Selim Lander

« Les Cœurs andalous » d’après Carole Martinez, adaptation et m.e.s. Estelle Andrea

— par Selim Lander — Décidément les romans de Carole Martinez sont faits pour le théâtre. Après Du domaine des murmures mis en scène avec succès à plusieurs reprises, c’est maintenant au tour des Roses fauves – cette fois sous un nouveau titre – par Estelle Andrea, une habituée du Théâtre Aimé Césaire où nous l’avons vue, dernièrement, comme autrice-comédienne, dans Sur les pas de Léonard de Vinci et un an plus tôt comme metteuse en scène (associée à William Mesguich) d’Une Tempête de Césaire, spectacle mémorable et succès d’autant plus méritoire qu’il réunissait un grand nombre de comédiens amateurs mais qui surent se montrer à la hauteur de l’enjeu.

Le roman Les Roses fauves part d’une ancienne coutume espagnole. Avant de mourir, les femmes brodaient un coussin rempli de billets où elles enterraient leurs secrets. Naturellement, ces coussins légués à la fille aînée ne devaient en aucun cas être décousus, à moins d’un grand malheur. Mais, bien sûr, le tabou est brisé dans le roman, faute de quoi il n’y aurait rien à raconter ! La dernière de ces femmes, la sixième dans la lignée, celle qui lève le pot aux roses, a donc hérité de cinq coussins de ses ascendantes maternelles, soit ses mère, grand-mère, bi- tri- et quadrisaïeule.

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« Un Égyptien peut-il parler anglais ? » de Noor Naga

— Par Michel Herland —

«Une Américaine au Caire », ce titre eût été plus clair. En anglais d’où le livre est traduit, c’était If un Egyptian Cannot Speak english, ce qui ne valait pas mieux que le titre retenu pour l’édition française. Outre leur manque d’élégance, ces deux titres, l’anglais comme le français, ont le défaut de nous mettre sur une fausse piste en nous promettant une histoire plutôt drôle, ce qui est loin d’être le cas ; nous nageons au contraire en plein drame.

Oublions le titre puisque l’histoire – dramatique donc – contée par Noor Naga ne manque pas d’intérêt, d’autant qu’elle est astucieusement menée. L’auteure, à l’instar de son héroïne, est américaine d’origine égyptienne, comme elle venue enseigner l’anglais au Caire à la recherche de ses racines. À la différence de son héroïne Noor Naga a bénéficié d’une bourse d’écriture et, à voir comment ce roman plus ou moins auto-fictif (dans quelle mesure, le lecteur ne peut le savoir) est construit, elle a dû participer à un atelier d’écriture romanesque (creative writing) comme il s’en donne tant dans les université d’Amérique du Nord.

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« Sélune » au festival Labadijou

–Par Selim Lander —

Sélune pour tous les noms de la terre est une œuvre de Faubert Bolivar, martiniquais d’origine haïtienne, philosophe, auteur de théâtre confirmé dont plusieurs pièces ont été couronnées par des prix. Sa pièce La Flambeau a été produite sous la forme de mini-opéra au Canada. Quant à Sélune c’est un beau texte à lire autant qu’à écouter au théâtre, un texte prenant, dur, poignant parfois tout en étant un document sur la société haïtienne, avec le chômage endémique, la corruption, et, sous-jacente, la débrouillardise (des mères surtout !) qui permet, malgré tout, de vivre ou au moins de survivre. La pièce a été écrite avant le tremblement de terre de 2010 et le déferlement des gangs. C’est donc un autre Haïti que celui d’aujourd’hui, certes mal en point mais pas totalement décomposé. Par exemple, lorsqu’un nouveau dictateur prend le pouvoir, il cherche à se concilier l’opinion en « donnant le baccalauréat au peuple », c’est-à-dire en gonflant artificiellement le taux de réussite (est-ce pour la même raison que le taux de réussite à ce même examen est si élevé en France ?)

