Alors Gérard, t’as les boules ?

Par PHILIPPE TORRETON Comédien

Tu ne veux plus être français…? Tu quittes le navire France en pleine tempête ? Tu vends tes biens et tu pars avec ton magot dans un pays voisin aux cieux plus cléments pour les riches comme toi ? Evidemment, on cogne sur toi plus aisément que sur Bernard Arnault ou les héritiers Peugeot… C’est normal, tu es un comédien, et un comédien même riche comme toi pèse moins lourd ! Avec toi, on peut rattraper le silence gêné dont on a fait preuve pour les autres… C’est la nature de cette gauche un peu emmerdée d’être de gauche.

Mais Gérard, tu pensais qu’on allait approuver ? Tu t’attendais à quoi ? Une médaille ? Un césar d’honneur remis par Bercy ? Tu pensais que des pétitions de soutien de Français au RSA allaient fleurir un peu partout sur la Toile ? Que des associations caritatives allaient décrocher leur abbé Pierre, leur Coluche encadrés pour mettre ta tronche sous le plexi ? Le Premier ministre juge ton comportement minable, mais toi, tu le juges comment ? Héroïque ? Civique ? Citoyen ? Altruiste ? Dis-nous, on aimerait savoir…

Le Gérard «national», le rebelle de Châteauroux, le celui qui, s’il n’avait pas rencontré le cinéma, serait en taule à l’heure qu’il est comme tu le disais, le poète de l’écran la rose à la main quand ça devait faire bien d’en avoir une, qui nous sort un «c’est celui qui le dit qui y est»… Tu prends la mouche pour un petit mot et tu en appelles au respect, comme le fayot dans la cour de récré… Tu en appelles à tes gentils potes de droite pour que le grand méchant de gauche arrête de t’embêter… Tu voudrais avoir l’exil fiscal peinard, qu’on te laisse avoir le beurre et l’argent du beurre et le cul de la crémière qui tient le cinéma français… Tu voudrais qu’on te laisse t’empiffrer tranquille avec ton pinard, tes poulets, tes conserves, tes cars-loges, tes cantines, tes restos, tes bars, etc.

Et nous faire croire en tournant avec Delépine qu’un cœur social vibre encore derrière les excès et les turpitudes de l’homme… Nous faire avaler à coups de «han» de porteur d’eau que tu sèmes dans tes répliques trop longues, que l’homme poète, l’homme blessé, l’artiste est encore là en dépit des apparences… Le problème, Gérard, c’est que tes sorties de route vont toujours dans le même fossé : celui du «je pense qu’à ma gueule», celui du fric, des copains dictateurs, du pet foireux et de la miction aérienne, celui des saillies ultralibérales…

Tout le monde ne peut pas avoir l’auréole d’un Rimbaud qui, malgré ses trafics d’armes, fut et restera un poète… à jamais. Toi, tu resteras comme un type qui a fait une belle opération financière sur le cinéma français, un coup de Bourse, une OPA… Tu as transformé tes interprétations les plus réussies en stratégie de défiscalisation. Il doit y en avoir un florilège de répliques que tu as jouées et qui résonnent bizarrement maintenant !

Des répliques de poète, d’homme au grand cœur, d’yeux grands ouverts sur la misère du monde, orphelines de pensée et violées par leur interprète, parce que l’homme a les rognons couverts, mais l’acteur a fait faillite… L’homme est devenu riche mais sa fortune lui a pété à la gueule. Tu sais, ces gros pets foireux dont tu te vantes et que tu lâches sur les tournages en répondant à tes 12 téléphones au lieu de bosser ?

Tu votes pour qui tu veux, et tu fais ce que tu veux d’ailleurs, mais ferme-la, prends ton oseille et tire-toi, ne demande pas le respect, pas toi ! Sors de scène, Montfleury, «ce silène si ventru que son doigt n’atteint pas son nombril !» Et puisqu’on est dans Cyrano, te rappelles-tu de cette réplique, mon collègue, qu’il adressait à De Guiche sauvant sa peau au combat en s’étant débarrassé de son écharpe blanche ? Il demande à Cyrano ce qu’il pense de sa ruse et ce dernier lui répond… «On n’abdique pas l’honneur d’être une cible.» Tu t’en souviens ? Tu devrais… En ce temps-là, tu apprenais ton texte…

On va se démerder sans toi pour faire de ce pays un territoire où l’on peut encore, malgré la crise, se soigner correctement, où l’on peut accéder à la culture quelle que soit sa fortune, où l’on peut faire des films et monter des spectacles grâce à des subventions obtenues en prélevant l’impôt… Un pays que tu quittes au moment où l’on a besoin de toutes les forces, en plein siège d’Arras, sous les yeux des cadets médusés… Adieu.

 

Libé+ 17/12/12