les plus attendrissantes.
Michèle Bigot