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« Kreyol Man La » : de la belle danse, mais…

— Par Selim Lander — Alfred Alerte est un chorégraphe d’origine martiniquaise, installé en Métropole dans un lieu nommé la Bergerie de Soffin (département de la Nièvre). Dans Kreyol Man La, il revient sur son enfance à Trenelle, en danse, en musique… et en paroles. Disons tout de suite pour lever toute ambiguïté que nous avons aimé cette pièce, tout en déplorant un mélange de genres bien superflu, même s’il est évidemment légitime qu’un créateur ait envie d’exprimer ce qu’il a sur le cœur. Et sans doute le fait que cette pièce soit créée à la Martinique après une dernière résidence sur place explique-t-il en partie ces débordements. Sans doute explique-t-il aussi l’apparition à la fin de la pièce de cinq danseuses bèlè : un geste sympathique mais le contraste entre les deux sortes de danse ne pouvait pas être à l’avantage de la seconde. En l’occurrence, l’apparition de ces cinq danseuses apparaît plutôt comme une intrusion qui vient casser l’ambiance, de même que le retour, au milieu de la pièce, du conteur créole que nous avions déjà largement entendu dans un prologue délivré au pied du plateau puis sur le plateau.

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Une pièce…d’«Or» – Cendrars/Simonin

Au TAC du 16 au 18 janvier à 19h30

— Par Selim Lander —

Blaise Cendrars (La Chaux-de-Fonds 1887 – Paris 1961) dont on connaît avant tout La Prose du Tanssibarien et de la petite Jehanne de France (1913) fut non seulement poète mais également journaliste et, pour ce qui nous intéresse ici, romancier. De nationalité suisse, il s’engagea dans l’armée française en 1914, fut gravement blessé dès 1915 et amputé du bras droit.

L’Or qui date de 1925 et marque l’entrée de Cendrars dans le genre du roman rapporte l’histoire véridique d’un de ses compatriotes, Johann August Sutter (1803-1880), un aventurier au destin exceptionnel, puisque, après avoir émigré en Amérique et gagné non sans mal (via Vancouver et Honolulu) une Californie encore mexicaine et misérable, il parvint à bâtir en quelques années un empire agricole (New Helvetia), au détriment des Indiens et grâce à des ouvriers-soldats en grande partie kanak. Après la réunion de la Californie aux États-Unis, il fut nommé capitaine, puis général, tout en poursuivant ses entreprises. Véritable coup de théâtre : la ruée vers l’or, à partir de 1848, vit l’envahissement de ses terres par des bandes incontrôlables et sa ruine, ou presque.

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« L’homme qui voulait peindre des fresques » de Michel Herland

— Jean-Noël Chrisment (revue Esprit n° 517-518, janvier-février 2025) —

Il y a une élégante humilité dans ce titre, L’Homme qui voulait peindre des fresques, faisant d’emblée douter qu’il y soit parvenu. Au dernier tiers du recueil, un poème au ton très détendu, reprenant, à peine modifié, ce titre dans le sien, en émettra de nouveau le doute, plus explicitement encore, resserrant sa dérision d’un humoristique « peut-être ». C’est une position d’écriture à laquelle peut d’emblée répondre, ici, celle d’une lecture qui sera celle, en toute simplicité, d’un partage attentif d’intérêt avec Michel Herland pour ce qui insiste en l’homme, persiste en lui de ce « haut-langage » du poème, dont le rapport au merveilleux terrifiant du monde s’est sans doute instauré bien avant que la Grèce ne lui prête cette hauteur. Au fond, sans doute, dès que l’homme a su s’interroger sur ce qui le dépassait de ce monde incompréhensible où il se trouvait jeté, au mutisme « déraisonnable » en tout cas devant ses questionnements. Sur ce qu’il redoutait comme plus durable, plus éternel ou d’une menace plus opiniâtre, derrière les rugosités passagères de l’instant ou les atermoiements fragiles d’une époque.

