Avignon 2019. « Sang négrier » de Laurent Gaudé, m.e.s. de Khadija El Mahdi.

— Pr Roland Sabra —

De Laurent Gaudé, nous avons déjà eu le bonheur de voir à Fort-de-France, dans une mise en scène de Margherita Bertoli, Médée Kali en janvier 2017. « Sang négrier » est un seul en scène avec Bruno Bernardin qui aborde le thème de l’esclavage du point de vue d’un négrier ! Khadija Mahda met en scène la nouvelle «  Sang négrier » avec une très grande fidélité au texte de Laurent Gaudé. Le narrateur est devenu capitaine d’un bateau à Gorée à la mort de son supérieur emporté par de mauvaises fièvres. Son accession à ce poste de responsabilité ne tient pas vraiment à ses qualités de marin mais aux plutôt circonstances malheureuses qui ont frappée le chef d’équipage. La pratique la plus courantes dans cette situation consiste à immerger le corps de la victime et de continuer la route. L’homme est un second, plus habitué à obéir qu’à commander. Pris dans un ordre hiérarchique qui le protège et qui l’épargne d’une prise d’initiative il est peu apte à faire face à l’imprévu. Au lieu de conduire son navire chargé d’esclaves vers les Amériques comme il se devait de le faire, il décide en dépit du bon sens de rapatrier la dépouille vers Saint-Malo. Après les obsèques au moment de repartir l’équipage l’avertit qu’il manque cinq esclaves à bord. Responsable de sa « cargaison » il voit sa réputation déjà fragile menacée par cette évasion qui va donner lieu à une battue meurtrière à laquelle la population de Saint-Malo va participer dans un climat de déliaison pulsionnelle donnant libre cours à la haine. Un des cinq échappera et viendra hanter les jours et les nuits du foutu capitaine au point de le rendre fou. Il laisse des indices de sa présence à l’aide de ses doigts qu’il coupe et cloue sur les portes. Le comble du délire survient quant un onzième doigt est cloué…

Ce personnage dresse un portrait d’un quidam d’une grande banalité qui progressivement perd pied face à une situation pour laquelle rien ne le disposait. Sur le plateau deux morceaux de barriques figurent la destinée d’épave du capitaine. Bruno Bernardin, tel un pierrot lunaire égaré propose la mise à nue d’un homme face au désarroi, dans le débordement de ses tendances les plus méconnues. Un autre en lui grandit qui le traque tout comme il le faisait avec les esclaves. La metteure en scène fait un travail d’une grande sobriété qui met en valeur le texte décapant de Laurent Gaudé.

Avignon le 16/07/2019

R.S.