« Alienation(s) », au MACT’e, en avant-goût du Festival Théâtre Cap Excellence.

— Par Scralett Jesus —

Ce jeudi 9 mai, deux représentations de la pièce écrite, mise en scène et interprétée par Françoise Dô sont programmées, l’une étant destinée en matinée aux scolaires. Il revient donc à la Martinique d’annoncer l’ouverture du Festival Théâtre Cap Excellence prévue pour le lendemain. La salle est pleine. Dans le cadre de la tournée CEDAC de Tropiques-Atrium, la pièce, qui avait déjà été à l’affiche de L’Artchipel scène nationale, à Basse-Terre, le 18 novembre 2018, a été programmée conjointement le 7 mai, au Moule et le 10 mai, à Baie-Mahault.

La photo d’illustration est de Blind Larcher 

Est-ce la raison pour laquelle le jeu de la comédienne nous donne l’impression d’une certaine lassitude ? Françoise Dô consacre son énergie à une nouvelle pièce dont elle est également l’auteur(e) « A Parté ». « Aliénation(s) » est déjà, en quelque sorte, de l’histoire ancienne. A partir d’une nouvelle, intitulée « Aliénation noire », Françoise Dô, lauréate du concours d’émergence jeunes artistes « En avant la création », avait bénéficié à Fort-de-France d’une résidence d’artiste à Tropique Atrium scène nationale de décembre 2016 à janvier 2017. La pièce avait été alors présentée au public Martiniquais en janvier 2017, dans le cadre du Festival Petites formes, et Roland Sabra en avait rendu compte dans Madinin’Art.

Cette lassitude ne serait-elle pas plutôt le fruit d’un choix délibéré de mise en scène cherchant à traduire avec cohérence le mécanisme d’une maladie de l’âme particulière, autrefois appelée mélancolie, entraînant chez le sujet qui en est atteint une forme d’aliénation (ou d’aliénations)? Dans cette analyse intérieure de soi et pour soi, à laquelle se livre le personnage de Sophia tout au long de ce qui apparaît comme un monologue intérieur (ou, déjà, des apartés) ne convenait-il pas d’éviter une théâtralité qui aurait couru le risque de déboucher sur le sur-jeu ? Un pacte tacite s’établit avec le public qui se devra accepter ce jeu d’acteur feutré, centré sur les tourments psychiques d’une femme, « entre cris et chuchotements ». Et cela durant une petite heure, l’effort de concentration exigée bénéficiant de plusieurs retours à la réalité extérieure, à travers quelques pauses musicales dont la tonicité sonore souligne l’écart.

La scène inaugurale est forte et donne en quelque sorte une clé pour entrer dans l’univers intérieur de Sophia. Sur un plateau central, lui-même placé au centre du plateau scénique, le personnage, qui est sensée dormir, couverte d’un drap blanc, va progressivement se recroqueviller, adoptant de la sorte une position fœtale. Poche utérine, le drap apparait aussi comme le symbole d’un enfermement maternel et familial dont Sophia va chercher à se libérer à l’issue de multiples questionnements portant sur le poids de non-dits. S’extirpant de son drap, Sophia contemple son image dans le miroir, s’interrogeant sur ce choix d’une coiffure afro qu’elle pense être la manifestation d’une personnalité cherchant à affirmer, de façon ostensible, son libre-arbitre face à des conventions sociales et familiales. Qui est-elle et dans quelle mesure ses actes sont-ils la traduction de son libre choix ?

Cette quête existentielle passe alors par la reconstitution d’une histoire familiale marquée par des non-dits dont l’origine est à chercher dans les blessures occasionnées par la mise en place d’un dispositif de déplacements de population, le BUMIDOM, et par les traumatismes psychiques que celui-ci entraîna chez différents membres de sa famille, lesquels lui ont été, inconsciemment, transmis. Progressivement c’est la figure de sa mère, avec laquelle elle pensait avoir peu de liens et dont elle ignorait tout de sa disparition, qui se reconstruit. Quelques éléments de mise en scène suffisent à indiquer l’évolution dramatique du personnage de Sophia qui, sortie du lit en nuisette, s’habille dans un premier temps en mini-jupe et bottines de jeunes, puis va ressembler de plus en plus à sa mère -faisant le choix comme elle d’un ami africain- en optant pour une jupe « de dame » et des talons.

Se pose alors la question essentielle : pourra-t-elle échapper au destin d’une histoire transgénérationnelle qui la conduirait à réitérer, comme semble le suggérer la chute finale de la pièce, le suicide de sa mère ?

Le sujet que Françoise Dô a choisi d’illustrer est donc très intéressant, d’autant que les traumas dont héritent les Martiniquais comme les Guadeloupéens ne se limitent pas seulement aux effets du BUMIDOM et que les non-dits liés à l’histoire de l’esclavage sont nombreux. Nous ne pouvons qu’encourager cette jeune artiste et rester attentive à son évolution, persuadée qu’elle saura surmonter certaines faiblesses liées à l’interprétation et à la mise en scène. Une fois les rideaux refermés, nous restent en mémoire un texte fort. A suivre donc avec le plus grand intérêt.

Scarlett JESUS.