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« Pierre-Monde, l’œuvre au noir » d’Izae Etifier

— Par Selim Lander —

Après Fonds Saint-Jacques, c’est au tour de Saint-Pierre d’accueillir la nouvelle exposition d’Izae Etifier et elle vaut le détour. Pour qui découvre cette artiste, c’est une vraie et très bonne surprise. « L’œuvre au noir », c’est d’abord ces gros cailloux suspendus dans l’espace ou déposés sur une table, voire posé carrément sur le plancher comme le gros rocher qui nous accueille en haut de l’escalier (comme toujours, au Créole Art Café, c’est en effet à l’étage avec son balcon sur la rue que se tient l’exposition, là où jadis se trouvaient les chambres des clients, puisque ce lieu agréablement ou mieux artistement décoré fut jadis un hôtel). L’artiste qui se dit en quête de la pierre philosophale (voir infra) l’a trouvée avec ses cailloux, des artefacts qu’elle a fabriqués elle-même dans la tradition des alchimistes dont elle semble vouloir se revendiquer.

Les tableaux accrochés sur les murs ne sont pas noirs mais ils demeurent dans des teintes généralement sombre, rouille ou vert profond, des abstractions traversées parfois de grandes lignes verticales, ou qui dans de rares cas, comme dans le tableau à dominante verte qui apparaît ici derrière l’artiste, confine au réalisme (on peut y voir l’image d’une mer verte avec des nuances de bleu, sur un fond corallien).

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Mes vœux à la classe politique martiniquaise

— par Michel Herland — Ce début d’année voit déferler, et c’est normal, les vœux de diverses personnalités de notre île. Ils appellent à mobiliser nos énergies dans le bon sens, et c’est normal, ne manquant pas de parler de nos principaux atouts : notre jeunesse pleine d’énergie, notre belle nature. Comme la plupart de ces personnalités sont aux affaires à un titre ou un autre, j’aurais préféré qu’elles annoncent ce qu’elles entendent faire concrètement dès cette année pour mobiliser la jeunesse et mieux tirer partie de la nature.

La nature nous offre la richesse de son sol et la beauté de ses paysages. Agriculture et tourisme donc. L’agriculture tout d’abord. On parle beaucoup de l’autosuffisance alimentaire : s’en soucier est en effet nécessaire. En ces temps troublés il est loin d’être inconcevable que, en raison d’une crise particulièrement grave, le cordon ombilical avec la « mère patrie » se rompe. « En temps Robert », alors que la Martinique était bien moins peuplée qu’aujourd’hui et encore principalement rurale, il lui fut bien difficile de se nourrir. Qu’en serait-il aujourd’hui ?

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« Benoît blues », un roman moderne

— Par Michel Herland —

Les éditions Mémoire d’encrier basées à Montréal, spécialisées dans les auteurs de la diaspora (souvent haïtiens ou d’origine haïtienne comme le directeur de la maison d’édition) et issus des peuples premiers nous offrent cette fois le premier roman d’un comédien noir de nationalité française.

C’est d’abord l’histoire de deux copains d’école, à Paris, soit Geoffrey, le petit Blanc dit « Petit Bâtard » et Benoît, le petit Noir dit « Petite Merde ». Qui grandissent et l’histoire deviendra alors triangle mais le lecteur ne l’apprendra que tardivement. Geoffrey a rencontré Édith, l’a épousée, ils forment un couple modèle avec une petite fille, une joyeuse bande de copains rencontrés à l’école d’architecture pour la plupart. Benoît n’a pas connu la même réussite, orienté vers l’enseignement technique il a fait un peu tous les métiers, de maçon à éducateur en passant par fleuriste ou musicien. Il a aussi fait l’acteur, comme l’auteur du roman dans la vraie vie mais l’on n’en saura pas davantage à ce sujet.

Dès le début, nous apprenons le suicide de Benoît, puis l’histoire semble s’orienter vers le récit idyllique de la famille de Geoffrey racontée par lui-même, un sujet qui ne peut pas demeurer passionnant longtemps, et de fait, peu à peu, le récit revient vers Benoît par le biais du journal qu’il a légué à Geoffrey.

