Avignon 2018 : « Badbug, texte de Vladimir Maïakovski, m.e.s. Meng Jinghui

—Par Michèle Bigot—

Le théâtre chinois arrive à Avignon; La Manufacture programme dans le off un spectacle de Meng Jinghui, figure emblématique de la scène contemporaine chinoise. L’un des metteurs en scène les plus influents de l’Asie et le pionnier du théâtre d’avant-garde chinois. Après avoir mis en scène des pièces du répertoire et des créations contemporaines, il se lance à la conquête de Maïakovski et ce n’est pas son moindre mérite, car qui en Occident aurait songé à représenter une pièce de Maïakovski? C’est donc un OVNI pour le spectateur français qu’une pièce d’un auteur soviétique révolutionnaire mise en scène par un chinois: quelle rencontre!
Il fait donc coup double: il dépoussière Maïakovski qui a quand même pris un sacré coup de vieux et il retrouve quelque chose d’une problématique oubliée chez nous depuis qu’on ne joue plus Brecht (ou si peu!): le sort du collectif, son articulation avec l’individuel.
L’intrigue: Prissypkine, ex-ouvrier et ancien membre du parti à la mentalité petite-bourgeoise, délaisse ses camarades ainsi que sa fiancée, Zoïa Berezkine pour se marier avec une bourgeoise, Elzévire Davidovna Renaissance. Mais à la suite d’un incendie, le repas de noces se transforme en tragédie: tous les invités meurent, le salon de coiffure où se déroulait la fête est complètement détruit, et l’eau qui avait permis d’éteindre l’incendie, en gelant, emprisonne Prissypkine dans un bloc de glace. Une coriace petite punaise, qui avait grimpé sur la tête de Prissypkine et y était restée accrochée, se retrouve prise dans la glace avec lui. Cent ans plus tard, une équipe scientifique retrouve le corps de Prissypkine et décide de le ramener à la vie. La punaise se réveille alors avec lui.
Histoire d’anticipation pour le Maïakovski des années 1920 qui rejoint notre actualité. Et il est intéressant de confronter l’imaginaire révolutionnaire des années vingt avec la réalité du monde de 2018! Le poète eût été bien étonné de voir où en est aujourd’hui la fédération de Russie. Son imagination avait prévu ce qui lui semblait le pire, un univers scientiste d’où toute humanité aurait disparu, mais pas le désastre sociétal et politique que vit aujourd’hui la Russie!
Dans ces conditions, le plus intéressant reste ce qu’on devine de la réalité soviétique entre les lignes du texte de Maïakovski, par ailleurs insupportablement rhétorique, emphatique, dont le lyrisme militaire nous horripile aujourd’hui. C’est donc dans l’implicite du texte qu’il faut puiser sa nourriture, et là, il y a de quoi faire! On mesure toute la noirceur et tout le pessimisme dont est porteur Maïakovski, évoluant à son corps défendant au milieu d’une misère physique (obsession des punaises) et morale (enfouissement de l’individu sous la pression de la masse).
Du coup, il y a une ironie mordante pour un chinois à reprendre ce texte aujourd’hui, qui à Pékin, doit faire écho aux problèmes d’aujourd’hui. Cependant il manie le second degré à tous les niveaux, en poussant jusqu’à la caricature l’enflure du texte, en l’accompagnant d’une musique d’Heavy metal, d’une chorégraphie agressive et d’une gestuelle provocatrice: on se demande comment une scène de fellation homosexuelle, même stylisée, peut échapper à la censure!
Le difficulté de cette mise en scène c’est qu’elle est trop subversive pour être reçue en Chine, et dépassée pour les spectateurs occidentaux qui, depuis, en ont vu d’autres! Outre le fait que la problématique qu’elle véhicule ne les intéresse plus qu’à titre de docuement historique consulté avec nostalgie.
Michèle Bigot

Festival d’Avignon off 2018
La Manufacture