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« Faire courir le monde »

— Par Michel Lercoulois —

Quel beau titre pour un recueil mêlant images et poèmes, issu de la toute jeune maison d’édition, Ad Verba, bel objet de surcroît avec son élégante couverture à rabats, le papier et la typographie soignés. Ce petit mais beau livre est né du pari des deux fondateurs de la maison, deux plasticiens – l’une qui tisse, Christine Lumineau, l’autre, Xavier Ribot, qui crée des installations, en général de taille réduite – de proposer les photographies d’une centaine et plus de leurs œuvres à la libre inspiration des poètes. Seule contrainte : se maintenir entre dix et vingt lignes. On sait quelle soif d’écrire anime tant de nos contemporains. Alors que le lancement de ce concours fut discret, ils furent deux-cent-vingt poètes à répondre, proposant exactement trois-cent-quatre-vingt-neuf textes comme nous l’apprend la quatrième de couverture. On est en droit de parler de concours car ne furent finalement retenus que trente-huit poèmes (soit à peu près un sur dix) à raison d’un seul par auteur, soit trente-huit auteurs, poètes ou apprentis poètes plus ou moins aguerris mais, avec une sélection aussi drastique, le résultat ne pouvait qu’être bon, même si, évidemment, la sensibilité du lecteur s’accordera plus facilement avec celle de certains des auteurs plutôt que d’autres.

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Élégie tropicale

Nota bene : Le poète n’analyse pas, n’explique rien. Ses poèmes sont des contes que chacun peut déchiffrer à sa guise. À l’instar du photographe ou du peintre, le poète prend des instantanés et s’efforce de décrire ce qu’il a observé avec son propre vocabulaire. Bien que le poète raconte ce qu’il voit, qu’il ne juge pas, son regard est sélectif et il ne cache pas ses états d’âme. S’il est « voyant », comme dit Rimbaud, il ne faut pas l’entendre au sens où il verrait plus clair que les autres, mais simplement qu’il faut le laisser libre de voir, parfois, autrement. Michel Herland.

Tes grands arbres à l’assaut des mornes jusqu’au ciel
Les lianes qui s’accrochent aux fromagers
Les fleurs sauvages de tes savanes
Tes gamins sourire-soleil
Les mamzels longues jambes
Les vieillards en ont vu d’autres
endimanchés de blanc
ils accompagnent l’un des leurs
à sa demeure dernière

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« Marion 13 ans, pour toujours » au théâtre

— Par Selim Lander —

Le suicide de la jeune Marion fut d’abord un fait divers, en 2013, avant de devenir en 2015 un livre écrit par Nora Fraisse, la maman de Marion, puis un film en 2016, enfin une pièce de théâtre en 2022. Le titre du livre (repris pour le film et la pièce) exprime d’abord un sentiment de perte : Marion n’est plus, elle ne dépassera jamais l’âge de 13 ans, celui de sa mort, ses parents ne la verront plus grandir, elle a disparu définitivement dans le caveau où elle est enterrée. Encore faut-il comprendre ce qui s’est passé, quel enchaînement véritablement fatal a pu conduire une jeune adolescente à accomplir l’irréparable ?

Marion 13 ans, pour toujours est présentée comme une pièce d’utilité publique. On ne le contestera pas. Et l’on encouragera même les parents et les professeurs à ne pas manquer les occasions qui se présenteront d’y conduire leurs enfants ou élèves. Le parti de présenter le harcèlement sans le montrer est en effet globalement réussi. On ne verra jamais les collégiens qui s’acharnent sur Marion.

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« Ya Ax Thé », une rétrospective du groupe Fwomajé

— par Selim Lander —

Préambule : Lors d’une table-ronde qui s’est tenue le 4 décembre à Tropiques-Atrium en marge de l’exposition Fwomajé, les artistes présents se sont plaints de pas être suffisamment mis en lumière dans les médias. Si cela est en effet possible pour les chaînes de radio et de télévision, comme dans l’unique quotidien de l’île et les quelques magazines existants, on ne saurait adresser ce reproche à Madinin’art, sous la houlette de Roland Sabra, qui ne se contente pas d’annoncer les événements culturels mais publie régulièrement des comptes rendus, critiques s’il y a lieu, des spectacles vivants comme des expositions organisées ici ou là et qui ne demande pas mieux que de donner la parole aux artistes désireux de s’exprimer. En l’occurrence, Madinin’Art a déjà largement annoncé l’exposition Fwomajé en reproduisant plusieurs textes du catalogue dès le 3 octobre et, quelques semaines plus tard, par un texte soulignant combien cette manifestation était « incontournable », suivi de l’annonce des rencontres organisées à l’occasion.

Autre sujet d’étonnement pour qui assistait à cette rencontre : que l’extraordinaire travail de la Fondation Clément en faveur des artistes locaux (expositions collectives, personnelles, rétrospectives en tout genre qui font chaque fois l’objet d’une large publicité) n’ait pas été mentionné (en dehors d’une allusion sibylline à une lointaine exposition à « la Case à Léo »).

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« Art en Liberté » : une exposition de L’Art Gonds Tout

par Marie Alba.

Du 07 au 14 décembre 2024 de 10H00 à 18H00. Vernissage le vendredi 06 Décembre de 18H00 à 21H00. Galerie C’CYL Art, Fort de France.

La galerie C’CYL ART accueille à partie du 6 décembre l’exposition Art en Liberté. La liberté dans toutes ses acceptions, celle qui confère à l’artiste une palette d’expressions de tous les possibles : engagement, émotions et transcendance !

À travers différents champs des arts plastiques (peinture, sculpture, upcycling…) l’exposition Art en Liberté compose avec une diversité de questions allant du féminisme et de l’engagement en général à d’autres thématiques comme celles de l’identité, de la relation à l’autre et, aussi bien, de la joie et de l’hymne à la vie.

Chacune des œuvres est une témoignage de la liberté de l’artiste, qui ouvre des fenêtres sur des mondes différents et transmet une expérience unique. Tout en célébrant leur pluralité, les artistes de L’Art Gonds Tout renforcent leur identité collective.

Des œuvres de Michèle Laune et d’Hélène Jacob, de leurs éclatantes explosions de couleurs, jaillissent des messages forts et parfois militants.

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« L’Affaire Dussaert » : Attention à la peinture !

— Par Selim Lander —

Une heure et demie de bonheur au théâtre, ce n’est pas si fréquent. Un conférencier qui délivre un discours jamais pesant, toujours dans l’humour, souvent très drôle, tout en étant pertinent, voire percutant par moments. Telle est L’Affaire Dussaert que les spectateurs martiniquais auront pu déguster pendant les trois dernières soirées de ce mois de novembre… après bien d’autres soirées un peu partout puisque la pièce a déjà été jouée plus de huit cents fois, devant des salles pleines où se trouvaient sans doute des spectateurs qui, comme nous, n’en étaient pas à leur première représentation. Pour nous, la première fois remonte à 2015 en Avignon, la revoir à la Martinique au Théâtre Aimé Césaire était une occasion à ne manquer sous aucun prétexte, d’autant que le programme de cette année contient peu de pièces de cet acabit.

Il serait cruel de raconter L’Affaire Dussaert. On peut en donner une idée par l’anecdote suivante, attribuée à Alexandre Dumas père (in Le Corricolo, chap. 40, fin), qui est rapportée à la fin par Jacques Mougenot avec les mots de Dumas :

« Un pauvre fou de Charenton […] Sa folie était de se croire un grand peintre […] Il vous conduisait devant le chef d’œuvre, levait la toile verte, et l’on apercevait une toile blanche.

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« Traces », « Un Petit déjeuner »

— Par Selim Lander—

Les vendredis se suivent à l’Atrium et ne se ressemblent pas. Salle à peu près vide le 8 novembre 2024 pour entendre Étienne Minoungou dans un texte de Felwine Sarr ; salle comble le 15 pour voir Aurélie Dalmat dans la pièce de François Raffenaud.

Traces Discours aux nations africaines

Felwine Sarr est un intellectuel sénégalais de haute volée, agrégé de sciences économiques à la fois par le concours français et par le concours africain (CAMES), enseignant désormais à l’Université Duke (Durham, North Carolina), musulman revendiqué, partisan inconditionnel de la restitution aux pays africains des œuvres de leur patrimoine (co-auteur du rapport remis à Emmanuel Macron en 2018), fondateur à Dakar des « Ateliers de la pensée » avec Achille Mbembe. Sa parole pèse et mérite – ne serait-ce qu’à ce titre-là – d’être entendue. Dans Traces, il porte un message universel même s’il s’adresse en priorité aux Africains. Il faut, écrit-il, « pousser l’humanité plus loin, repousser l’horizon de la lumière, désensabler l’eau vive » et, certes, qui ne souscrirait pas à un si beau programme.

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« Atoumo », la nouvelle exposition du PABE au Créole Art Café

[atumo] ou l’orthographe donne le sens.
On entend [atumo] mais on l’écrit comment ?
Problème scolaire ardu mais plus encore dès qu’il s’agit de l’exprimer à travers une sensibilité esthétique.
La phonétique, ici le son des mots, ne nous donne pas l’orthographe des mots. Comment choisir entre les différentes écritures :
A tout mot/maux (n’importe lequel)
A tous mots/maux (tous les mots/maux, chaque mot/maux)
Ou encore
Atoumo la plante créole qui guérit tout
Atout mot (celui qui l’emportera, le dernier, la guerre)

C’est l’enjeu pictural, sculptural ou poétique… auquel se livrent les artistes du PABE et leurs invités dans leur nouvelle et originale exposition de novembre-décembre 2024 ! : « La Martinique [atumo] »

L’orthographe et (n’en doutons pas l’esthétique aussi) est porteuse de sens !

Selon leur dominante personnelle sentimentale politique (optimiste ou pessimiste ?).

Les un.e.s choisissant une Martinique marquée par son histoire, sa géographie ou caractérisée par sa végétation, sa gastronomie, la danse, la musique… dépeindront, dessineront, photographieront, sculpteront une Martinique résiliente ou en voie de guérison.

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« Le Chœur » / Fanny de Chaillé-Adami

— Par Selim Lander —

Pour une fois, c’est le théâtre et non la danse qui était l’invité d’Anjelin Preljocaj au Pavillon Noir à Aix-en-Provence. Le Chœur est le fruit du programme « Talents Adami Théâtre » qui invite chaque année un artiste, Fanny de Chaillé en l’occurrence, à produire un spectacle avec dix jeunes comédiens. Fanny de Chaillé, actuellement à la tête du Théâtre national Bordeaux Aquitaine, déclare vouloir pratiquer « un théâtre du corps [séparant] texte et mouvement pour mieux réagencer leur rencontre » : c’est un bon résumé de la pièce présentée à Aix et, sans doute, l’accent mis sur le corps dans ses spectacles n’est-il pas pour rien dans sa présence dans un lieu normalement dédié à la danse ?

Quoi qu’il en soit, la séparation texte/mouvement est sensible à la fois dans les figures mobiles (ou non comme lorsque les danseurs composent du mobilier, par exemple) et dans les prises de parole où ils se tiennent immobiles, groupés (« en chœur ») ou non. Autre principe qui a guidé la construction de la pièce et qui a dû s’imposer naturellement, compte tenu du contrat avec l’Adami, jouer à fond la logique du chœur en multipliant les morceaux en groupe et en faisant en sorte qu’aucun comédien ne se distingue trop par rapport aux autres.

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Théâtre : Rambert, Goupil, Van Gogh, Pirandello

Par Selim Lander —

Quelques jours à Paris, l’occasion de voir un peu de théâtre au hasard des disponibilités, car les salles sont généralement bien remplies. Certes, il y a une majorité de têtes blanches parmi les spectateurs mais le théâtre a encore de l’avenir.

Clôture de l’amour

La pièce la plus prestigieuse de ce petit échantillon, reprise parisienne du texte de Pascal Rambert couronné par deux prix (Syndicat de la critique, Centre national du théâtre), interprété par Stanislas Nordey et Audrey Bonnet, les deux comédiens pour lesquels il fut spécialement écrit et qui l’ont créé lors du festival d’Avignon en 2011, joué depuis plus de deux cents fois.

Comme le titre l’indique, il s’agit d’une rupture amoureuse. Sa particularité : deux monologues séparés par un bref intermède musical (la chanson Happe d’Alain Bashung interprétée par une chorale de collégiens). L’homme tire en premier, la femme en second. Comme la pièce dure deux heures, on mesure la difficulté de l’exercice pour les comédiens, d’autant que le texte, profus, répétitif doit être particulièrement difficile à apprendre. Mais encaisser le texte de l’autre, tout en exprimant pratiquement sans bouger les sentiments qu’il provoque est également un exercice difficile.

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« Une Ombre vorace » de Mariano Pensotti

— Par Selim Lander —

La biennale d’Aix-en-Provence qui se déroule cette année du 21 septembre au 14 décembre accueille un certain nombre de spectacles théâtraux ou non (1) programmés par ou en co-production avec – comme c’est le cas ici – le Théâtre du Bois-de-l’Aune. Après Bye Heart de Tiago Rodrigues (2), voici une pièce de Mariano Pensotti commandée par le Festival d’Avignon pour des représentations hors les murs dans des lieux non dédiés au théâtre afin d’attirer un public non habitué, avec toutes les contraintes que cela suppose : espace restreint, non équipé, décor facilement transportable. À Aix, elle est présentée sur le plateau du théâtre de l’Archevêché où sont installés trois gradins, un moyen de sortir des lieux habituels du théâtre (un plateau n’étant pas destiné aux spectateurs) et de s’en tenir à une petite jauge. Aix, cependant, n’est pas un village et les amateurs de théâtre – sans parler des autres – y sont nombreux et nombreux furent ceux qui se sont retrouvés privés de ce spectacle donné seulement deux fois.

D’autant que Mariano Pensotti, dramaturge et metteur en scène argentin à qui l’on doit de nombreuses pièces, n’est pas un inconnu dans notre pays.

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Post-it : une exposition de Nadia BURNER

Créole Arts Café, Saint-Pierre du 03 septembre au 02 novembre 2024

 

Vernissage le vendredi 13 septembre à 18H

 

S’arrêter un moment pour écrire les courants d’air un peu chauds, les égratignures, les bleus, les blessures aussi. La pile de questions qui défilent, en attente d’un sérieux point à faire sur le monde, sur nous.

Post-it : \pɔs.tit\

nom commun masculin invariable (ou pas…)

Petit carré de papier de couleur doté d’une bande adhésive

conçu pour être collé et décollé à volonté sur des supports variés

sans les endommager. Utilisé comme pense-bête, note

pour ne pas oublier un message important, une tâche à faire.

Au Créole Arts Café, je partage avec vous en poésie et en images quelques-unes de mes petites notes à ne pas perdre de vue. Sujets à résoudre sans doute mais surtout mes vérités sorties de l’éventail des vérités. A retrouver pour essayer de comprendre quand on aura le temps, le cœur, le courage…

Post-it. Ne pas oublier.

Nadia BURNER

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Connaissez-vous Roger Parsemain, poète ?

— Par Michel Herland —

Mon œil implore d’un tic la folie d’un mot
Mais au seuil de l’enfer le dire s’incinère

Bien sûr, tous les Martiniquais sont censés connaître ce compatriote, remarquable poète, mais au cas où et à l’occasion de la publication d’un récent recueil, voici de quoi pour nous rafraîchir la mémoire.

Roger Parsemain est né en 1944 dans la commune du François, la ville où, devenu professeur, il enseigna les lettres et l’histoire-géographie avant d’y prendre sa retraite en 2004. Il y fut également conseiller municipal sous l’étiquette communiste tout au long de la décennie 1970. Il habite avec son épouse dans une maison cachée dans la végétation, à l’écart du bourg. Cet attachement à un lieu est l’une des caractéristiques de la poésie de Roger Parsemain, ce qui n’empêche pas qu’elle soit nourrie aussi de ses rêveries et de ses nombreux voyages, par exemple mais pas seulement dans le recueil Les Chemins inondés inspiré au départ d’un séjour au Québec et de la rencontre avec la peintre Louise Prescott.

Roger Parsemain est l’auteur jusqu’ici de dix recueils de poésie chez divers éditeurs, sans compter deux livres de nouvelles et récits en prose et de pièces de théâtre non publiées.

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« Chorus » : le retour d’Amel Aïdoudi

— Par Selim Lander

« Et je dis que la vie est ténèbre, en effet, sans un désir ardent.
Et tout désir ardent est aveugle, s’il n’y a pas connaissance.
Et toute connaissance est vaine, s’il n’y a pas travail.
Et tout travail est vide, s’il n’y a pas amour ;
et lorsque vous travaillez avec amour, vous liez vous-même à vous-même, et aux uns et aux autres, et à Dieu.»
Khalil Gibran, Le Prophète.

Tel est le texte qu’Amel Aïdoudi a choisi de travailler pour le porter sur les planches, un texte intemporel, un succès mondial. Sur le fond les poèmes en forme d’aphorismes ne sont souvent que des évidences, des préceptes convenus pour une « vie bonne », c’est-à-dire ordonnée par la sagesse (cf. Aristote in Éthique à Nicomaque). Mais, d’une part, s’il s’agit de banalités elles sont toujours bonnes à entendre par la plupart d’entre nous qui passons notre (brève) existence le nez dans le guidon, en écartant surtout tout ce qui pourrait nous ramener à l’essentiel. Et, d’autre part, même si ces aphorismes peuvent apparaître à certains banals et sans intérêt, ils sont transcendés par la poésie.

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« Murmuration » au Festival de Fort-de-France : des brassées d’images

— Par Selim Lander —

« Murmuration » ? Le terme est insolite. Scientifique et anglais (la traduction savante française serait « agrégation »). Il désigne les nuées d’oiseaux rassemblés par centaines, voire milliers et qui volent de manière parfaitement synchrone, tourbillonnant comme par exemple les étourneaux dans le ciel de France au moment de leur migration, à l’automne. Le titre de la pièce de danse présentée à Fort-de-France après Paris (2023) et une tournée triomphale n’est pas mal choisi, les nombreux danseurs présents sur le plateau étant en effet remarquablement synchrones. Ils sont 45 en formation « réduite » – comme à Fort-de-France, 63 en formation complète – à mouvoir leurs bras à l’identique jusqu’au moment où le bel ensemble se défait, un danseur entame une autre figure, toujours avec ses bras, suivi par un autre et une image se dessine comme lorsqu’un éclair traverse le ciel.

Au départ, donc, il y a une figure dansée/dessinée par l’ensemble du ballet. Les danseurs sont debout, serrés les uns contre les autres, par rangs de 8 ou 10, face au public. Les danseurs des rangs les plus reculés sont juchés sur des tabourets de hauteur croissante de telle sorte que le haut du corps de chacun puisse être clairement sous le regard des spectateurs.

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Jean-Marc Hunt et le Marché d’art à la Fondation Clément

— Par Selim Lander

Negatalent, Jean-Marc Hunt

Avec, d’une part, la seconde exposition personnelle de Jean-Marc Hunt suivant celle de 2015 et, d’autre part, une nouvelle édition du Marché d’art, l’été de la Fondation Clément s’avère particulièrement riche.

L’exposition Jean-Marc Hunt compte pour sa part une soixantaine d’œuvres réparties en trois séries : Negropolitan Museum, Récits cosmogoniques (voir la première photo) et Jardins créoles poursuivies en parallèle par l’artiste, des toiles auxquelles s’ajoutent quelques sculptures. Les deux premières séries peuvent être qualifiées de néo-expressionnistes, la première avec ses silhouettes anthropomorphes esquissées, la deuxième avec les dessins et les messages inscrits en blanc sur des fonds colorés qui peut être même rapprochée de la figuration libre. On y reconnaît l’artiste engagé qui entend, de son propre aveu, « recenser les questionnements dus à la condition noire et antillaise ». Selon Pascal Blanchard, un historien de la mouvance décoloniale qui signe la préface, Hunt « interroge la notion d’afro-français et d’afro-descendant, il révèle les origines de la culture créole et n’a de cesse de bousculer le passé colonial dont les héritages sont toujours présents » (1).

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